Jean-François Caujolle: «Les gens ont envie de revenir voir du spectacle et du tennis»

Jean-François Caujolle: «Les gens ont envie de revenir voir du spectacle et du tennis»

11 février 2022 Non Par SoTennis

Incontournable directeur de l’Open 13 Provence, Jean-François Caujolle s’apprête à vivre la 30e édition du tournoi (du 14 au 22 février) qu’il a créé, avec la satisfaction de revoir les spectateurs au Palais des Sports de Marseille. Avec l’authenticité qu’on lui connaît, l’ancien 59e mondial évoque son plateau sportif et l’avenir de ce tournoi ATP 250.

Dans quel contexte avez-vous créé ce tournoi ?

Comme ancien joueur professionnel et comme Marseillais, je voulais vraiment amener du tennis dans ma ville. Mon parcours m’imposait un tout petit peu à proposer un événement du plus haut niveau possible pour le public marseillais.

Cette édition 2022 a, à nouveau, un très beau plateau avec entre autres Stefanos Tsitsipas, Andry Rublev, Felix Auger-Aliassime. Comment vous y prenez-vous pour attirer et convaincre ces joueurs du Top 10 à disputer un ATP 250 ?

Il y a différents paramètres qui rentrent en ligne de compte. Il y a tout d’abord le calendrier qui est favorable. Il y a avant nous le tournoi de Rotterdam qui est un ATP 500, donc les joueurs souhaitent s’aligner au moins deux semaines sur ce type de surface. Il y a aussi des choix géographiques et sportifs. Il y a aussi la relation que l’on a su créer depuis longtemps, avec la politique qui a été aussi menée envers de jeunes joueurs. Stefanos Tsitsipas a eu, je pense, l’une de ses premières wild-card à Marseille, comme Felix Auger-Aliassime ou Jannik Sinner. C’est ainsi une relation qui est entretenue depuis de nombreuses années avec parfois les agents, les familles et les joueurs eux-mêmes. On récolte ainsi un tout petit peu les bénéfices d’un investissement que l’on a pu faire sur de jeunes joueurs. Ensuite, il y a aussi le côté financier, avec les garanties que l’on peut donner aux joueurs et enfin, il y a aussi l’organisation. Ces quatre paramètres font que nous parvenons à constituer un plateau de grande qualité. Parmi les ATP 250, nous avons probablement le plateau sportif le plus fort.

En 29 ans à la tête de l’Open 13, avez-vous constaté une évolution dans les relations que vous avez pu et que vous pouvez avoir avec les joueurs et leur entourage ?

D’évolution non. C’est un échange humain. Il y a des agents avec qui j’ai des relations depuis près de 30 ans et avec qui je suis ami. Les joueurs sont presque plus faciles aujourd’hui, plus avenants peut-être qu’ils ne l’étaient par le passé. Des joueurs comme Lendl, Becker ou Stich étaient un peu moins faciles d’accès.

L’Open 13 est un ATP 250, néanmoins son prize money, son plateau sportif n’a rien à envier à des tournois d’une catégorie supérieure. Au sujet des points distribués, avez-vous eu récemment une discussion avec l’ATP et son président Andrea Gaudenzi ?

Andrea Gaudenzi va venir à l’Open 13 lundi prochain. Mais pour l’instant, il y a un cadre. Les ATP 250 donnent 250 points et les ATP 500 octroient 500 points (aux vainqueurs de l’épreuve). Si on regarde la semaine où nous sommes situés, nous avons en face de nous un ATP 500 à Rio avec un tableau qui est moins fort que nous. Dans la logique, on devrait attribuer plus de points. Aujourd’hui, c’est la logique des tournois, même si le prize money est plus élevé que les autres ATP 250 et que certains ATP 500, c’est comme cela. C’est vrai que je militerai volontiers pour qu’un tournoi comme l’Open 13, comme celui de Doha, puissent attribuer 350 ou 400 points. De même dans la catégorie des ATP 500, c’est assez disparate. Il y a des tournois où il y a comme pour nous plusieurs Top 10 et d’autres qu’un Top 10. Les points ATP devraient être attribués à la fois en prenant compte du prize money qui est distribué, mais aussi de la qualité du plateau, comme cela été le cas une quarantaine d’années, lorsque j’étais joueur.

Est-ce que vous allez en (re)discuter avec Andrea Gaudenzi qui vient donc lundi prochain ?

Oui, mais ce n’est pas seulement le choix d’Andrea Gaudenzi. C’est toute une stratégie. La discussion ne concerne pas seulement le cas de Marseille ou de Doha, c’est beaucoup plus général. Aujourd’hui, nous sommes sur ce système. Est-ce que ce système va évoluer ? À voir. Si ce n’est que deux tournois dans la catégorie des ATP 250, qui sont supérieurs aux autres, est-ce que l’on doit faire quelque chose de spécial pour ces deux tournois ? Je ne pense pas. Peut-être, il faudrait voir si les catégories, peuvent ou doivent évoluer légèrement. Cela ne relève pas uniquement de ma réflexion.

Cet Open 13 se déroule au Palais des Sports de Marseille. Sans vouloir vous froisser, ce Palais des Sports, ne va-t-il pas devenir à l’avenir un frein au développement du tournoi, notamment en matière d’infrastructure ?

C’est déjà un frein. C’est sûr que si nous avions une infrastructure de meilleure qualité tant en matière d’accueil que de fonctionnalité, on pourrait prétendre à encore mieux. Je vois difficilement comment pouvoir postuler à mieux avec un Palais des Sports qui n’est plus adapté à des événements de ce niveau. Nous avons l’économie pour le faire, le plateau sportif, l’organisation pour le faire, mais aujourd’hui nous n’avons pas la structure. Mais il y a une réflexion qui est menée au niveau de la Ville de Marseille pour justement voir, dans un avenir assez proche, la structure qui va être construite pour accueillir des événements à la fois sportif et culturel de haut niveau.

Est-ce que la crise sanitaire liée au Covid-19 a laissé des traces sur le plan économique pour l’Open 13 ?

En 2020, nous sommes passés au travers, car c’est après cette édition qu’il y avait eu les annonces gouvernementales. L’an dernier, nous avons joué à huis clos. Globalement, l’évènement s’est bien passé. Nos partenaires nous ont suivis, pour la plupart. Nous avions perdu néanmoins une partie de l’essence, de l’âme du tournoi, c’est-à-dire le public. Cette année, nous sommes revenus avec des conditions qui ont été mouvantes puisque le 2 janvier, il y a eu le retour des jauges, en l’espace de 48 h, nous avions perdu pour près de 500 000 euros de partenariats. Les ventes liées à la billetterie, se sont totalement arrêtées. Le 24 janvier, les nouvelles annonces gouvernementales ont fait qu’à nouveau la billetterie a explosé et que les relations publiques sont revenues. Cela a été un peu mouvant avec surtout à un moment donné des inquiétudes concernant l’organisation. Je n’avais néanmoins pas du tout touché à mon plateau sportif. Désormais, le sentiment que j’ai, avec l’engouement que je peux voir depuis quinze jours, c’est que les gens ont envie de revenir voir du spectacle et du tennis.

À ce jour il y a, entre autres, 3 joueurs du Top 10 (initialement 4 avant le forfait de Sinner) et des joueurs français. C’est quoi votre formule, pour doser le plateau sportif de l’Open 13 ?

Ce qui est important, dans un tournoi français, c’est que les joueurs français gagnent. Nous sommes en ce moment dans une période un peu creuse. Nous avons Humbert et Gaston qui sont les deux meilleurs jeunes pour l’instant et c’est très bien qu’ils soient à nos côtés (ndlr: Ugo Humbert s’est retiré mercredi). Nous avons aussi Jo (Tsonga) qui est présent et qui est toujours iconique au niveau sportif et à Marseille en particulier. À côté de cela, le plateau sportif international aurait pu être encore mieux, s’il n’y avait pas eu la même semaine que nous le tournoi de Doha en face de nous. L’ATP m’a demandé si on accepté le fait que Doha soit la même semaine que nous, j’ai dit bien sûr, on doit aider Doha. Mais Doha nous a « pris » quelques joueurs comme Shapovalov, De Minaur qui devaient jouer chez nous. On aurait eu un plateau encore plus fort. Il fallait être solidaire avec un tournoi qui se retrouvait en grande difficulté. Notre objectif reste les joueurs français (ndlr: depuis la création du tournoi à neuf reprises un joueur français s’y est imposé). Car ce sont eux les plus bankable. Le mot n’est pas très joli, mais ce sont eux qui attirent le public, que l’on veut voir battre les meilleurs joueurs mondiaux. Cela a été le cas depuis une quinzaine d’années avec l’ère Tsonga, Gasquet, Simon…

Et lorsqu’un joueur français bat par exemple l’an dernier Stefanos Tsitsipas avec sans doute une garantie importante et un attrait important, cela vous fait quoi ?

J’ai envie de pleurer. Non, je plaisante. C’est sûr que l’an dernier lorsque Pierre-Hugues Herbert bat Tsitsipas, j’avais envie de casser la télévision, mais j’étais heureux pour Pierre-Hugues qui est un garçon adorable. De l’avoir jusqu’en finale face à Medvedev, c’était une belle finale avec le n°2 mondial face à un joueur français. La finale Medvedev vs Tsitsipas aurait été aussi très intéressante au niveau des retombées médiatiques internationales.

Justement, Pierre-Hugues il va disputer le double associé à son partenaire habituel, Nicolas Mahut. Est-ce que c’est vous qui l’avez fait venir ?

Pas du tout. C’est lui qui s’est inscrit et va intégrer le tableau principal en simple (ndlr: il intègre après quelques forfaits le tableau principal en simple). Il y a une invitation qui va être donnée à Jo-Wilfried Tsonga. Il aurait pu utiliser son classement protégé, mais comme il est propriétaire de ce tournoi (ndlr: le Manceau est devenu l’actionnaire majoritaire du tournoi et lui a demandé de rester directeur du tournoi), il vaut mieux qu’il garde ce classement protégé pour d’autres événements notamment des Masters 1000 ou des Grands Chelems. Il y aura une troisième wild-card qui sera destinée à un autre joueur qui peut être à la fois un joueur français ou un Top 10 (ndlrHolger Rune et Lucas Pouille bénéficient d’une wild-card pour le tableau principal). Il y avait Hubert Hurkacz qui voulait jouer. Cela va dépendre s’il n’y a pas de joueur qui se blesse ou malade. Je sais que Sinner a contracté le Covid-19. Il s’est retiré de Rotterdam pour cette raison. Est-ce qu’il va être prêt pour Marseille ? Je n’en suis pas sûr (ndlr: l’Italien a finalement déclaré forfait également pour l’Open 13).

Au bout de 29 ans à la tête de l’Open 13, qu’elle est votre façon de vivre le tournoi ?

Il y a une certaine difficulté. J’ai tellement envie que les matchs soient de qualité, que le public prenne du plaisir tout comme les partenaires que j’en perds un tout petit peu de mon propre plaisir. Je suis plutôt là dans l’attente de vibrations entre les joueurs, le public et les partenaires plutôt que les miennes. J’ai plutôt tendance à m’enfermer la semaine du tournoi et à le vivre dans la plus grande discrétion possible.

Propos recueillis par E-A lors d’un entretien téléphonique réalisé le 8-02-22 et actualisé le 11-02-22