«Le tennis doit s’adapter à la société moderne»

8 juillet 2014 Non Par SoTennis


Philippe Bouin. Pour tous les amoureux de la petite balle jaune, ce prénom et ce nom correspond à la plume du tennis. Journaliste pendant plus de 25 ans au quotidien sportif  l’équipe, cet amoureux des mots sort volontiers aujourd’hui de sa retraite, pour encore faire des piges de luxe, sur son sport préféré. Avec lucidité et franchise, il évoque pour So Tennis sa vision du tennis professionnel, et l’évolution des relations avec les joueurs de haut niveau, qui ont bien changé.


Après avoir couvert de nombreux Grands Chelems à différentes époques, selon vous aujourd’hui, quelle est la principale différence que vous pouvez observer dans la relation avec les joueuses et joueurs de haut niveau?

Ils sont désormais des « chefs d’entreprises », autour d’eux de nombreuses personnes sont en charge de leurs intérêts, avec beaucoup d’intermédiaires. Les médias ont énormément évolué, le poids des télévisions est plus important qu’à mon époque. Un équilibre se fait entre les joueurs et les journalistes, qui penche désormais du côté de la télévision. L’aspect financier c’est accru ses dernières années comme celui des marques, ce qui complique les relations qui sont beaucoup moins directes. J’ai connu le temps où une simple demande d’interview se faisait directement avec le principal intéressé, ce temps est révolu aujourd’hui.

Vous avez eu l’opportunité de suivre plusieurs générations, de Jimmy Connors en passant par Monica Seles et Rafael Nadal, selon vous quel est le point commun entre ces trois légendes du jeu?

Je pense que ce sont probablement les trois personnes qui ont en eux la détermination la plus permanente. Chez ces trois là l’envie de gagner ou la haine de la défaite, est assez exceptionnelle. Même si McEnroe dans les années 80 ou encore aujourd’hui les Federer, Djokovic et Serena Williams ont une grande force mentale, mais Connors, Seles, Nadal se sont des acharnés de la victoire.

« La culture du sport se fait d’abord à la télévision »

Philippe Bouin. ©PAUL HARRIS

La presse écrite traverse en ce moment de nombreuses difficultés, d’après vous le sport et le tennis en particulier a encore de beaux jours devant lui…

Certainement, mais il est toujours difficile de prévoir l’évolution des goûts du public. Je pense que le tennis a connu une période extraordinaire d’engouement dans les années 80. C’est un sport qui coïncidait avec une forme de changement de la société, et l’arrivée du tennis à la télévision restait simple à filmer. Ce qui a permis à Borg, McEnroe, Connors… de rentrer dans le salon des téléspectateurs. En ce moment le tennis masculin a une génération exceptionnelle. Mais il se peut qu’après celle-ci, il connaisse le creux qu’il y a en ce moment chez les dames. Mais il faut que ce sport s’occupe à s’adapter à la société moderne. Par exemple je ne serais pas contre le changement du mode du score.

Il y a eu une expérience qui avait été menée il y a quelques années de jouer en cinq sets, avec un jeu décisif à 4-4, je pense que c’est une solution intelligente . Il y a énormément de temps mort au tennis, et c’est souvent à ce moment là que les gens zappent. La culture du sport se fait d’abord à la télévision. Le tennis devrait se préoccuper un peu plus de ces questions. Mais comme toutes les choses qui marchent on ne souhaite pas forcement les changer…

Quels conseils donneriez-vous à un jeune souhaitant embrasser la même carrière que vous?

Je suis pas forcement bien placer pour donner des conseils, car j’ai connu une époque qui est en train de finir. Avec une forme de journalisme écrit sur papier, avec un peu moins d’instantanéité, avec beaucoup moins de médias audiovisuels. Désormais le journalisme s’oriente plus vers la télévision. Donc je conseillerai malgré tout d’être multi-tâches, ce que je n’étais pas. Mais aussi d’essayer de cultiver une forme de singularité. Beaucoup de choses de ce que je lis actuellement me paraissent formatées. Il est important de ne pas se contenter de paraphraser sur des scores et citer des citations de joueurs qui parfois disent des choses intéressantes, mais parfois un peu creuses, ce que l’on ne peut pas leur reprocher, car ce n’est pas leur métier de “parler”. D’avoir un point de vue, sans se mettre en avant, d’avoir un regard d’être présent sur place et non pas devant sa télé.

Propos recueillis par E-A