Jonathan Eysseric : «Je sais que j’ai encore de belles choses dans ma raquette»

13 mai 2016 Non Par SoTennis

Longtemps considéré comme le nouvel espoir du tennis français, Jonathan Eysseric a mis du temps à décoller cette étiquette devenue trop lourde pour lui. Les blessures, le doute et quelques mauvais choix et conseils, ont ralenti la progression du Frenchie, mais n’ont pas altéré son envie d’atteindre les sommets. Avant de disputer son quart de finale au BNP PARIBAS PRIMROSE, l’Azuréen évoque son parcours et les récents changements qu’il a opérés à sa préparation.

Jonathan Eysseric au BNP PARIBAS PRIMROSE 2016 / ©SoTennis

Jonathan Eysseric au BNP PARIBAS PRIMROSE 2016 / ©SoTennis

Vous disputez de nouveau le BNP PARIBAS PRIMROSE, que ressentez de revenir ici?
J’adore tout ici, le tournoi qui est bien organisé, la ville où j’ai quelques amis qui y résident, vraiment tout. C’est toujours l’un des tournois que j’apprécie de jouer. Depuis l’an dernier cela se passe plutôt bien, donc c’est assez agréable.

Cette semaine, vous êtes 334e en simple (meilleur classement 204e en juin 2013) 189e mondial en double (175e en juin 2014), quel est votre objectif en termes de classement pour cette année?
Je suis assez content de sauver un peu la baraque, car l’an dernier, à cette période de l’année j’avais très bien joué. Cette année si je ne jouais pas bien j’aurais pu chuter au-delà de la 400e place mondiale. Mon objectif est avant tout d’être plus constant et d’atteindre au moins mon meilleur classement en fin d’année, ça serait super. Je ne me fixe pas de barème de points ni de limite. Depuis un mois, j’essaye de prendre les matchs les uns après les autres.

Le classement ATP n’est-il pas une obsession, lorsque l’on galère à jouer notamment en Futures?
Si, car comme lorsqu’on n’arrive pas à jouer des tournois de catégorie supérieure, on se retrouve toujours à jouer les mêmes tournois avec peu de points à gagner. Au final, si tu n’arrives pas à «claquer » une perf’, comme j’ai fait ici l’an dernier, si tu fais six mois pas terribles, tu te retrouves à jouer de nouveau tous ces tournois. Bien sûr, je peux aller jouer les qualifications des Challenger, mais c’est toujours très dur d’y sortir.

Vous avez été considéré par certains comme le nouveau prodige du tennis français. Comment avez-vous géré cette étiquette que l’on vous avait collée?
Je n’ai pas dû très bien la gérer aux vues de là où j’en suis aujourd’hui. Aujourd’hui, avec le recul, je pense que j’ai dû mal gérer cette période tout comme peut-être les personnes qui ne m’ont pas nécessairement assez bien aidé. Ce n’est pas une étiquette facile à porter. Lorsque tout va bien, l’exposition est géniale. En revanche, lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous, c’est moins marrant. Je pense que je n’étais pas du tout prêt à encaisser les contrecoups et les blessures physiques. Ces dernières ont fait naître en moi des barrières. Je me suis mis à douter et mon tennis en a pris un coup. Aujourd’hui, j’ai 25 ans, il y en a qui me pense mort, il y en a (beaucoup) qui me dise l’inverse. C’est dur de s’autoriser d’avoir du temps et d’accepter qu’à 25 ans l’avenir, tennistiquement parlant, est devant soi. Je commence à l’accepter, c’est certainement la maturité.

«À ce moment, je me suis dit que le problème n’était pas physique mais mental »

Dans votre parcours quelle place occupe la confiance?
Elle a une place assez importante, car elle m’a jouée pas mal de tour. Dans le tennis cette confiance vient assez lentement et elle repart très très vite. Il faut savoir gérer les moments de doute, ou du moins tenter de le faire. C’est quelque chose que je n’arrivais pas du tout à faire. Néanmoins, depuis deux mois, je travaille avec un préparateur mental. Je m’en suis convaincu après ma défaite face à Gastao Elias à Rio, où j’avais mené 6-3 5-3, avant de m’incliner. À ce moment, je me suis dit que le problème n’était pas physique mais mental, avec des pensées négatives, du stress… qui fait que j’ai déjoué. J’ai accepté le fait que cette aide était aussi bénéfique, qu’un exercice au panier, avec comme principale ambition, améliorer ce mental afin d’éviter qu’il ne lâche dans les moments durs. Si les meilleurs sont entourés de ce genre de préparateurs, ce n’est pas pour rien. À un certain niveau, ce mental c’est peut-être 70% du tennis. Après quelques semaines de travail, j’ai l’impression que cela m’aide, en particulier ici (à Bordeaux), où je ne suis pas arrivé avec une grande confiance, sans jouer mon meilleur tennis, mais j’arrive à être jusqu’à présent assez constant.

Lorsque l’on joue la plupart du temps sur le circuit secondaire, comme c’est votre cas, arrive-t-on à gagner sa vie?
C’est compliqué. J’ai la chance de briller de temps en temps en Challenger, ce qui me permet d’obtenir des dotations correctes. Lors des Futures à 25 000 $, comme à Angers où j’avais remporté le double et perdu en finale du simple, j’ai pu repartir avec un chèque intéressant pour une semaine. Mais ce n’est pas la vie dorée. Financièrement, il faut faire attention pour pouvoir bien finir l’année. Mais l’avantage du tennis, c’est qu’un joueur peut très vite passer du côté qui brille. Mais il ne faut pas perdre espoir. C’est pour cela que nous sommes nombreux à jouer des plus « petits » tournois, pour pourquoi pas un jour atteindre les sommets.

Fin 2014 vous aviez décidé de faire appel au financement participatif pour financer votre saison 2015. Comment l’idée vous est-elle venue?
C’est l’idée de mon ancien entraîneur (NDLR :Didier Lanne), car je n’avais pas assez de fond pour pouvoir le rémunérer pour la saison 2015. C’est lui qui m’a soufflé l’idée. Finalement, cela a bien marché. Avec l’argent récolté, j’ai ainsi pu payer mon préparateur physique pour toute l’année. De plus, des investisseurs sont venus se greffer à ce projet. Ils m’ont beaucoup aidé. Ce fut une belle opportunité afin d’être suivie toute une saison à plein temps.

«Je pense que la première solution serait d’enlever ces paris sportifs de ce sport individuel»

Combien vous coûte, tout compris (avec un entraîneur) une saison?
Une saison coûte environ 100 000€. C’est ce prix qu’il faut mettre afin d’avoir un entraîneur avec un salaire relativement raisonnable. Environ 60 000€ pour payer son salaire et ses frais et 40 000€ pour les frais du joueur pour l’année.

En début d’année le monde du tennis a été frappé par les révélations de paris truqués. En fréquentant le circuit secondaire, qu’en pensez-vous de tout cela?
Ce genre de paris, il y en aura malheureusement toujours. Un joueur qui est classé 250e mondial, issu d’un pays défavorisé, connaissant des difficultés financières, peut connaître la tentation de répondre favorablement à la tentation d’empocher 10 000$, qui sont proposés par un étranger pour perdre un match. Je pense que la première solution serait d’enlever ces paris sportifs de ce sport individuel. Tant qu’il n’y aura pas une certaine égalité entre des joueurs qui donnent leur vie, mais qui ne sont pas les moyens de décemment vivre, ce sera compliqué. Il y a une grande différence en matière de prize money pour un joueur de tennis au-delà de la 100e place mondiale et un joueur de golf avec le même classement.

Face à la pression notamment du conseil des joueurs, l’ATP a augmenté depuis quelques années ses prize money. Selon vous, les efforts sont-ils également observables pour le circuit secondaire?
Il est vrai que les dotations des tournois du Grand Chelem ont été augmentées. Mais les joueurs qui disputent ces tournois sont classés dans le Top 100, où l’on commence à bien gagner sa vie. Au lieu d’augmenter 20% la dotation du vainqueur en Majeur, cette augmentation pourrait peut-être mieux être mise aussi sur tous les tours des tournoi Challenger. Lorsque l’on est 400e mondial et que l’on gagne 400€ au 1er tour d’un Challenger, en venant avec un coach, payé à la semaine avec tous les frais, le déficit est important. Je pense qu’un 1er tour de cette catégorie de tournois devrait au moins permettre aux joueurs de couvrir tous les frais que je viens de citer et proposer au moins 600 ou 800€, comme c’est le cas à Bordeaux.

«Après divers problèmes, on voit les choses différemment»

Depuis le début de l’année vous jouez avec un nouvel équipementier raquette. Qu’est-ce qui vous a poussé à signer avec eux, outre peut-être l’aspect financier?
Sur l’aspect financier, je n’en ai pas vraiment. Tout d’abord, mon ancien équipementier a réduit ses budgets et ne m’a plus donné le matériel dont j’avais besoin pour l’année, car visiblement même pour eux c’est un peu la crise. J’avais donc le choix d’aller voir ailleurs. C’est alors que Tecnifibre m’a sollicité et c’est une belle aventure. C’est une marque qui gagne à être encore plus connue, car ce sont vraiment des gens qui se donnent à fond pour leur joueur. Nous avons effectué quelques ajustements sur ma raquette et cela paye plutôt pas mal avec une finale en Future et un tournoi à Bordeaux où je suis encore en lice. Je suis vraiment heureux de faire partie de cette équipe et j’espère que nous allons faire de belles choses.

Vous êtes présent sur les réseaux sociaux où vous n’hésitez pas à parfois à répondre à certains internautes, ou à donner votre point de vue. La spontanéité et la franchise sont-elles bonnes conseillères?
En général j’évite de me prononcer sur des sujets évoquant la politique ou même concernant le monde du tennis, car je n’ai pas envie de juger quelqu’un qui est dans mon milieu. Je me prononce plus sur des émissions de télévision ou sur le sport. Je suis avant tout un fan de sport et je n’hésite pas à m’exprimer là-dessus, car ce sont des sujets qui m’intéressent. Néanmoins, j’essaie de ne pas faire trop de vague, car sur les réseaux sociaux, on a vite fait de s’emballer, même si parfois cela me démange d’écrire des choses.

Vous êtes passé professionnel en 2008. À présent, quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés de cette vie sur le circuit ATP?
Nous avons beaucoup de chance de voyager partout dans le monde. C’est aussi un style de vie très difficile, car il y a l’éloignement avec ses proches la majeure partie de l’année. Malgré tout, cela reste un avantage énorme de pouvoir être sur le circuit professionnel. On sait la chance que l’on a, même si on le sait peut-être moins lorsque l’on a 18 ans. À cet age, je ne me rendais compte de rien, je pensais que tout était acquis. Mais après divers problèmes, on voit les choses différemment.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous fait encore courir?
J’ai encore un goût d’inachevé. Depuis tout petit, j’ai envie d’être dans le Top 100, j’ai envie de me frotter aux meilleurs. Je l’ai fait en juniors, je l’ai fait grâce à des invitations lorsque j’ai commencé ma carrière et finalement, cela c’était relativement bien passé. À l’époque, j’avais accroché Andy Murray à Roland-Garros (NDLR : au 1er tour de l’édition en 2008) je m’étais alors dit que j’avais dans ma raquette un Top 10. Nécessairement, avec tout cela la motivation et l’espérance étaient grandes. Plus que quelqu’un qui a 25 ans qui est 400e mondial et qui n’a jamais connu de gros tournoi. Je sais que j’ai encore tout cela dans la raquette. Si je me suis fait beaucoup critiquer, c’est que le grand public pense certainement que j’ai aussi tout pour y arriver. Le plus dur est peut-être d’en être convaincu. Aujourd’hui en travaillant sur les aspects qui m’ont coûté cher dans le passé, j’espère atteindre mon but.

Propos recueillis par E-A