Taylor Townsend: «Mentalement et émotionnellement, cela en valait la peine»
29 septembre 2023Après être devenue maman en mars 2021, Taylor Townsend avait décidé de poursuivre sa carrière. De retour, depuis peu, dans le Top 100, l’Américaine, qui n’a pas été épargnée pas les commentaires en tous genres, nourrit de grandes ambitions, mais avec, désormais, une approche différente.
Vous avez été en Europe de la mi-avril jusqu’à Wimbledon. Comment l’athlète de haut niveau et la mère de famille, que vous êtes, négocie-t-elle avec elle-même cet éloignement ?
Au début, j’étais censée rentrer chez moi après Roland-Garros. J’ai décidé que ça n’en valait pas vraiment la peine de rentrer à la maison pour repartir immédiatement jouer les qualifs de Wimbledon. J’en avais discuté avec mon coach. Je ne pensais pas que pour moi. Mentalement et émotionnellement, cela en valait la peine. Je jouais bien, en simple, en double il y a eu aussi cette finale à Roland-Garros. C’était une période assez longue. J’avais l’impression d’être dans une bonne période, donc la culpabilité d’être loin et de ne pas être là au quotidien était moins grande, mais cela reste fragile. L’éloignement fait partie du job, mais là, comme maman (ndlr: en mars 2021 elle devient mère), c’est vrai que c’est délicat à gérer. C’est un défi mental. J’essaie de maximiser chaque jour pour qu’au moins cet éloignement est une valeur dans ma progression et dans mes résultats. J’ai l’impression d’être dans une bonne période, donc la culpabilité d’être loin et de ne pas être là au quotidien est moins grande, mais cela reste fragile. C’est sans doute un sentiment que beaucoup de mamans ressentent à travers le monde.
Dans ces conditions, êtes-vous une maman sur FaceTime ? Si oui, pour vous, comment cela se passe ?
Les nouvelles technologies servent au moins à ça. Durant cette période, tous les jours, malgré le décalage horaire important, l’espace d’un instant, certes à travers un écran, la distance avait disparu. C’est comme si j’étais avec lui. Nous étions là et nous jouions avec ses petits animaux pendant environ dix minutes. Il s’asseyait devant la caméra pour jouer. Et je me disais, qu’est-ce que je peux dire ? Je pourrais dire qu’il me manque. Même si c’était la réalité, je ne me suis pas concentrée là-dessus, pour faire bonne figure. De ne pas avoir près de moi mon fils était un manque, mais j’étais rassurée, car Dieu merci il était entre de bonnes mains. Je n’étais pas inquiète. J’essayais d’utiliser cette opportunité pour juste vraiment me concentrer à 100% sur moi-même. Tout comme maximiser ces temps et tenter de grandir autant que possible, d’apprendre autant que possible et comprendre davantage sur moi-même, afin de lui apporter par la suite. Donc c’était dur. Je prenais juste un jour à la fois, et j’ai apprécié d’avoir l’opportunité de pouvoir me concentrer sur moi et de jouer du bon tennis.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez souhaité poursuivre votre carrière après votre maternité ?
La maternité m’a donné une perspective différente, encore plus à l’égard du jeu. Je sais vraiment que je ne suis pas ici par talent. Oui, j’ai du talent, entre guillemets, peu importe. Mais je suis ici parce que je travaille d’arrache-pied pour arriver à ce niveau. J’ai voulu revenir parce que j’aime profondément le tennis et surtout parce que j’avais la conviction que je n’avais pas terminé mon voyage. Ce voyage, qui correspond à ma première partie de carrière, n’a pas été facile. Avec la maternité et une certaine forme d’expérience, j’ai à présent plus de recul sur ce monde du tennis et la compétition. Pendant très longtemps, je me suis dit : « Je sais que je peux, je sais que je peux, je sais que je peux ». Désormais, je crois vraiment que je suis une joueuse de haut niveau. Chaque fois que j’arrive sur le court, que ce soit en simple, en double ou en double mixte, qu’il s’agisse d’un Grand Chelem ou d’une autre catégorie de tournoi, je ne le prends pas pour acquis.
Alors que vous n’étiez encore junior, votre physique a sucsité des commentaires en tous genres. Comment avez-vous traversé cette période où au fil du temps les réseaux sociaux ont pris de plus en plus de place ?
Je n’ai jamais été comme toutes ces filles grandes et maigres et je ne le serai jamais. Je n’y peux rien. Ma corpulence n’est pas celle-ci. Je suis toujours allée sur le court, m’entraîner, chaque jour, en me bougeant les fesses. Les gens pouvaient dire ce qu’ils voulaient, je m’en moquais. En revanche, quand, à l’époque (ndlr: en 2012) l’USTA a commencé à sous-entendre de ne plus me soutenir, tant que je ne perdais pas du poids, là, c’était humiliant et choquant. J’étais très triste durant cette période, car je trouvais cela “injuste “, car je me donnais beaucoup de mal à l’entraînement, d’autant plus que j’étais numéro une mondiale chez les juniors. En réalité, ça a conforté mon envie d’accéder au plus haut niveau. Chacun est construit différemment. Moi, je n’étais pas dans la “norme” du marketing du tennis. La grande, blonde et surtout mince. J’ai toujours eu cette envie d’encourager les filles à croire en elles et à aimer ce corps qu’elles avaient. Les réseaux sociaux sont une partie intégrante de notre époque. Il y a des commentaires sympas de fans puis d’autres… Concernant ma silhouette, cela fait un moment que je ne me préoccupe plus de ce que les autres pensent de moi et à vrai dire, je n’accorde pas beaucoup d’importance aux réseaux sociaux. Mais je reconnais que cela peut être violent et cruel.
Lors de la dernière édition de Roland-Garros, les organisateurs avaient mis en place une application pour protéger les joueuses et les joueurs contre le cyberharcèlement. Qu’en avez-vous pensé ? Avez-vous utilisé cette application ?
Je n’ai pas souhaité utiliser cette application, car pour cela, il fallait céder sa confidentialité pour l’utiliser, afin que l’application puisse bloquer ces différents commentaires. Mais je pense que c’est génial que les organisateurs pensent aux joueurs et à leur santé mentale. Je suis reconnaissante qu’ils réfléchissent à cela. C’est une étape de plus. C’est aussi mieux que de ne rien avoir du tout et de devoir en quelque sorte y faire face tout seul. De nos jours, ces réseaux sociaux prennent une place de plus en plus importante.Je n’ai pas souhaité utiliser cette application, car pour cela, il fallait céder sa confidentialité pour l’utiliser, afin que l’application puisse bloquer ces différents commentaires. Si c’est quelque chose que vous utilisez uniquement pour le travail, le loisir… Mais si c’est quelque chose que vous utilisez aussi personnellement, ou si c’est une sorte de mélange, comme pour moi, c’est à la fois personnel et professionnel, vous savez, je pense qu’il faut juste peser les options. Il vous suffit de peser ce que signifie la vie privée pour vous. Et si vous êtes prêt à y renoncer pour vous protéger contre les commentaires.
En 2014, au 1er tour de Roland-Garros, sur le court Suzanne-Lenglen, vous battiez Alizé Cornet. Neuf ans plus tard, bien que nous avons évoqué votre maternité, quelle est la différence entre la Taylor de cette période-là et celle d’aujourd’hui ?
2014… Cela un côté effrayant. C’était la première fois que je jouais le tableau principal d’un Grand Chelem. C’était donc très excitant par rapport à maintenant. C’était très différent. Comme joueuse à ce moment-là, je pense, que je cherchais à comprendre où j’étais tombée, où était ma place. Je suis désormais plus sûre de moi, de mon jeu, de ma capacité à rivaliser avec les meilleures joueuses du monde. Au fil des années, j’ai pris des initiatives concernant ma carrière et ma vie personnelle, ce qui m’a aidée à devenir une personne plus équilibrée et tout simplement plus adulte. C’est une bonne question, car elle m’incite à me remémorer toute ma progression et le chemin que j’ai emprunté. Je suis donc extrêmement heureuse de l’endroit où je suis et je cherche, avec impatience, là où je vais. Si je pouvais rencontrer la Taylor de cette année-là, je lui dirais: ” Relax, tu vas y arriver ! “
Propos recueillis par E-A