40 ans de tennis

40 ans de tennis

23 février 2016 Non Par SoTennis

Dans quelques jours Tennis Magazine aura 40 ans. Qui l’eût cru que cet incontournable mensuel, au ton résolument positif, soit toujours là après tant d’années? Jean Couvercelle, son fondateur qui a récemment cédé son « journal » à Benjamin Badinter, a sa petite idée sur les raisons de cette longévité hors du commun. Avec générosité, ce passionné de la petite balle jaune et de la presse, évoque cette folle aventure, qui a débuté en mars 1976.

Tennis Magazine

Tennis Magazine fête ses 40ans. ©SoTennis

En mars prochain Tennis Magazine fêtera ses 40 ans. Comment cette aventure a-t-elle débuté?
À la fin de l’année 1975, j’ai souhaité créer le journal que j’avais envie de lire. Il y avait déjà le magazine Tennis de France, mais il ne répondait pas tout à fait à mes attentes. À l’époque, j’étais journaliste à France Soir, où je m’occupais du rugby, du golf et du tennis qui était mon sport de prédilection. Avec trois amis nous avons créé Tennis Magazine.

«Créé en 1976 par quatre passionnés de tennis», c’est ce que l’on peut lire aujourd’hui sur les comptes Twitter et Facebook de Tennis Magazine, en guise de présentation. Qui sont ces quatre passionnés?
La première personne que j’aimerais citer est Pierre Barret, qui a été un grand homme de presse. Il a été directeur général de l’Express et avait créé Moto Journal (sa passion à lui) avant de participer à la création de Tennis Magazine. Sans lui, je pense que j’aurais eu du mal à atteindre mon objectif. Il avait une grande expérience, mais ne connaissait pas le tennis. Nous nous sommes rapprochés grâce à un ami en commun, Denys Godin, qui était en charge de la publicité à l’Express et qui était lui aussi un passionné de tennis. La quatrième personne est Monique Helfenberger, bras droit de Pierre Barret.

40 ans plus tard Tennis Magazine est toujours présent en kiosque, ce qui n’est pas le cas de vos anciens concurrents. Comment l’expliquez-vous?
Nous ne sommes pas forcément les mieux placés pour dire pourquoi 40 ans après Tennis Magazine est toujours là. Malgré ces concurrents qui sont apparus au fil du temps, je pense que par son contenu, sa maquette et ses innovations constantes, Tennis Magazine a su fidéliser le plus grand nombre de lecteurs et de passionnés de tennis.

«Les générations, les lecteurs, changent. De ce fait, il faut apporter un nouveau visuel, un nouveau regard»

Le n°392 de novembre 2008 marque un tournant dans la vie de Tennis Magazine, avec un changement de logo, de format, de maquette, de papier. Quel a été votre cheminement pour prendre ces décisions?
J’ai souhaité être à l’origine de ce changement, et précéder un éventuel constat d’une nécessité de changer. Nous avons effectivement changé le logo, qui était auparavant très identifiable, de par sa couleur verte et de par la forme de ses caractères, ce qui fut une réelle prise de risque. Mais aussi le format et toute la maquette. Quelques rubriques ont survécu, d’autres ont été créées. C’est le propre d’un magazine d’évoluer régulièrement. Ce sera d’ailleurs à nouveau le cas pour Tennis Magazine dès le mois de mai prochain, avec une nouvelle formule et un nouveau logo, souhaités par Benjamin Badinter, qui a repris le titre à l’automne dernier

À ce moment-là, était-il difficile pour vous d’enfin «tout» changer, alors que «tout» allait bien?
C’est un état d’esprit à avoir, y compris lorsque les choses vont bien. Tout évolue, tout «vieilli». On ne s’en rend pas forcément compte lorsque l’on est au chevet d’un magazine. Nous avions pris le parti de changer. Les générations, les lecteurs, changent. De ce fait, il faut apporter un nouveau visuel, un nouveau regard. Cela c’est d’ailleurs bien passé, car les lecteurs ont été réceptifs à cette évolution, même s’il y a eu quelques regrets à propos du précédent logo. Malgré tout, il n’y a pas eu de rupture.

Tennis Magazine n°1 avril 1976. ©TennisMagazine

Tennis Magazine n°1 avril 1976. ©TennisMagazine

En 40 ans d’existence, avez-vous tissé des liens amicaux avec des champions voire avec les acteurs du monde du tennis?
Il y en a évidemment. Jusqu’à quel niveau de proximité? C’est très variable. Celui avec lequel les liens les plus étroits ont été tissés, est Yannick Noah. Il a été collaborateur de Tennis Magazine dès 1979, alors qu’il n’avait que 19 ans. C’est lui qui a souhaité s’exprimer dans les colonnes du magazine, en écrivant lui-même une chronique mensuelle pendant près de quatre ans. Puis, en 1997, lorsque j’ai repris le titre Tennis Magazine au groupe Lagardère, Yannick est devenu un associé du magazine durant quelques années, et de nouveau un collaborateur. Il y a eu aussi une certaine proximité et une confiance mutuelle, avec d’autres champions et pas seulement Français. Par exemple avec Björn Borg j’avais une relation assez proche avec lui. Tennis ag était le seul magazine auprès où il s’exprimait au moins une fois par an, lors d’un entretien en tête à tête.

«Roger Federer sera le grand témoin de notre numéro spécial des 40 ans de Tennis Magazine»

Dans ces conditions, est-il toujours possible pour vous de «porter la plume dans la plaie»?
La plaie c’est peut-être un grand mot. En tout cas dire les choses telles qu’on les ressent, oui. Dire qu’un joueur a raté telle ou telle chose, oui évidemment on le dit. Dire qu’un dirigeant n’a pas forcément fait à nos yeux le bon choix, on le dit aussi. Cela fait partie de notre métier. Si l’on abandonnait cette autonomie-là, je pense qu’on perdrait tout ce qui compose l’âme du métier de journaliste. Je pense que nous avons toujours essayé de respecter les acteurs du monde du tennis, qu’ils soient joueurs, entraîneurs, dirigeants… Car lorsqu’on les respecte, on peut dire les vérités, même si parfois elles sont difficiles à accepter.

La manière de décrocher une interview, spécialement avec les «Top Players» a-t-elle changé par rapport à vos débuts?
Oui, énormément. À l’époque, les joueurs n’étaient pas entourés d’autant de personnes qu’aujourd’hui. En tant que magazine spécialisé, il était plus «simple» d’aborder directement les joueurs, ou grâce à leur entourage immédiat. De nos jours, il y a des barrages qui ne sont pas forcément faciles à franchir. Mais nous avons l’extraordinaire privilège que Tennis Magazine soit connu et reconnu sur le circuit international. En 40 ans d’existence, toutes les générations de joueurs ont connu ce titre. Même s’ils ne lisent pas tous le français, ils se font traduire lorsqu’un article les concerne. Ils ont pu constater que c’est un magazine qui est le plus possible fidèle à la réalité et aux valeurs du sport. On peut ainsi avoir des contacts avec les plus grands joueurs. Par exemple Roger Federer sera le grand témoin de notre numéro spécial des 40 ans de Tennis Magazine. Il a eu la gentillesse de passer un long moment en tête à tête avec nous, ce qu’il fait très rarement.

En 40 ans d’existence différents champions ont fait la Une de Tennis Magazine. Chez vous, qui décide de cette Une et de son titre?
J’ai souvent décidé, toujours en échangeant avec mes collaborateurs. La plupart du temps c’est l’événement qui commande le choix de couverture, comme les tournois du Grand Chelem. Ce choix, on l’a parfois parce que l’on met une femme plutôt qu’un homme, comme ce fut le cas en 2004 lorsque Maria Sharapova avait remporté à 17 ans son premier Majeur, à Wimbledon, alors que Roger Federer remportait pour la deuxième fois ce tournoi.

«Il y a eu quelques personnes qui nous ont reproché cette Une, et d’avoir «compliqué» le parcours de Richard Gasquet»

Les membres du « Big 4 » font-ils plus vendre?
Aujourd’hui, il y a deux joueurs qui se distinguent par rapport aux autres, en ce qui concerne les ventes. Roger Federer et Rafael Nadal sont pour l’instant au-dessus de Novak Djokovic, en termes de notoriété et de popularité. Ce sont ces deux-là qui font un peu plus vendre que les autres.

Tennis Magazine a vu se succéder pléthore de collaborateurs, qui sont désormais pour certains des journalistes ou photographes indépendants. C’est quoi l’école Tennis Magazine?
Celle du plaisir et de la rigueur. Il faut bien évidemment apprécier ce sport pour ressentir et traduire au mieux ses émotions. Ce que nous avons toujours essayé de faire est d’être le reflet le plus proche possible de ce qui peut se passer au bord du court. La plupart de nos lecteurs sont des passionnés, et ils ont une exigence au niveau du contenu qui est totale. Ce qui est bien normal, puisqu’ils connaissent très bien le tennis. Si l’on peut appeler cela une école, Tennis Magazine, c’est bien le plaisir et la rigueur.

Parmi eux il y a eu Guy Barbier (décédé d’une crise cardiaque en juin 2015), quel rôle a-t-il joué au sein de Tennis Magazine?
Guy m’a rejoint en 1982. Très intéressé et passionné par le tennis, il avait vraiment envie de travailler pour Tennis Magazine. Nous avons fait un long parcours ensemble, puisqu’il est parti en 1997, après avoir été rédacteur en chef adjoint puis rédacteur en chef à mes côtés. C’était un journaliste de grande qualité (plaisir et rigueur !) et avec une culture et une qualité d’écriture que l’on trouve rarement. Il est revenu à Tennis Mag fin 2001, avant de partir en 2007, vers de nouvelles aventures, pour prendre la direction de Golf Magazine, son autre passion. Nous n’avons jamais cessé de nous voir. C’était avant tout un ami très proche.

«Le tennis est ma passion, mais la presse l’est bien plus encore»

C’est lui qui était allé à la rencontre de Richard Gasquet à Serignan, en 1996. La Une et le titre, c’était son idée?
C’était une idée commune et partagée. Nous avions surtout eu l’accord des parents de Richard pour éviter toute mauvaise surprise. C’est toujours assez délicat de mettre un enfant comme cela en couverture, d’ailleurs nous ne l’avons fait qu’une seule fois dans cet esprit-là. Avec Guy, nous en avons très souvent reparlé, car il y a eu quelques personnes qui nous ont reproché cette Une, et d’avoir «compliqué» le parcours de Richard. De 9 ans jusqu’à ses 16 ans, il n’a eu aucun frein. Ses freins (relatifs) ont commencé en réalité lorsqu’il a abordé les premières grandes difficultés qu’un sportif peut rencontrer. Je ne pense pas que cette Une de Tennis Magazine à 9 ans l’ait contrarié.

En avril 2000, en complément de Tennis Magazine, vous avez lancé Tennis+. 16 ans plus tard, il est toujours présent en kiosque. Ses lecteurs sont-ils les mêmes que Tennis Mag?
Nous nous étions rendu compte que Tennis Magazine tel quel, était peut-être un peu trop dense pour de jeunes lecteurs. C’est comme cela qu’est né Tennis+, avec comme objectif de donner envie à des très jeunes de lire plus tard Tennis Magazine. Dans chaque numéro, Tennis + propose un poster géant, et 8 fiches prédécoupées concernant les joueuses et joueurs du circuit professionnel. Ce magazine est disponible à la vente tous les deux mois ou par abonnement, dans une offre complémentaire de Tennis Magazine.

Avec l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, quel est encore l’intérêt d’acheter et lire Tennis Magazine?
Il est vrai qu’il y a 15 ans, les lecteurs découvraient 75% des informations présentes dans le magazine. Aujourd’hui, ils en découvrent en moyenne 35 %. L’intérêt réside dans le complément de ce que nous ne pouvons pas trouver sur Internet. Internet et les réseaux sociaux sont des outils formidables que nous utilisons. Néanmoins, Tennis Magazine répond aux besoins des passionnés, et leur permet de hiérarchiser, classifier, toutes les informations concernant le tennis, et à mieux se repérer par rapport à ce qui s’est passé dans le mois. Bien évidemment Tennis Magazine ce n’est pas seulement cela, car cela serait insuffisant. Ce sont aussi des entretiens, des dossiers, des reportages… et des photos, qui ont un meilleur rendu sur papier, que via un écran.

Si vous pouviez revenir en 1976, que diriez-vous au Jean Couvercelle qui débutait cette aventure?
Ne te lance pas là-dedans. Je me suis rendu compte très vite de la difficulté qu’il y avait à créer un magazine, à le faire connaître et à l’installer. Mais en même temps je lui dirais de foncer. Lorsque l’on a la chance de pouvoir faire quelque chose qui correspond à sa passion, c’est une chance formidable. Le tennis est ma passion, mais la presse l’est bien plus encore. Donc il faut se lancer, au-delà des difficultés.

Propos recueillis pas E-A