La der d’Agassi
22 août 2016Le 3 septembre 2006, Andre Agassi disputait à l’US Open son dernier match officiel face à Benjamin Becker, 112e mondial. À 36 ans, « Dédé », qui souffrait depuis de nombreux mois d’une sciatique, s’était offert un émouvant dernier tour de piste. Focus sur une journée pas comme les autres, pour le « Kid de Las Vegas ».
En ce dimanche 3 septembre 2006, Andre Agassi, qui joue son 21e et dernier US Open, s’apprête à disputer le 3e tour du tournoi qui l’a fait «naître». Après des victoires contre Andrei Pavel au 1er tour et Marcos Baghdatis au 2e tour, qui l’a poussé dans ses derniers retranchements, n’arrangeant en rien son mal de dos qui le ronge depuis de nombreux mois, « Dédé » se lève difficilement du sol où il a passé une partie de la nuit, en y restant allongé. Tel un centenaire sentant tout le poids des ans sur toutes ses articulations, le « Kid de Las Vegas », aux 36 printemps, tente d’éveiller son corps à l’effort. Sous les yeux de son épouse Stéphanie (Graf) et de ses enfants Jaden et Jaz, il commence à s’hydrater. «Je transpire énormément, plus que la plupart des joueurs et je dois commencer à m’hydrater plusieurs heures avant un match. J’avale des litres d’un élixir magique inventé à mon intention par Gil, mon entraîneur depuis dix-sept ans. L’eau de Gil est un mélange de glucides, d’électrolytes, de sels, de vitamines et de quelques autres ingrédients dont Gil garde jalousement le secret », décrit-il dans son autobiographie, Open, publiée, en 2009, aux éditions Plon. Puis il prépare son sac. Trente minutes avant sont match qui va l’opposer à un autre B.Becker (Benjamin), Andre Agassi se voit administrer une injection anti-inflammatoire, dont les effets sont moins efficaces que la cortisone prescrite lors de son premier match. L’ex-numéro 1 mondial tient à peine debout. Mais il jouera coûte que coûte. Pas même son tyrannique de père (Mike) qu’il croise le matin même dans le hall de l’hôtel, en lui exhortant d’abandonner, ne réussira à le faire dévier de son chemin. Celui qui l’a mené à choisir sa sortie.
La der
Vient rapidement le moment de marcher vers la lumière. Celle du long couloir menant les joueurs vers le court central, où sur les murs des photos géantes des vainqueurs du tournoi y sont apposées. Le murmure du public se fait de plus en plus vif. La rumeur se transforme en exclamations. La foule manifeste son enthousiasme. «Dédé» est dans la place ! «Même s’il a toujours représenté la part la plus anormale de ma vie, le court est en ce moment le seul espace de normalité au sein de ce tourbillon. Le court, où je me suis senti si solitaire et tellement menacé, est à présent le lieu où je veux trouver refuge face à cet instant d’émotion intense», précise-t-il dans son autobiographie. Va-t-on assister aux adieux d’Agassi? Cette incontournable question peut être lue sur le visage des quelque 23 000 spectateurs qui garnissent les gradins de l’Arthur Ashe Stadium. Dans une loge, située en hauteur, se poste Stéphanie (Graf). Toujours aussi discrète, celle qui a régné, dans une autre vie, sans partage sur le tennis féminin s’apprête à assister au dernier match de son champion de mari. À l’applaudimètre, l’Américain remporte largement la partie. Sur le plan tennistique, c’est une autre histoire. Raide comme un piquet l’ex-numéro 1 mondial concède, non sans résistance, le premier set (7-5). Malgré un dos en compote, devant son public, Andre Agassi s’accroche et arrache le deuxième set au tie-break et entretient ainsi le doux espoir de prolonger son séjour à Flushing Meadows. Un souhait qui se brise sur la farouche opposition de son adversaire du jour. De l’autre côté du filet, Benjamin Becker (112e mondial), qui joue contre son idole, poursuit sa marche en avant en continuant à servir le feu, en empochant la troisième manche (6-4). « Let’s go, Andre », peut-on entendre des tribunes. Malgré quelques coups d’éclat, Agassi ne peut repousser l’échéance. À l’aise dans son costume du méchant, l’Allemand conclut le quatrième set sur un dernier ace et s’impose sur le score de 7-5 6-7 6-4 7-5.
Ciao « Dédé »
Après avoir serré la main de son adversaire et de l’arbitre, Andre Agassi rejoint sa chaise. Là, les yeux embués, il reçoit ,pendant près de 10 minutes, une incroyable standing ovation de la part du public de l’Arthur Ashe Stadium et de ses proches. Puis vient le temps des discours. C’est d’abord le vainqueur du jour qui dit, sur le court, quelques mots au micro de Marie-Jo Fernandez (ancienne joueuse professionnelle devenue consultante TV). « J’ai l’impression d’être dans un film. C’est vraiment quelqu’un de spécial. C’est un gentleman. Il a tellement fait pour le tennis. Pour moi, c’est un grand honneur d’avoir joué contre lui. Je lui souhaite le meilleur. Merci, Andre» déclare Benjamin Becker. Sous les hourras, Andre Agassi se lève enfin de sa chaise pour exprimer son « speech » qui résonne encore à Corona Park. «Le tableau d’affichage indique que j’ai perdu. Mais il ne dit pas ce que j’ai gagné. Pendant vingt et un ans, j’ai trouvé de l’inspiration auprès de vous, de la loyauté, de la générosité. Vous m’avez permis de me reposer sur vos épaules pour atteindre mes rêves, des rêves que jamais je n’aurais pu atteindre sans vous. Au cours de ces vingt et une années, je vous ai trouvés, vous, et je garderai ce souvenir pour le reste de ma vie.» clame-t-il. Puis, comme à son habitude, il range rapidement ses affaires dans son sac, avant de dire au revoir. À la sortie du court «Dédé» s’accorde un moment avec son épouse et ses enfants. Puis il regagne les vestiaires où une surprise l’attend. « Dans les vestiaires, il règne un silence de mort décrit-il dans Open. J’ai remarqué que tous les vestiaires se ressemblent quand on perd, écrit-il dans son autobiographie. On franchit la porte – qui s’ouvre en claquant puisqu’on l’a poussée un plus fort qu’on aurait dû – et les types se dispersent de devant de l’écran de télévision où ils vous regardaient vous faire botter le cul. Ils font toujours semblant de ne pas avoir regardé, de ne pas avoir parlé de vous. Mais cette fois-ci, ils restent autour de la télévision. Personne ne bouge. Personne ne fait semblant. Et puis, lentement, tout le monde s’approche de moi. Ils applaudissent, accompagnés des soigneurs, des employés de bureau et de James, le chargé de sécurité. Un seul homme reste sur le côté et refuse d’applaudir. Je l’aperçois du coin de l’œil. Il est adossé au mur opposé, une expression vide sur le visage, les bras croisés, bien serrés. Connors. Maintenant il entraîne Roddick. Pauvre Andy. Ça me fait rire. Je ne peux qu’admirer le fait que Connors est qui il est, encore toujours, qu’il ne change jamais. Nous devrions tous être aussi fidèles à nous-mêmes, aussi cohérents. Je dis aux joueurs :
– Vous en entendrez des applaudissements dans vos vies, les gars, mais aucun ne sera aussi important que ceux-ci – ceux de vos pairs. J’espère que vous y aurez tous droit à la fin. Merci à vous tous. Au revoir. Et prenez soin les uns des autres.» Ainsi, s’en est allé Andre Agassi. L’ex-enfant terrible des courts, qui n’aimait pas le tennis, a tiré sa révérence en homme apaisé. De ses erreurs et de ses errances, l’octuple vainqueur en Grand Chelem y a puisé une nouvelle philosophie de vie. Celle, qui l’accompagne toujours aujourd’hui.
E-A