Iconic Rafael Nadal

Iconic Rafael Nadal

25 octobre 2023 Non Par SoTennis

Témoin de l’histoire du tennis, Corinne Dubreuil, photographe indépendante, parcourt son monde depuis plus de 30 ans. Celle qui parvient à, si bien, magnifier les émotions de ses modèles, a réalisé un rêve. Consacrer un ouvrage, mêlant art et sport, à l’un des athlètes les plus iconiques de son époque, son chouchou, Rafael Nadal.

Comment ce beau livre, de 256 pages, consacré à Rafael Nadal est-il né ?

Cela fait très très longtemps que j’ai cette idée en tête. Pour être clair, en 2012, j’avais proposé à l’entourage de Rafa un livre. À l’époque, c’est moi qui l’avais fait avec mes petites mains. C’était un livre en noir et blanc que j’avais imprimé. On m’avait dit que c’était trop tôt pour faire quelque chose sur Rafa. J’avais mis cela de côté. Et puis le hasard fait souvent bien les choses. Il y a un an, Guillaume Lagnel a publié un livre chez Amphora, “Nadal, le guerrier ultime”. Avant cela, il m’avait contactée pour que j’illustre cet ouvrage avec mes photos. J’étais flattée et j’avais accepté. J’ai ainsi rencontré Renaud Dubois, le directeur général des Éditions Amphora. On a bien accroché, on a évoqué ce qui pour moi était un rêve, ce livre photo sur Rafael Nadal, que j’imaginais depuis longtemps, et en une minute, il m’a dit : “Banco, on le fait”.

Quel a été votre processus pour sélectionner les différentes photos présentes dans ce livre et éviter le “déjà-vu” ?

Il y a quelques années (ndlr: en 2018), lorsque j’avais fait un livre sur Roger Federer (FEDERER FOR EVER), je me suis replongée dans toutes mes archives. Soit plus de vingt ans. Je me suis dit que c’était l’occasion de mettre de côté les photos de Rafa et des Grands Chelems en général. Je suis plutôt bien organisée dans mon classement de photos. Cela a pris beaucoup de temps, mais je savais où chercher et comment chercher. J’ai mis plein de photos de Rafa de côté en me disant : “on ne sait jamais, cela peut servir un jour”. J’espérais au fond de moi que cela arrive. Je me suis retrouvée avec plusieurs centaines de photos sélectionnées. Certaines connues, puis heureusement d’autres jamais publiées. Lorsqu’on a eu concrètement le projet du livre, j’avais déjà des choses de côté. Par la suite, nous nous sommes posés deux jours aux Éditions Amphora, avec le directeur artistique du livre, puis nous avons choisi ensemble les photos, ainsi que la mise en page. Nous avons ainsi constitué ensemble la première maquette. Il y a eu quelques ajustements par la suite, mais ce fut vraiment un travail d’équipe. Je tenais vraiment à participer à la progression du livre de A à Z, car je suis un peu pointilleuse sur les cadrages photos… L’ombre d’une balle ou un pied coupé, c’est pour moi insupportable. Au final, pouvoir faire cela avec le directeur artistique, ce fut un gain de temps pour tout le monde et ce fut pour ma part très satisfaisant, même au-delà de ça. J’ai eu la chance d’avoir la confiance immédiate de l’ensemble de l’équipe d’Amphora et de son directeur, Renaud Dubois. On avait le même mot d’ordre, esthétisme. Je crois que nous y sommes arrivés avec Christophe Poissenot, le directeur artistique.

Comme photographe freelance, vous photographiez, entre autres, Rafael Nadal, pour différents médias, depuis près de 20 ans. Comment, pour cette publication, avez-vous organisé, à travers vos clichés, la narration de la riche carrière de Rafa?

Nous ne souhaitions pas faire une biographie. Les photos les plus anciennes au début et les plus récentes à la fin. Nous souhaitions quelque chose d’harmonieux. C’était vraiment ça le fil conducteur, de faire un beau livre avec de belles photos. Il y a un peu toute la carrière de Rafa dans ce livre, il manque des choses, car je n’ai pas assisté à tout, comme son titre olympique (à Pékin en 2008), je n’y étais pas, en revanche, j’ai assisté à ses 22 victoires en Grand Chelem. Elles n’y sont pas forcément toutes, mais je crois que le fan de Rafa retrouvera au fil des pages tous les événements les plus importants qui ont marqué sa carrière.

Dans ce livre, vous le montrez, aussi, autrement qu’avec ses trophées…

On ne voulait pas montrer le gars qui lève les bras, qui lève des coupes, ses vingt-deux titres en Grand Chelem. Nous voulions vraiment montrer à travers mes photos, l’émotion, qui est Rafa. Avec tous ses tics, montrer le guerrier, mais aussi l’homme qui peut être vulnérable à certains moments. C’était vraiment cela l’idée, l’émotion. Partager, transmettre une émotion, et à travers mes photos montrer comment je vois Rafa et ma sensibilité quand je le photographie.

Vos photographies de Rafa sont particulièrement épurées. Comment vous y prenez-vous pour capter l’émotion, l’esthétisme, sans toute la publicité des annonceurs présente autour du court, qui est malgré tout essentielle à l’organisation d’un tournoi ?

Si je fais un match de Rafa, je vais avoir aussi des photos où il y a la publicité. Là, le propos du livre, c’était vraiment de montrer de belles photos avec des fonds épurés, avec rien qui viendrait perturber l’image. J’aime prendre de la hauteur. Dans un stade, dès que vous montez un peu, vous avez des fonds propres, avec le joueur, la couleur du court… On sait où on est. Lorsqu’il y a la terre battue, il y a de grandes chances que cela soit Roland-Garros, le bleu, c’est l’Open d’Australie… L’identité du tournoi est sur les photos, sans pour autant montrer les panneaux publicitaires, qui sont, comme vous le soulignez, très importants pour les tournois. Mais là, dans le cadre de ce livre, ce n’était vraiment pas le propos.

Nadal – Iconic par Corinne Dubreuil aux Éditions Amphora.
Parution le 26 octobre 2023 / © Corinne Dubreuil / Éditions Amphora.

Pour saisir ces instants, il faut non seulement bien connaître les stades, mais il faut aussi monter les escaliers, même s’il y a des ascenseurs, emprunter les passerelles, aller sur le toit d’un court, redescendre, beaucoup marcher. Bref, il faut être en forme…

C’est physique ! J’avoue que c’est fatigant, c’est de plus en plus, car moi aussi je vieillis, mais on sait pourquoi on le fait. Lorsque je dois monter je ne sais combien de marches pour aller au sommet du court Arthur Ashe, à l’US Open, je sais ce que je vais chercher. L’ascenseur, s’il est là, je le prends, mais parfois non. Les efforts à fournir pour aller chercher la bonne photo sont faits sans même y penser. Quand tu es dans ton tournoi, tu te donnes à fond. Oui, c’est physique, oui, tu es fatigué… Mais cela dure quinze jours. Tu te reposes après.

La préface de ce livre est signée par Amélie Mauresmo, que vous avez suivez dès ses 11 ans et durant toute sa carrière. Depuis 2022, elle est directrice du tournoi de Roland-Garros. Pour vous, c’était une évidence qu’elle rédige la préface de cet ouvrage-là ?

Je n’ai pensé à personne d’autre qu’à elle. Simplement parce que déjà, elle connaît bien évidemment le tennis, comme directrice du tournoi de Roland-Garros, elle côtoie les joueurs et Rafa elle le connaît. Le fait que l’on se connaisse depuis presque trente ans, c’était évident. Elle connaît ce que je fais, elle sait comment je le fais. Je pense que c’était la mieux placée pour parler de Rafa et de mon travail. Je n’ai pas eu à la convaincre, elle a dit oui tout de suite. Début octobre, je lui ai remis le livre avec une petite dédicace. Elle était contente pour moi. Personnellement, c’était important que cela soit elle.

Amélie Mauresmo avec Rafael Nadal le 29 mars 2023, lors d’une visite à la Rafa Nadal Academy à Manacor
/ ©Rafa Nadal Academy.

Avez-vous envoyé ce livre à Rafa ?

Oui, je lui ai envoyé il y a quelques jours. Après, c’est assez compliqué pour un joueur de s’exposer avec un objet quelconque qui n’est pas fait par lui. Je n’attends rien, mais cela me paraissait tellement évident de partager cela avec lui. J’espère qui l’aimera et qu’il se retrouvera à travers ces pages et cela me fera plaisir. Son entourage était au courant du projet. Cela peut paraître étonnant pour pas mal de gens, mais lorsqu’on fait ce genre de livre où l’on met en avant son travail, il n’y a pas besoin d’avoir l’accord de l’intéressé, Rafa en l’occurrence.

Le 24 octobre, au SPORTEL Awards, vous avez reçu pour cet ouvrage, Nadal – Iconic, le Prix du livre Renaud de Laborderie, parainé par le Comité Olympique Monégasque. Que signifie pour vous de recevoir cette distinction, trois jours avant la sortie officielle du livre ?

C’est une récompense pour toutes ces années de travail. Lorsqu’on voit le jury, composé d’athlètes, d’un photographe, d’un reporter, un panel de personnalités assez variées, recevoir ce prix est gratifiant, cela me touche. C’est une soirée que je ne suis pas prête d’oublier. Là, on va dire que cela a été un succès – en provenance – du milieu, de la profession. Le livre, qui va sortir trois jours après cette soirée, est fait pour tous les gens qui aiment le sport, le tennis et qui aiment Rafael Nadal. À présent, j’espère que les gens vont aimer et que cela va être un succès.

À l’occasion de la sortie du livre le 26 octobre prochain, le public aura l’occasion de vous rencontrer lors d’une séance de dédicaces…

Absolument. Au départ, le livre devait sortir le 2 novembre, cela a été avancé au 26 octobre, jour que l’on avait choisi pour réaliser une séance de dédicaces à Paris. Elle aura lieu dans un hôtel absolument sublime La Belle Juliette, rue du Cherche-Midi (dans le VIe arrondissement), de 17 h 30 à 19 h. Je trouvais normal de pouvoir ouvrir cette soirée aux gens qui aiment le tennis, aux fans de Rafa. Sur place, il y aura quelques livres en vente. Cette soirée sera suivie d’un vernissage, avec des invités issus du monde du tennis.

Depuis 2004, vous êtes photographe indépendante, mais avant cela, pendant 13 ans, vous avez été photographe à Tennis Magazine où vous avez croisé un certain Serge Philippot. Est-ce lui qui a façonné votre œil ?

Je pense que Serge m’a apporté la rigueur dans le travail. On a chacun son œil. Je n’ai pas recopié ce que lui faisait. Je pense que je suis allée chercher d’autres choses. Ce qui est certain, c’est qu’il m’a apporté la rigueur, l’organisation, des choses essentielles que je retrouve toujours aujourd’hui. La base de mon travail, c’est lui qui me l’a apportée. Je dis souvent que c’est mon mentor, mais c’est vraiment ça. Je ne pouvais pas rêver d’une meilleure personne que lui pour m’apprendre cela. Lors des premières années, il m’a guidée et je lui en serai toujours reconnaissante. Il y a pas très longtemps, nous nous sommes croisés. C’était génial. Il me posait plein de questions sur le matériel d’aujourd’hui… Les temps ont changé. L’époque des années 1990 et début 2000 n’a rien à voir avec aujourd’hui. Le travail est complètement différent, avec les réseaux sociaux, c’est un autre univers.

Au bord du court Phillippe-Chatrier, quelques jours avant que ne débute l’édition 2022, je me souviens avoir été épaté par le silence de votre boîtier lors de votre prise de photos de Novak Djokovic à l’entraînement. Cette avancée silencieuse est assez récente…

Cela faisait quelques années que les différentes marques travaillaient sur des boîtiers silencieux que l’on appelle des hybrides. Désormais, dans ces modèles, il n’y a plus ce miroir qui faisait clic-clac et qui pouvait parfois perturber certains joueurs. C’était quand même une minorité. Aujourd’hui, ce silence, c’est un tel confort. Il ne nuit absolument pas à la qualité de l’image. Je me dis pourquoi on n’a pas eu ça plus vite… C’est tellement confortable de passer inaperçue. Il y a évidemment les photos sur le court, mais dans les coulisses, là c’est fantastique, car on se fait oublier. On ne dérange personne. Pour moi, c’est une révolution, du même ordre que le passage au numérique. Je pense que bientôt, il n’y aura plus que cela, même pour le grand public. Cela change beaucoup de choses et qu’en positif.

En ce qui concerne le poids des objectifs, y a-t-il une évolution significative ?

Malheureusement, c’est toujours aussi lourd ! Je rêve d’un objectif qui n’existera jamais qui irait du grand-angle au très très très serré, mais c’est irréalisable. Donc on est toujours obligé d’avoir 15 à 20 kilos sur le dos. C’est un gage de qualité. On pourrait avoir des choses plus légères, mais ce serait moins bon. Je préfère encore défoncer mes épaules et utiliser des objectifs, qui je sais vont magnifier l’image, plutôt quelque chose de plus léger. La différence serait visible, en tout cas moi, je la verrai et ce n’est pas satisfaisant.

En tournoi, parvenez-vous désormais à vous “ménager”, tout en remplissant vos missions, ou est-ce toujours à fond, quitte à perdre quelques kilos ?

C’est vrai que lors d’un Grand Chelem, ce n’est pas rare de perdre deux, trois kilos. Cela me va très bien. Par rapport aux besoins des clients que l’on peut avoir, j’ai essayé récemment de peut-être me “ménager” les premiers jours. Les quatre, cinq premiers jours d’un Grand Chelem sont les plus difficiles, parce qu’il y a un nombre incroyable de matchs à couvrir. J’ai essayé de toujours avoir ce qu’il faut pour mes clients, mais parfois de “m’économiser” sur la durée d’une journée. Par exemple lors du dernier US Open, les premiers jours, je ne suis pas toujours restée jusqu’à la toute fin des sessions de nuit. J’ai fait les photos des matchs et quand j’avais ce qu’il me fallait, une belle action une belle réaction, je me disais : “Stop, tu rentres, tu vas finir de travailler à l’hôtel”. Rentrer à trois du matin, dès le lundi, pour être “cramé” le jeudi, non ! C’est quelque chose de nouveau, ce n’est pas évident. En procédant comme cela, en s’organisant, je me suis rendu compte que, quand même, j’étais beaucoup plus efficace au quatrième, au cinquième jour et les jours d’après.

C’est aussi cela l’envers du décor. Un Grand Chelem avec des sessions de soirée, cela peut finir extrêmement tard…

C’est vraiment de longues journées. Pour moi, afin de préparer mon matériel, mon ordinateur, consulter le programme, c’est au moins une arrivée au stade une heure avant le début des matchs, qui commencent en général à 11 h. Si tu es à New York, tu comptes que ton bus va mettre une heure. Tu pars à 9 h, tu t’es couché à 4 h, donc tu as peu dormi et tu répètes cela un bon nombre de jours. Sachant que les nocturnes là-bas, c’est chaque soir. Ce n’est pas évident, donc c’est bien d’essayer de s’organiser pour se ménager.

Vous couvrez ces tournois depuis un certain nombre d’années, comment raconter le tennis différemment ?

Déjà, les stades évoluent. De par leur structure, que cela soit Roland-Garros, Wimbledon, l’Open d’Australie, l’US Open, on rajoute des toits, donc cela veut dire une ombre. Il y a des nouvelles images à faire. Ensuite, il y a des nouveaux joueurs qui apparaissent. Aujourd’hui, il y a toute une nouvelle génération. J’ai eu la chance de suivre Roger Federer, Rafael Nadal, Andy Murray… Mais actuellement, nous sommes dans un peu autre chose, il faut bien le dire. Aujourd’hui, c’est Alcaraz, Sinner, Rune… Tu apprends à connaître ces joueurs, tu les observes et tu essayes de montrer le meilleur de ce qu’ils sont. Donc tu te renouvelles tout le temps, tu as toujours des choses nouvelles à photographier, à observer, c’est pour cela que tu te lasses jamais. Après, tu as évidemment tes périodes préférées, tes joueurs préférés, mais il faut vivre avec son temps et apprendre à connaître toute cette nouvelle génération.

Si vous pouviez rencontrer la Corinne âgée de 11 ans qui débutait la photo grâce à son oncle, qu’est-ce que la Corinne d’aujourd’hui lui dirait-elle ?

Je la féliciterais de n’être jamais rentrée pour passer son rattrapage au baccalauréat en 1990, parce que je pense que si j’avais pu le faire, car je ne pouvais pas, je ne serais peut-être pas là aujourd’hui. Je lui dirais aussi que c’était bien de croire en son rêve, que ce n’est pas tombé tout cuit… J’ai la chance de vivre de ma passion, d’avoir réalisé ce rêve. Je lui dirais qu’elle n’a pas hésité à ouvrir certaines portes, à croire en elle et d’avoir fait preuve de patience pour en arriver-là aujourd’hui. Donc, je la féliciterais et je lui dirais surtout, ne change rien.

Propos recueillis par E-A