Noami Osaka, entre les lignes

Noami Osaka, entre les lignes

7 janvier 2024 Non Par SoTennis

À 26 ans, Naomi Osaka a déjà vécu plusieurs vies. Icône de son époque, la Japonaise qui a osé, aussi, montrer ses failles, vient tout juste d’effectuer son retour sur le circuit WTA. Celle qui est devenue maman, en juillet dernier, et qui a initié la libéralisation de la parole, aborde désormais sa carrière d’une autre manière. Ben Rothenberg, journaliste américain, figure connue du monde du tennis, qui ne laisse personne indifférent, a saisi l’opportunité de consacrer un ouvrage au parcours si singulier, d’une battante.

Pourquoi avoir choisi de consacrer un livre sur Naomi Osaka ?

Je voulais écrire un livre sur le tennis depuis un moment. Je pense que j’ai été inspiré d’écrire à propos de Naomi, en particulier, le jour où elle s’était retirée du tournoi de Cincinnati en 2020 (ndlr : en raison des tirs sur Jacob Blake, un homme afro-américain touché par sept coups de feu dans le dos lors d’une interpellation par un policier dans le Wisconsin). Sa décision a poussé la WTA et l’ATP à arrêter le tournoi pour tout le monde, lors de toute une journée. J’ai été vraiment frappé en voyant cette position audacieuse et sa façon de s’exprimer, de la part d’une joueuse que je connaissais depuis des années. J’avais toujours connu Naomi comme étant très timide et très réticente à faire des choses qui attireraient trop d’attention. Donc en la voyant ainsi, j’étais vraiment intrigué par elle, sa transformation. Je voulais en savoir plus sur elle et sur le voyage qu’elle avait fait. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée pour la première fois (d’écrire un livre sur elle). Et puis évidemment, elle a fini par gagner l’US Open quelques semaines plus tard, en portant sept masques différents jusqu’en finale, avec dessus le nom de sept victimes raciales différentes. Un engagement auprès du mouvement Black Lives Matter (BLM). Cet été-là, c’était vraiment engageant pour l’Amérique. Et puis par la suite, elle a remporté l’Open d’Australie, elle a eu son problème à Roland-Garros, avec cette impasse, les médias, les conférences de presse et la santé mentale… Donc, vous savez, c’est une sorte de période de 12 mois où vraiment, j’ai vraiment été convaincu d’écrire sur elle. Les éditeurs ont été convaincus qu’elle était une personne fascinante, à essayer de comprendre.

Naomi Osaka Her Journey to Finding Her Power and Her Voice aux Éditions Dutton.
Parution le 9 janvier 2024.

Quel a été votre cheminement d’écriture ?

J’ai fait beaucoup d’interviews. Je suis allé, plusieurs fois, en Floride, où Naomi a grandi et j’ai parlé à beaucoup d’anciens entraîneurs qui ont traversé son enfance. J’ai parcouru d’anciennes interviews avec elle, des gens de son équipe et d’anciens entraîneurs. Voyager était mon plan lors de la saison 2022, pour la suivre durant les tournois. Ce que j’ai fait. Je suis allé, je pense, cette année-là à tous ses tournois mis à part deux ou trois. Durant l’année 2022, ses résultats ont été très décevants. Bien sûr, son classement avait chuté, car elle perdait souvent lors des premiers tours. Elle a eu également quelques problèmes de blessures et des forfaits. Cette partie était délicate, dans le sens où elle a été moins fructueuse, car j’espérais la suivre partout. Mais j’ai pu tirer beaucoup de choses, de cette époque que l’on retrouve dans le livre.

À cette époque, étiez-vous inquiet pour la suite de la rédaction de votre livre ?

Oui et d’une certaine manière, c’était intéressant aussi. J’écrivais ce livre et cette partie de rédaction se passait bien, mais je n’avais vraiment pas une grande idée de ce que serait la fin. Parce que j’écrivais cet ouvrage sur une personne qui est évidemment encore très vivante, et qui, notamment à ce moment-là, continuait à grandir et à changer. Vous savez, comparé à l’écriture d’une biographie, d’un personnage historique ou quelque chose du genre, c’est un tout autre travail. Donc pendant longtemps, je n’étais pas vraiment sûr de la fin du livre. Et puis, cette nouvelle qu’elle était enceinte et le fait qu’elle planifie son retour sur le circuit, en réalité, je pense que c’était un point final très naturel pour l’histoire et pour ce chapitre de sa vie. Je pense que, finalement, tout cela a très bien fonctionné.

Vous revenez dans cette biographie sur la décision de Naomi de représenter le Japon, car il y a eu des spéculations pour qu’elle devienne citoyenne américaine. D’ailleurs, à vous lire, ce n’est pas sa décision…

Son père a choisi le Japon pour elle. Je pense qu’elle allait finalement prendre la décision, pendant son enfance. Mais, au bout du compte, ce n’était pas la décision de Naomi. C’était celle de son père, de représenter le Japon. Il a donné un tas de raisons différentes au fil du temps. Pourquoi a-t-il fait ça ? Une partie était certainement culturelle. Vous savez, ses filles sont nées là-bas, et c’était leur langue maternelle. Et il a rencontré sa femme (ndlr : une Japonaise lui est Haïtien). Et ils aimaient beaucoup de choses au Japon. Mais c’était quelque chose qui devait définitivement être reconsidéré pendant de nombreuses années. L’une des choses que j’aborde dans le livre et qui n’a pas été autant rapportée auparavant, ce sont les efforts déployés par l’USTA (Fédération américaine de tennis) pour essayer de les convaincre de jouer pour les États-Unis plutôt que pour le Japon (ndlr : Naomi Osaka a déménagé aux États-Unis, avec ses parents, lorsqu’elle avait trois ans). Quand elle était adolescente, et même après lorsqu’elle a commencé à jouer un peu sur le circuit WTA, ils essayaient encore de la recruter et de lui proposer des choses, mais somme toute, le Japon était le choix. Aussi, je pense, qu’il y avait évidemment en arrière-plan la situation avec Kei Nishikori, qui était devenu une grande star du tennis masculin japonais et était considéré comme un athlète extrêmement performant. Il était difficile d’ignorer l’argent et l’attention qu’il recevait du Japon. Je pense donc qu’il y avait plusieurs facteurs différents, mais certains d’entre eux étaient certainement culturels, et certains d’entre eux étaient liés aux possibilités financières.

Naomi Osaka est une Japonaise métisse. Vous vous attardez sur ce sujet…

Oui, il y a quelques chapitres à ce sujet. À propos d’elle, sa propre identité et aussi sur la façon dont le Japon réagit à cela. Le Japon est l’un des pays du monde le plus homogène. Il y a très, très peu de diversité au Japon, comparé à la plupart des autres grands pays du monde. Donc avoir quelqu’un qui était issu de deux pays et cultures, c’était très inhabituel dans la culture japonaise en termes de célébrités et de société. Voir comment elle a été reçue là-bas ou parfois mal comprise, était définitivement quelque chose que je voulais explorer dans le livre.

Naomi a parlé ouvertement de sa santé mentale. Comment avez-vous abordé ce sujet ?

Sa santé mentale est une grande partie du livre. Il s’ouvre avec un chapitre consacré au moment où elle a finalement décidé d’être convaincue, par son équipe et sa famille, de commencer, à parler à un thérapeute, en 2022. Ses luttes, qui ont été très documentées, lui ont valu beaucoup de sympathie au fil du temps. Pour certaines personnes, c’était aussi frustrant qu’elle semble avoir autant de difficultés ou simplement d’être « triste ». Mais elle est devenue une immense icône et le visage du mouvement autour de la sensibilisation à la santé mentale. L’ouverture, de ce sujet, a été surtout en 2021, pendant la pandémie, où cela est devenu un sujet plus important qu’auparavant. Le livre aborde cela et évoque comment elle est devenue, cette voix et ce que cela signifiait pour elle et plus largement pour la société.

Avez-vous envoyé un exemplaire du livre à Naomi ?

Je lui ai envoyé une copie. Je lui avais dit qu’elle (ou son équipe) en aurait une copie. Je veux dire que j’ai écrit tout cela de manière indépendante. Ce n’était pas comme si c’était une chose sur laquelle elle avait le contrôle ou l’approbation éditoriale. C’est quelque chose que j’ai écrit librement et de manière indépendante.

Cet ouvrage est en anglais, pensez-vous à une version française, espagnole, japonaise… ?

Ce serait génial. J’espère vraiment que cela pourra arriver. Je ne pense pas que nous ayons – avec l’éditeur – encore réellement conclu des accords. Je sais que le Japon est certainement un sujet sur lequel nous travaillons. La France et l’Espagne aussi, évidemment de grands pays aussi. Je sais que nous avons déjà quelques accords dans d’autres pays européens. Par exemple avec la Pologne, la Roumanie, ou encore Taiwan et peut-être certainement d’autres pays anglophones. L’Australie et le Royaume-Uni ont un accord commun. J’espère vraiment qu’il y aura un intérêt dans d’autres pays aussi, parce que je sais qu’il y a évidemment beaucoup de fans de tennis partout dans le monde et des fans de Naomi aussi.

Quelle place ce livre a-t-il dans votre carrière ?

C’est quelque chose dont je suis vraiment fier. C’est le premier genre de livre majeur que j’écris. Et j’espère que cela apparaît comme une sorte de symbole de ce que je faisais dans le tennis, car vous savez, j’ai travaillé dans la couverture des tournois de tennis en tant que journaliste pendant environ dix ans avant ce livre. Donc j’espère que le livre sera une démonstration de cette expérience. C’est définitivement quelque chose dont je suis fier. Et j’espère que les gens l’apprécieront et reconnaîtront le travail qui a permis de le réaliser.

Désormais, après avoir écrit cette biographie, quel regard portez-vous sur Naomi Osaka ?

Je pense, toujours, qu’elle est fascinante et qu’elle raconte une histoire unique. Une histoire qui a beaucoup d’événements auxquels les gens peuvent s’identifier. Vous savez, il y a beaucoup de choses qu’elle a traversées et les lecteurs reconnaîtront et comprendront tout cela en se plongeant dans leur propre vie. Avoir une sœur avec qui elle était en quelque sorte en compétition, qui pratiquait également le tennis, ça a pu faire naître des sentiments de motivation, mais aussi être un facteur de difficultés. Il y a beaucoup de choses à ce sujet dans le livre. Je pense toujours qu’elle est une personne assez remarquable et spéciale, qui a eu un grand impact sur le sport. J’espère que le livre pourra aider les gens à, mieux, la comprendre et à comprendre cet impact.

Propos recueillis par E-A le 10 décembre 2023.