Nicolas Mahut : « Je ne veux pas avoir de regrets »

22 juin 2015 Non Par SoTennis
Nicolas Mahut BNP PARIBAS PRIMROSE 2015

©SoTennis

Sur un court de tennis Nicolas Mahut n’est jamais aussi épanoui qu’à la volée. Attaquant né, c’est là qu’il a cultivé son identité de jeu. Mais pour parvenir à atteindre son rêve de gosse, l’Angevin a dû surmonter une pléthore d’épreuves, qu’une vie peut infliger. Comme sur le court, « Nico » a toujours avancé, avec humilité et patience, et avec une forme de résilience hors du commun. Sur sa surface préférée, le gazon, c’est là qu’il a remporté en 2013 ses deux premiers titres en simple [à ‘s-Hertogenbosch et à Newport], et c’est là qu’il a remis ça, le 14 juin dernier, en s’adjugeant de nouveau le trophée à ‘s-Hertogenbosch, après être sorti des qualifications. Pour So Tennis, le Frenchie évoque avec sincérité et générosité, son parcours d’homme, sa première sélection en Coupe Davis, ainsi que ses nouveaux objectifs.

En mars dernier vous avez été sélectionné pour la première fois en équipe de France de Coupe Davis, pour y disputer le double. Aujourd’hui quel souvenir gardez-vous de ce moment?
Déjà une fierté au moment de l’annonce de ma sélection. J’ai beaucoup d’images en tête. Il y a eu beaucoup d’émotions. Il y a eu aussi une semaine de haute intensité et de concentration pour être performant le jour J. Et la rencontre en elle-même, avec la victoire le vendredi de Gilles Simon au bout du suspens, celle de Gaël, puis la victoire avec Julien en double le samedi. Cette victoire représente énormément de choses pour moi, car avec Julien nous nous connaissons depuis plus de 20 ans, on a commencé à jouer en double ensemble, et on s’était dit qu’un jour ce serait bien de jouer en Coupe Davis, et on a réussi à le faire.

A l’issue de cette victoire, vous n’avez pas oublié de mentionner Louis Borfiga, pourquoi l’avoir fait lors de ce moment ?
C’est lui qui a été à l’initiative de notre association en double avec Julien Benneteau. Lorsque nous étions à l’INSEP (ndlr: ‘Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) avec Julien, Louis nous a convaincu de jouer ensemble, car il pensais que nous pouvions avoir de bons résultats chez les juniors, mais aussi chez les seniors. En 1999 nous avons remporté en double avec Julien l’US Open, puis nous sommes devenus champion du monde. Par la suite, nous avons gagné plusieurs titres en double sur le circuit, avec de très bons résultats en Grand Chelem. Se retrouver plus de 16 ans après en Coupe Davis, c’était important de lui rendre aussi hommage, car c’est l’un des tout premiers à avoir cru en nous.

La concurrence semble rude pour intégrer cette équipe de France. Lors de cette campagne 2015, pensez-vous en faire de nouveau partie ?
J’ai réalisé un rêve, et lorsqu’on y a goûté on a envie d’y revenir. Mon principal objectif est d’être le mieux préparé possible, d’être le meilleur joueur possible, pour n’avoir aucun regrets, et éviter de me dire que si je rate une sélection, c’est parce que j’ai pas réalisé les efforts nécessaires pour être prêt, ou parce que je joue mal. Mon principal objectif aujourd’hui à 33 ans c’est de vivre encore de grandes émotions, et je joue encore au tennis pour cela. Ces émotions je peux les vivre en Coupe Davis, aux Jeux Olympiques, en double… Je crois vraiment en cette équipe de France de Coupe Davis. Il y a beaucoup de joueurs qui peuvent y jouer. Je suis convaincu que nous pouvons la remporter cette année. Bien sûr j’aimerais faire de nouveau partie du groupe, mais si je n’y suis pas, j’accepterais le choix du capitaine, tout en étant toujours pour et dernière cette équipe.

«  J’ai vraiment l’impression de rentrer dans le temple du tennis quand je vais là-bas »

Le quart de finale entre l’Angleterre et la France se jouera sur gazon au Queen’s à Londres. Le fait qu’il se déroule sur gazon vous a-t-il donné une motivation supplémentaire pour préparer au mieux la saison sur gazon?
Pour moi le Queen’s reste un endroit particulier. C’est là-bas que j’ai disputé ma première finale sur le circuit principal, j’ai battu Nadal, j’ai eu une balle de match pour gagner le tournoi… Le Queen’s est un lieu qui est aussi chargé d’histoire, un club est une surface que j’affectionne et cela rajoute un caché supplémentaire à cette rencontre.

Sur le circuit professionnel vous êtes l’un des rares joueurs à faire encore service-volée. A partir de quel moment avez-vous travaillez cette identité de jeu?
C’est venu assez naturellement, dès que j’ai commencé à jouer au tennis j’ai été attiré à venir au filet, car c’est là où j’étais le meilleur. Ensuite, même si j’ai travaillé mon jeu de fond de court avec mes entraîneurs, ce côté atypique a perduré. J’ai poursuivi dans cette voie, dans l’optique de gagner des matches, avec mon style de jeu. Aujourd’hui la plupart des joueurs jouent de la même manière, et ils sont plus forts que moi en fond de court, et naturellement c’est en venant à la volée que j’ai le plus de chance de gagner.

Depuis plus 10 ans un ralentissement des surfaces s’est opéré. Le regrettez-vous?
On a assisté depuis à des matches exceptionnels, mais le fait d’avoir ralenti certaines surfaces, a amené aussi des jeux stéréotypés. La majorité des joueurs jouent à peu près de la manière. Certes ils amènent le tennis à un niveau qui n’a jamais existé, par une prise de balle précoce, par des conditions physiques irréprochables, mais je trouve qu’il manque des oppositions de style, comme c’était le cas avec par exemple Pete Sampras face à Andre Agassi. Aujourd’hui ça me manque un peu.

Votre style de jeu convient particulièrement bien au gazon, où vous avez remporté en 2013 à l’âge de 31 ans vos deux premiers titres en simple à ‘S-Hertogenbosh et à Newport. Aujourd’hui êtes-vous « apaisé » d’avoir réussi à accrocher ces titres en simple ?
J’ai toujours couru après ces titres. Lorsque j’ai débuté ma carrière j’ai toujours eu des objectifs. Mais j’ai jamais eu comme objectif lorsque j’ai débuté ma carrière, de devenir n°1 mondial, ou remporter un Grand Chelem, car cela me paraissait inaccessible. Mais en revanche remporter un tournoi, jouer en Coupe Davis et les Jeux Olympiques ont été mes principaux objectifs. Le fait d’avoir gagné le premier tournoi en simple, m’a procuré une grande satisfaction, et m’a permis de poursuivre mon chemin plus sereinement, en me disant que j’avais au moins réalisé l’un des mes objectifs.

« Aujourd’hui mon objectif principal c’est de gagner un Grand Chelem en double »

Votre style de jeu convient particulièrement bien aussi à Wimbledon. Que ressentez-vous de jouer ce tournoi?
Il est à mes yeux le plus grand tournoi de tennis. Évidement en tant que français il y a Roland-Garros, mais à chaque fois que je me rends à Wimbledon je ressens l’histoire du tennis. Du fait de son ancienneté, de ses traditions, du fait que lorsqu’on le joue le blanc est de rigueur… je suis attaché à tout cela. Quand j’ai remporté le tournoi chez les juniors en l’an 2000, c’était pour moi un moment très fort. J’ai vraiment l’impression de rentrer dans le temple du tennis quand je vais là-bas.

Remporter ce tournoi en double est-ce l’un de vos objectifs cette année?
Aujourd’hui mon objectif principal c’est de gagner un Grand Chelem en double, au même titre que de se qualifier pour le Masters de fin d’année, que j’ai jamais joué. Même si je m’entraîne dur tous les jours et que je suis concentré pour d’autres événements, quand arrive les Grands Chelems, l’adrénaline est différente. Il faut être concentré sur deux semaines, le format de jeu est différent. Le faire à Wimbledon ce serait magique, mais il n’y a pas que ce tournoi.

Un endroit où vous avez disputé en 2010 face à John Isner, au 1er tour, le match le plus long de l’histoire du jeu. Aujourd’hui comment considérez-vous John?
Il est un adversaire si jamais nous sommes amenés à jouer l’un contre l’autre, mais aujourd’hui il est devenu un très bon copain. J’ai eu l’occasion de rencontrer certains membres de sa famille. Ce que je retiens ce cette histoire, c’est le fait qu’il y a désormais un lien entre nous, et nous n’avons pas besoin de l’évoquer. Ce lien il perdura bien au-delà de nos carrières.

Un match qui fera naître le livre « Le match de ma vie » où vous revenez sur cette rencontre, sur votre parcours et notamment sur vos « années noires ». Aujourd’hui quel regard portez-vous sur cette période?
Dans une carrière comme dans la vie il n’y a pas que des moments forts. Certains moments ont été plus délicats que d’autres comme la maladie de ma mère. Ce fut difficile à gérer, d’autant plus que j’étais en pleine phase de construction. J’essayais de vivre ma passion, tout en ayant un sentiment de culpabilité de ne pas être auprès d’elle. En plus des blessures et des remises en question. Mais tout ceci fait partie de la vie d’un joueur professionnel. Aujourd’hui c’est ce qui m’a construit en tant qu’homme. Ces années là je ne souhaite pas les effacer, ni les oublier, c’est comme cela que je me suis construit. Ma carrière est faite de chutes, de renaissances, et j’en suis fier.

Vous êtes passé par toutes les filières fédérales. Ces dernières sont parfois critiquées. Que répondez-vous à ses détracteurs ?
Toutes les nations du monde nous envie notre système de formation. Le système de détection et de formation dans les différentes ligues pour les joueurs âgés entre 12 et 18 ans est exceptionnel. Bien sûr qu’il y a certains points à améliorer, on pourrait par exemple s’inspirer de ce qui se passe par exemple en Espagne, mais aujourd’hui les aides qui sont apportées aux clubs, aux ligues puis dans les pôles France, sont très bonnes. Je pense également qu’il faut laisser du temps aux joueurs de travailler avec leurs entraîneurs, de mettre peu à peu une structure en place, et c’est peut être ce point qui plus critiqué que le système. Bien qu’il y ait quelques points à modifier, dans l’ensemble il y a un très grand système de formation.

Pour conclure quels conseils donneriez-vous à un joueur qui passe des juniors au circuit professionnel?
Tout d’abord je suis très ouvert pour échanger avec ces jeunes joueurs. Je sais qu’ils ont tous des entraîneurs, mais à un moment précis, je peux être disponible pour le faire, et prêt à essayer de leur faire gagner du temps. Lorsque j’avais 18 ans Arnaud Clément et Sébastien Grosjean m’avaient beaucoup aidé, et je n’ai pas oublié cela. Aujourd’hui, c’est à mon tour d’en faire de même à travers des entraînements, ou des discussions avec ces jeunes. La difficulté est de pouvoir être disponible pour ces joueurs, sans s’immiscer dans leur travail. Je crois qu’il faut être ambitieux sans brûler les étapes. Il faut passer par le travail, et ne pas tout remettre en question dès la première défaite. Le processus est difficile, à part les plus grands qui sont arrivés au sommet à 17, 18 ans, pour 80% des joueurs cela prend du temps, c’est un travail qui s’installe. C’est important de bien travailler, dans la sérénité, d’être ambitieux, mais de prendre son temps.

Propos recueillis par E-A