L’introspection au féminin

L’introspection au féminin

17 novembre 2017 Non Par SoTennis

Devenir une championne de tennis peut faire rêver. Mais toutes les petites filles ne rêvent pas de ce destin qui peut certes apporter succès et gloire, mais qui peut parfois laisser certaines séquelles. Dominique Bonnot en sait quelque chose. Avant de devenir grand reporter à L’Équipe, elle a dû supporter le choix de son père, qui voulait faire d’elle une championne. Un choix qui n’était pas le sien. Dans son dernier livre « N’oublie pas de gagner » (aux Éditions Stock) elle décrypte les incroyables destins de Martina Navratilova, des sœurs Williams de Monica Seles, de Timea Bacsinszky, Jelena Dokic… Des championnes qu’elle a pu côtoyer tout au long de sa carrière, mais aussi sur son propre parcours de femme. Elle, qui a su dépasser ses contraintes endurées en silence.

©Panoramic

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Depuis le 20 mai votre dernier livre « N’oublier pas de gagner » est disponible, quel a été votre cheminement pour l’écrire?

 J’ai passé toute ma carrière à L’Équipe, et au moment de le quitter, un de mes confrères Benoît Heimermann qui est grand reporter et qui fait partie des Éditions Stock, m’a glissé l’idée de revenir notamment sur tous les matches auxquels j’ai pu assister, à travers un ouvrage. J’ai tout d’abord accepté, en pensant raconter tout cela avec un ton léger, car c’est sous cet angle que je voyais comment évoquer mes grands moments au bord des courts. Mais il m’a dit qu’il souhaitait un livre plus personnel, où il y aurait un vrai lien entre moi et les joueuses que j’ai tant regardées. Là, ce fut compliqué, car il a fallu utiliser le « je », une chose que j’ai évitée tout au long de ma carrière. Mais c’était vraiment impossible de faire ce livre intime sans être impliquée dans cette histoire. Cela m’a permis également de sortir des choses que je n’aurai jamais racontées dans un autre type de livre.

Comment une fille d’ancien commis-boucher reconverti dans l’enseignement du tennis, est-elle devenue grand reporter à L’Équipe Magazine ?
Mon père a découvert le tennis sur le tard. Il a totalement changé de milieu professionnel. Il a essayé de faire de moi une championne. Il pensait que cela allait être super, en voyant que le côté gagnant de ce pari. Mais il n’a pas vu le côté perdant, qui était que je n’avais pas du tout envie de jouer tout le temps, et que je n’avais pas les qualités pour ! Lorsque j’ai dû lâcher, car je n’étais plus assez forte pour espérer être une championne, mon père a continué à être gentil, mais il s’est un peu désintéressé de moi. Par la suite, j’ai eu la chance de rencontrer les gens de Tennis de France qui ont été formidables, et j’ai débuté ma carrière là-bas, en recopiant à la main les tableaux de scores des différents tournois. L’ambiance y était bonne, et c’est à ce moment que j’ai eu la vocation de devenir journaliste. Plus tard, ce magazine a été racheté par L’Équipe, et j’ai pu en faire partie. Lire pour la première fois mon nom en bas d’un article a été une très grande émotion.

« Le point commun entre toutes les femmes que j’ai choisies pour ce livre, c’est la façon dont elles se sont reconstruites »

Dans « N’oublie pas de gagner » vous évoquez le parcours de différentes championnes notamment celui de Monica Seles que vous avez interviewé à plusieurs reprises et notamment en 2012. Quelle est la principale différence que vous avez pu observer en elle à ce moment-là ?
Lors de cet entretien, Monica Seles était une femme bien dans sa peau. Bien qu’elle n’ait pas retrouvé cette adrénaline que le tennis de ce niveau procure, elle a trouvé en aidant des femmes sujettes à des problèmes de boulimie notamment aux États-Unis, (Ndlr: une pathologie qu’elle a rencontrée durant sa carrière) un sens à sa vie, et a passé un cap. Elle avait été surtout d’une très grande gentillesse. Elle avait également une façon très détachée et légère d’évoquer l’agression dont elle a été victime. Le point commun entre toutes les femmes que j’ai choisies pour ce livre, c’est la façon dont elles se sont reconstruites. C’est cela qui m’a toujours intéressée, et Monica Seles est vraiment un exemple de réussite, dans la manière dont elle redevenue une femme heureuse de vivre.

Pensez-vous que le fait d’être une femme a favorisé certaines confessions ?

En toute modestie, j’avais tellement d’intérêt et de curiosité à rencontrer ces championnes, dont il est difficile d’obtenir les fameuses 20 minutes d’entretien que l’on peut obtenir lorsqu’on a écrit 25 000 fois à l’agent, 58 000 à leurs sponsors… Lorsqu’on obtient le fameux oui, on se prépare au mieux. Je crois qu’elles sont sensibles à l’intérêt qu’on leur porte. La plupart savent combien ça compte pour les journalistes de leur parler, et d’échanger avec elles. En général, ce sont des filles très correctes. J’ai pu récupérer quelques bonnes interviews grâce à cela.

Et dans le milieu du journalisme sportif, pensez-vous que le fait d’être une femme a été un atout…
Un atout, dans le sens où une femme peut être plus sans se gêner sur l’émotion. Certains de mes confrères le sont aussi, ils ont une approche dans l’empathie, dans la sympathie, tout en essayant de créer un lien chaleureux. Et puis il y a ceux qui bossent vraiment plus sur la carrière, les matches, les entraînements, les entraîneurs… En réalité, tout compte. Lorsqu’un journaliste s’approche d’un champion, il le fait avec son histoire à lui, ses intérêts, et chacun « cuisine » le champion comme il peut ou comme il veut. Je ne pense pas qu’il y ait les femmes d’un côté et les hommes de l’autre. Je pense qu’il y a plutôt des personnes qui sont beaucoup sur l’émotion et la personnalité, et puis les autres sur l’aspect purement « tennistique ». Ce qui est bien, car on peut lire de tout.

« Durant ma carrière j’ai eu beaucoup de chance »

Au vu de votre expérience, quels conseils donneriez-vous à des parents souhaitant que leur enfant devienne un champion ?
L’enfant peut adhérer au projet des parents par amour, avec tout au fond de lui un désintérêt de faire ce qu’il fait, ou au contraire avec une réelle motivation. En tant que mère de trois enfants qui sont des adultes aujourd’hui, j’ai toujours essayé de regarder les indices qui indiquaient si ce qu’ils faisaient leur plaisait ou pas. C’est la clé. Soit ça leur plaît vraiment du fond du cœur et ça se voit, soit ça ne leur plaît pas, et ils font ça pour faire plaisir, ou pour atteindre une certaine forme de reconnaissance. Lorsque je raconte dans « N’oublie pas de gagner » à l’avant-propos une heure, une vie, où je me mets dans une heure de jeu, c’est ce qui se passe pour certains enfants, qui sont ravis d’être délogés au bout d’une heure d’entraînement. Il faut se poser des questions. Accompagner un enfant vers le haut niveau, c’est louable, mais à condition que cet enfant donne tous les signes de le vouloir réellement.

Depuis juin 2014, vous avez débuté un nouveau chapitre de votre vie, aujourd’hui quel regard portez-vous sur l’ensemble de votre carrière ?
Je vais paraphraser Miou-Miou, en disant avec les cartes que j’avais en main au départ, je m’en suis pas mal sortie. Au départ de ma carrière, j’avais très peu confiance en moi, au tennis cela n’avait pas trop marché, comme à l’école. Je faisais également beaucoup de fautes d’orthographe, ce qui était très mal vu à l’époque. Mais malgré tout, je me suis accrochée à ce que j’aimais, en essayant de raconter le plus fidèlement ce que je voyais, dans l’intérêt des lecteurs. Ça a marché sans aller dans une école de journalisme, ça a marché, car j’ai eu la chance de tomber sur les bonnes personnes au bon moment. J’ai eu beaucoup de chance dans ma carrière, et j’ai fait fructifier tout cela. Aujourd’hui je suis contente de ça.

Propos recueillis par E-A. Première parution le 1er juin 2015.

N'oublie pas de gagner dans les coulisses du tennis féminin.

N’oublie pas de gagner dans les coulisses du tennis féminin.
©Stock / ©Corbis Corey Jenkis couverture Pierre Martin Vielcazat