Suzanne Lenglen: la divine

28 décembre 2012 Non Par SoTennis

Bien sûr, tout cela s’est passé il y a fort longtemps. Mais Suzanne Lenglen a bâti un tel palmarès, a construit une telle image que son éclat dure encore. Elle demeure la sportive française la plus marquante de son histoire, et pas seulement parce qu’elle n’avait aucune concurrente.

Les années 20 sont le règne de l’exubérance, de l’insouciance, de la joie de vivre, de la liberté d’être et de se conduire. Peintres, poètes, musiciens, créateurs… tous font avancer l’image d’une nouvelle ère. Les sportifs eurent aussi leur mot à dire dans cette nouvelle modernité. Mais rare sont ceux qui peuvent se vanter d’avoir autant marqué la décennie que la grande Suzanne Lenglen. Parce qu’elle était en phase parfaite avec son époque, archétype de la femme en quête d’émancipation, et parce qu’elle a révolutionné le jeu de tennis, la manière de le concevoir sur un court. Emblème d’une nouvelle mode, Suzanne Lenglen a acquis au fil des ans un statut de mythe indémodable. Le plus beau beau mérite de son histoire est peut-être d’être toujours restée conforme.

 

Le premier papa coach:

Le scénario de sa vie est en effet digne d’une fiction hollywoodienne, happy end excepté. Issue d’une famille bourgeoise extrêmement aisée, Suzanne Lenglen naît en  1899. Elle passe son enfance entre la propriété familiale de Compiègne et la Villa Arieme, à Nice, dont la terrasse surplombe les courts de tennis du Parc Impérial.

À 10 ans, le jour où son père lui achète sa première raquette, elle abandonne ses cours de danse classique. Avec lui en effet, pas question de faire les choses à moitié. Personnage haut en couleur, premier papa coach de l’histoire du jeu “M CHARLES”a décidé de son propre chef de faire de sa fille une championne de tennis. Rien n’est trop beau pour y parvenir. Non content d’offrir d’offrir à Suzanne les meilleurs professeurs de l’époque, il invente et développe pour elle quelques exercices d’entraînement inédits. Idée n°1: adresse et précision sont les deux mamelles du jeu de tennis.

Il dispose donc sur le court, en guise de cibles, chapeau, mouchoir ou pochette. La récompense est classique (quelques pièces sonnantes et trébuchantes qui viendront remplir la tirelire de l’enfant), mais le résultat détonant: bientôt faute de partenaires à sa dimension, Suzanne va s’entraîner avec des hommes. Elle joue en fait presque comme un homme, surtout au service. Aérienne et déliée, son déplacement sur le court n’a pas d’équivalents. Sa volée est percutante, mais c’est surtout sa gamme de coup qui fait impression. Tout son jeu s’articule autour d’un maître mot: la précision. Lenglen à tout juste 15ans, et elle va faire, en quelques semaines, le vide autour d’elle.

Un coup d’arrêt:
À 13 ans, elle a déjà gagné (en costume marin!) le championnat de Picardie seniors, puis le tournoi de Nice. Deux ans plus tard, à  Cannes, elle bat Elisabeth Cyan, devient dans la foulée championne du monde sur terre battue en simple et en double, et n’échoue que de justesse dans sa première finale des Internationaux de France! La Première Guerre mondiale donne un coup d’arrêt à cette fulgurante trajectoire. Sans compétition, elle va mettre, entre parenthèse sa carrière durant quatre années. La paix revenue, Suzanne Lenglen renoue avec le tennis en 1919.

A star is born:
Précédée par sa réputation de jeune prodige, elle est attendue de pied ferme à Wimbledon, où la foule se presse pour la découvrir. Le plus grand tournoi du monde ne va pas être déçu. Lenglen vient d’avoir 20 ans. L’âge où l’on ne doute de rien. Prenant les convenances à contre-pied, elle se présente maquillée, sans corset, ni jupon, dans une tenue d’une seule pièce, manches courtes et jupe plissée à mi-jambes. La petite nouvelle fait sensation, d’autant que son adversaire en finale, l’austère américaine Lambert semble  son négatif. Sept fois gagnante de l’épreuve, elle a 40 ans et porte une blouse à manches longues, une jupe qui tombe froidement aux chevilles laissant apercevoir ses bas noirs.

Contraste parfait, choc de générations. Raquette en main, l’opposition de style fait aussi des ravages. Usant de son expérience, Lambert mène 8-10, 6-4, 6-5, 40/45. Deux balles de match. C’est le moment que choisit l’impayable “M CHARLES” pour intervenir. Il lance aux pieds de sa fille un mystérieux petit flacon d’argent, Suzanne s’en saisit, en boit le contenu (de l’eau de vie, selon la petite histoire), sauve ces deux balles de match, égalise, et arrache la victoire 9 jeux à 7 au dernier set. “A star is born”.

La suite est désormais la légende… Entre 1919, date de cette première victoire à Wimbledon, et 1926, où elle prend sa retraite d’amateur, Lenglen ne perdra en effet qu’un seul match, non officiel et dans des circonstances extrêmement particulières. Elle remporte ainsi six Internationaux de France (1920, 1921, 1922, 1923, 1925, 1926), six Wimbledon ( 1919, 1920, 1921, 1922, 1923, 1925) les Jeux Olympiques d’Anvers (1920), le titre de championne du monde sur terre battue ( 1914, 1921, 1922, 1923), sans compter d’innombrables trophées majeurs en double et en double mixte. Sa domination est si écrasante qu’elle n’abandonne  que 20 jeux lors de ses six triomphes à Roland Garros, et seulement 4 tout au long du tournoi olympique de 1920!

Sa mainmise est si absolue que certains conseillers de le Fédération française envisagent même de lui faire disputer un match de … Coupe Davis, face à l’Inde. Dans un tel contexte, son seul échec officiel, à Forest Hills, en 1921, reste logiquement un épisode épique. Manquant de préparation, épuisée par une traversée transatlantique agitée durant laquelle elle a souffert du mal de mer, elle se présente face à Molla Mallory, diminuée par une crise d’asthme. Se sentant à bout de force, elle a voulu renoncer, mais s’est laissée convaincre au dernier moment parce qu’il s’agit d’un match de gala, organisé au profit des régions dévastées par la Grande Guerre. Incapable de courir  et de respirer, elle est contrainte à l’abandon en cours de match.

Mais plus que la défaite, ce sont les sifflets qui  ont accompagné sa sortie du court qui fait bondir la “Divine”.  Monstre d’orgueil, elle ne rêve plus que de revanche. Celle-ci sera terrible pour la pauvre Américaine. En 1922, à Wimbledon, leur affrontement déchaîne d’autant plus les passions que M. MALLORY, joueur invétéré, à parié 10 000 dollars sur la victoire de sa femme. Qui semble bien partie pour lui donner raison, puisqu’elle gagne les deux premiers jeux.

Le public retient son souffle. C’est l’instant que choisit Lenglen pour s’envoler. Plus Divine que jamais, elle remporte les douze jeux suivants en… vingt deux minutes, faisant chavirer le cœur des 8000 spectateurs du Centre Court. Tenace, à défaut d’être perspicace, M MALLORY, lancera un nouveau défi quelques semaines plus tard, à Nice. Il n’y gagnera que la belle “bicyclette” infligée à son épouse, battue cette fois 6-0 6-0.  À côté de ses triomphes sur le terrain, Lenglen mène une vie d’apparat.

Reine incontestée du tennis, elle est aussi une mondaine que les grands du monde s’arrachent. Déjà, sur le court, elle porte des robes de chez Patou (son couturier attitré), le turban assorti à leur couleur, et il lui arrive d’enfiler un manteau de fourrure au changement de côté! Elle fréquente les têtes couronnées (Gustave v de Suède, le duc Michel de Russie…). Son train de vie est digne d’une princesse: de Venise, elle voyage en wagon réservé jusqu’à Saint-Moritz, où l’attend un carrosse attelé de huit chevaux. Le monde est à ses pieds. Son seul véritable échec restera sa vie sentimentale. De déception en déception, elle épousera en fin de carrière le milliardaire américain, George Baidwin. Le mariage ne durera que quatre années.

La divine avait 39 ans
Terriblement affectée par l’épisode du clash à Wimbledon, elle accepte en 1926 un contrat de 100 000 $, pour participer à des tournées professionnelles, créant ainsi une nouvelle fois l’événement. “ Il faut bien se rendre compte que rien de tel n’était jamais arrivé” soulignait plus tard René Lacoste, encore impressionné. Mais l’aventure tourne court. Lorsqu’elle revient en France, après son divorce, le cœur et le corps n’y sont plus. La crise des années 30 a pris le relais des “Années Folles”, Lenglen ne se sent plus en phase avec son époque.

Elle crée malgré tout des écoles de tennis, qui portent son nom et où seront donnés les premiers cours collectifs, et fonde une méthode d’initiation au tennis basée sur… les canons de la danse classique et inspirée de la plus célèbre de ses étoiles, la pavlova. Mais ses jours sont comptés. Une leucémie l’emporte en 1938. La Divine avait 39 ans, quand l’éternité a commencé pour elle.