Michaël Llodra, sa vie d’après
19 octobre 2015Depuis juin dernier, Michaël Llodra a débuté une nouvelle vie. C’est à Bordeaux, que le Parisien a décidé de s’installer avec sa femme et ses trois enfants, pour vivre la vie d’après. Celle, d’après carrière.
Michaël Llodra à la Villa Primrose. ©SoTennis
Mardi 6 octobre 2015, début d’après-midi, Michaël Llodra débarque à la Villa Primrose, dont il est l’ambassadeur. Smartphone vissé à l’oreille droite, silhouette svelte, « Mica » nous cherche du regard dans le hall d’accueil. À peine arrivé, il est chaleureusement salué par plusieurs membres de ce club de tennis et de hockey sur gazon, situé près du centre-ville de Bordeaux. Dans l’un des salons de ce lieu mythique du tennis français, il assoit son mètre quatre-vingt-dix sur l’un des fauteuils, et nous raconte avec enthousiasme sa nouvelle vie, version bordelaise, et ses nouveaux projets. Car depuis le 5 novembre 2014, date à laquelle il a disputé son dernier match officiel, et pris sa retraite sportive en simple, (ndlr : défaite au 1er tour du Challenger de Mouilleron-le-Captif face à Tobias Kamke (6-2, 6-2)) Michaël Llodra n’est plus vraiment un joueur de tennis professionnel. Handicapé par une blessure au coude gauche, qui l’a contraint à une opération, puis à une rééducation, son plan d’un retour pour une dernière pige en double, semble s’éloigner. La faute à ce satané coude, qui ne veut pas guérir, et qui le pousse actuellement à un profond questionnement, sur la suite de sa carrière. « J’ai toujours le souhait de revenir, lance-t-il. Mais cela s’annonce compliqué, cela va faire un an que j’ai joué mon dernier match. À 35 ans n’est-ce pas le bon âge pour arrêter ? Est-ce que j’ai encore le feu sacré pour disputer des tournois en double ? Je ne sais pas. En ce moment, je me pose ces questions ».
Nouvelle vie à Bordeaux
Mais durant cette année loin du circuit ATP, l’ex-21e mondial n’a pas chômé. Pas du genre à glandouiller, il a d’abord accepté de devenir consultant lors du Masters 1000 de Monte-Carlo, où il s’est essayé au commentaire sportif pour France Télévisions, qui est venu le chercher. Puis, a rempilé à Roland-Garros. Là-bas, lui qui pouvait être amené à envoyer gentiment bouler son petit monde, pour éviter de répondre à quelques questions, selon son humeur et le résultat de son match du jour, est passé de l’autre côté. Celui de l’intervieweur. « J’ai apprécié cette expérience. J’ai travaillé avec des personnes très professionnelles, que je connaissais bien, et j’ai été facilement accepté, précise-t-il. J’ai pu percevoir d’une autre manière certains aspects. Avec mon expérience de joueur, j’ai également conseillé quelques journalistes. Car pour l’interview d’après-match, il faut savoir sentir les choses. Durant ce tournoi, j’ai réussi à percevoir quel était le meilleur moment pour aborder les joueurs. D’autant plus que la plupart me connaissent, ce qui a facilité le contact. » Il a tellement apprécié ce rôle de consultant, qu ‘il a remis cela pour beIN SPORTS, à l’occasion de Wimbledon. Mais au-delà de cette parenthèse médiatique, Michaël Llodra a surtout profité de cette période hors des courts, pour préparer au mieux, son déménagement dans la capitale girondine, qu’il a découvert en 2009, et où sa femme, Camille, (ndlr : ancienne professeur de tennis) a fréquenté pendant 5 ans le CREPS de Talence. « À Bordeaux, la qualité de vie est exceptionnelle, clame-t-il. À force d’y venir lorsque je disputais les interclubs sous les couleurs de la Villa Primrose (ndlr: avec qui il a remporté, en 2011, le Championnat de France par équipes 1re division), et lors de son tournoi Challenger, j’ai pu découvrir cette ville, et la région. J’ai tout de suite bien accroché. C’est lors de ces moments, que je me suis dit qu’à la fin de ma carrière, pourquoi pas déménager ici. Depuis le mois de juin, je suis bordelais.» L’un des premiers à avoir convié le Parisien à une descente vers le Sud-Ouest, est Jean-Baptiste Perlant, ancien joueur professionnel, qui est désormais directeur du club de la Villa Primrose et capitaine de l’équipe 1 masculine. « Avec « Mica », nous nous connaissons depuis près de 20 ans précise-t-il. Nous nous sommes un peu perdus de vue lorsque nous étions sur le circuit, mais depuis 6 ans on se voit régulièrement. Lors de l’édition 2009 du tournoi challenger, je l’avais sollicité pour qu’il vienne le jouer. C’est là qu’il a découvert la Villa Primrose, et il a tout de suite été d’accord pour devenir membre. Aujourd’hui c’est sympa de voir qu’il participe à la vie du club, comme récemment où il a disputé avec son fils, Théo, le tournoi des familles. On perçoit qu’il se sent bien ici.» Licencié à « Primrose » depuis septembre 2009, Michaël Llodra a rapidement été aussi séduit par l’esprit club, que toute l’équipe dirigeante s’efforce de faire perdurer, et qui a décidé de l’intégrer dès cette rentrée, dans les activités qu’elle met en place. Comme ce stage pour jeunes, dont il est l’instigateur, où certains d’entre eux pourront s’entraîner avec l’ex-pilier de l’équipe de France de Coupe Davis. Pour lui, c’est avant tout l’occasion de transmettre une partie de son expérience. Bref, une première dans la peau d’un coach. Mais il chasse immédiatement l’idée d’endosser ce rôle d’entraîneur sur le circuit professionnel. « Aujourd’hui, le devenir n’est pas d’actualité. Si l’on me sollicite pour une aide occasionnelle, pourquoi pas. Mais repartir à plein régime, et être de nouveau éloigné de mes proches, pour moi c’est impensable » conclut-il.
Des passions et des occupations
Son dada à lui c’est l’œnologie, est à Bordeaux, il est au bon endroit pour assouvir cette passion. Une passion qui l’a poussé en 2012, à ouvrir à Dijon un bar à vins, avec un certain Arnaud Clément, et trois autres personnes. Et depuis son arrivée dans la belle endormie, l’envie d’avoir un truc à lui le titille. «Dans le coin, j’ai déjà visité beaucoup de domaines et de châteaux, mais il en reste énormément à découvrir. J’ai fait beaucoup de belles rencontres en venant ici. Si l’occasion se présente, j’aimerais bien être propriétaire de quelques pieds de vigne.» lance-t-il, lui qui affectionne tant l’Abeille de Fieuzal. Alors que certains athlètes décrivent l’après-carrière comme une petite mort, qui peut amener vide et angoisse, lui semble plutôt vivre cela comme le début d’un nouveau chapitre de sa vie. Avec une pléthore de projets qu’il a su anticiper, ce Bordelais de cœur compte bien s’appuyer sur son pragmatisme et sa fantaisie qui le caractérise, pour tenter de se réinventer. « Bien avant d’arrêter, j’avais déjà imaginé la suite, rappelle-t-il. Je suis passionné de vin, j’ai une activité de négoce, je me suis essayé au métier de consultant que j’aimerais poursuivre… Je suis également père de famille, et avec trois enfants, mes journées sont bien remplies. L’après-carrière peut faire peur, car elle peut être synonyme de vide, de l’impossibilité de revivre des expériences uniques, d’avoir l’adrénaline de la compétition. Mais cela ne me fait pas peur. Je sais que je vais avoir des occupations.» Néanmoins après plus de 15 ans de carrière à s’être dépensé sans compter, et à s’être infligé la discipline qu’impose le haut niveau, il lui arrive parfois en fin de journée de ressentir le besoin d’aller courir, histoire d’évacuer le trop-plein d’énergie, tout en visitant sa nouvelle ville. De cette vie plus sédentaire, Michaël Llodra apprécie surtout le fait de n’être plus dans le contrôle de tout. « La vie d’un joueur de tennis professionnel impose une discipline et une hygiène de vie particulière. Aujourd’hui, je ne suis plus dans le contrôle. Mon mode de vie est différent. Il n’est plus rythmé par des horaires fixes pour s’entraîner, pour se reposer, pour se restaurer… cela m’est déjà arrivé de me dire, demain je vais courir, de me lever le lendemain matin, et de me dire finalement, je n’ai pas envie, et de ne pas y aller.» C’est ainsi qu’il vit désormais à Bordeaux sa nouvelle vie. Avec un doux mélange de simplicité et de liberté. Sa carrière, aujourd’hui il la regarde avec sérénité, même si l’épisode Coupe Davis restera pour lui, inachevé. « J’ai atteint mes principaux objectifs. La seule chose qui me restera peut-être en travers de la gorge, c’est de ne pas avoir remporté la Coupe Davis, dit-il. Mais à côté de cela, j’ai eu une chance incroyable de remporter une médaille olympique, cinq titres en simple, 26 en double, dont trois en Grand Chelem et le Masters. De jouer sur des courts magnifiques, face aux meilleurs. J’ai vécu un rêve pendant 15 ans. Au début quand tu es jeune, tu rêves d’être -15, puis d’être première série. J’ai été bien au-delà de ce que je me suis fixé lorsque j’étais minot. Mais j’ai un truc dont je suis surtout fier, c’est que deux de mes trois enfants, les deux plus grands, m’ont vu jouer à mon top. Ils garderont ainsi un souvenir de leur père, en tant que joueur.»
Propos recueillis par E-A