Jérémy Botton : «Le nouveau Roland-Garros est une réalité»

30 novembre 2016 Non Par SoTennis

Après des semaines de sollicitation, c’est finalement en marge de la finale de Fed Cup, à Strasbourg, que Jérémy Botton, directeur général de la Fédération française de tennis, a bien voulu répondre à nos questions. Porté par la récente décision du TGI de Paris, à propos de l’extension de Roland-Garros, l’homme des dossiers lourds et de l’intelligence relationnelle à la FFT, fait le point.

Les travaux de modernisation du stade Roland-Garros se poursuivent /©SoTennis

Les travaux de modernisation du stade Roland-Garros se poursuivent /©SoTennis

Suite à votre école de commerce (ISTEC Paris) vous avez commencé votre carrière au sein de la Griffe Roland-Garros, où vous y êtes resté pendant 6 ans. Ces années-là, vous ont-elles apporté une autre vision du tournoi de Roland-Garros?
J’ai effectivement découvert le tournoi par ce prisme-là, celui des produits dérivés. J’y ai vu essentiellement l’aspect grand public et l’aspect de la marque Roland-Garros. Cela m’a permis de bien appréhender ce qu’était le tournoi et comment il était vécu par les spectateurs et par les consommateurs des produits la Griffe Roland-Garros à travers le monde.

Après avoir occupé le poste de directeur délégué de la Fédération française de tennis, vous avez été nommé le 26 février dernier directeur général. Le patron de la FFT, c’est vous?
À la fédération, nous avons des élus et non des actionnaires. Les patrons de cette fédération ce sont les élus avec le Bureau fédéral et le comité directeur qui travaillent à la fédération avec les 350 salariés et un directeur général que je suis. Nous travaillons main dans la main avec les élus, au siège de la FFT comme dans les ligues, pour faire avancer nos projets.

Cette nomination a été faite dans des conditions particulières. Comment s’est déroulée la transition de passer de directeur délégué à directeur général?
Il est vrai que cela s’est passé dans un contexte particulier. J’ai été nommé suite à l’éviction violente et brutale de Gilbert Ysern, qui était l’ancien directeur général de la FFT et directeur du tournoi de Roland-Garros. Tout d’abord, mon rôle a été de proposer à nos élus de nommer Guy Forget directeur du tournoi de Roland-Garros puis de livrer une édition 2016 dans les meilleures conditions possibles et de faire en sorte que les dossiers de la fédération avancent dans un contexte électoral que nous connaissons.

«Tout Roland-Garros sera fini en 2020»

Depuis octobre 2015 les travaux du nouveau Roland-Garros ont débuté au sein même du stade Roland-Garros. Aujourd’hui, où en est-on?
Ces travaux, sur le triangle historique du stade Roland-Garros, avancent très bien. La porte I, actuellement en chantier, sera livrée pour le tournoi 2017. Le nouveau village et le bâtiment pour l’organisation (en lieu et place de l’ancien Centre National d’Entraînement) seront livrés pour l’édition 2018. Le court dans le Jardin des serres d’Auteuil sera terminé en 2019, le bâtiment des meulières en 2018. Tout Roland-Garros sera fini en 2020. Les péripéties judiciaires ne sont pas finies, mais touchent à leur fin. Récemment, nous avons reçu une bonne décision provenant du Conseil d’État, puis, le 10 novembre dernier, celle du TGI de Paris. Chaque année nous allons apporter des nouvelles installations. Nous avons entre les éditions du tournoi environ 9 mois pour réaliser les travaux.

Qu’en est-il de la date de livraison du nouveau court central et son toit rétractable?
Le court central actuel sera déconstruit à hauteur de 80%. Il sera fini en 2020 avec son toit rétractable. Les sessions en soirée n’auront lieu qu’en 2021.

Dans ce Jardin des serres d’Auteuil, concrètement que souhaitez-vous y faire?
D’une part, je souhaite rappeler que nous ne mettons pas les pieds dans la parcelle historique des Serres d’Auteuil. Nous ne mettons pas les pieds là où sont présentes les serres réalisées par Jean-Camille Formigé. Nous n’y touchons pas. Nous allons réhabiliter, avec les architectes des bâtiments de France, les bâtiments en meulière qui étaient en très mauvais état et servaient principalement de garage pour les engins horticoles. Ces bâtiments serviront à abriter essentiellement des espaces pour le public. Au bout de cette allée, effectivement nous déconstruisons les serres techniques et chaudes, bâtiments de construction récente ne bénéficiant d’aucune protection au titre des Monuments Historiques et ne possédant aucun intérêt architectural particulier. À leur place, nous allons construire un court semi-enterré de 4 950 places, qui ne laissera apparaître aux visiteurs du jardin que les quatre serres entre lesquelles il sera enchâssé. L’ensemble des collections du site seront préservées et redistribuées dans ces serres ainsi qu’au Parc Floral de Paris. Inspirées de l’architecture des serres historiques adjacentes de Formigé, ces nouvelles serres proposeront aux visiteurs et aux passants, tout au long de l’année hors tournoi, l’exploration des collections qui y seront réinstallées.

«Aujourd’hui, force est de constater que la justice nous donne raison, et qu’elle donne tort à nos opposants, c’est là l’essentiel»

Alors que l’Open d’Australie est doté de trois courts couverts que Wimbledon et l’US Open vont bientôt en avoir deux, le nouveau Roland-Garros, avec un, prévu pour 2020, n’est-il pas déjà dépassé?
J’aimerais profiter de cette interview pour tordre le cou à une idée reçue qui consiste à dire que le tournoi de Roland-Garros et ses infrastructures, livrées en 2020, seront obsolètes. C’est totalement faux. Si nous sommes restés sur le site historique, c’est pour cultiver notre différence. Peut-être que le tournoi sera, en matière de superficie, plus petit, selon ce que nous prenons en compte, mais on va livrer des infrastructures d’extrêmement haute qualité, pour les joueurs, les médias, les partenaires, pour le public. Avec un niveau de service haut de gamme qui sera nulle part ailleurs. Je reviens de l’US Open. Oui, c’est grand, mais c’est sans charme, c’est juste grand et fonctionnel. Nous, ce sera moins grand, mais il y aura un niveau de qualité extrême. Concernant les courts couverts, nous aurons un court (le Philippe-Chatrier) avec un toit rétractable, ce qui est essentiel pour garantir un spectacle aux télévisions. Est-ce qu’il y en aura d’autres dans l’avenir, je ne saurais vous le dire.

Les opposants à cette extension dans le Jardin des serres d’Auteuil s’expriment régulièrement via différents supports. De votre côté, mis à part quelques communiqués laconiques et quelques rares photos, via le www.nouveaurolandgarros.com, vous restez silencieux. Est-ce un choix de votre part de rester discret?
Discret oui et non. Nous avons communiqué. Nous avons à de nombreuses reprises expliqué, notamment lors des phases de concertation, notre projet. Le problème est que ces explications sont restées inaudibles, les associations d’opposants ayant saturé l’espace médiatique pour faire croire à tout le monde que nous étions des barbares. Peut-être que nous n’avons pas été assez offensifs, on peut toujours refaire l’histoire. Aujourd’hui, force est de constater que la justice nous donne raison, et qu’elle donne tort à nos opposants, c’est là l’essentiel. La com’ cela peut être bien, mais ce qui compte, c’est la réalité que sont les décisions de justice. Ce qui compte vraiment, c’est que le projet avance.

Différents publi-reportages concernant le nouveau Roland-Garros ont été récemment publiés sur les sites Internet Le Monde, du Huffington Post (.fr) et de L’Equipe. Ce procédé, est-ce votre nouvelle stratégie pour évoquer le nouveau Roland-Garros?
Nous avons effectivement fait des actions de communication sur ces médias-là afin d’expliquer les vertus de notre projet qui n’est d’ailleurs aujourd’hui plus un projet mais une réalité. À un moment, nous en avons eu marre d’entendre certains propos, en particulier ceux qui concernent le Jardin des serres d’Auteuil. Ces propos nous faisaient passer pour « des salauds de riches » venant du tennis, se comportant comme des Ostrogoths arrivant pour détruire les Serres d’Auteuil, ce qui n’était évidemment pas vrai.

L’ensemble des travaux est estimé à 350 millions d’euros, financés à 95% par la FFT. Ce financement remet-il en question votre politique redistributive fédérale qui est adossé aux recettes provenant de Roland-Garros?
Ce modèle redistributif n’est pas remis en cause. Ce modèle est possible grâce à Roland-Garros. Le tournoi se porte bien, et c’est pour cela que nous investissons dans ses infrastructures afin d’assurer la pérennité de son succès. Ce modèle redistributif aurait pu être remis en question si l’on n’avait pas investi, si le tournoi avait pris du retard par rapport à ses concurrents. Nos recettes n’auraient pas continué à croître. Aujourd’hui, nous allons emprunter près de 200 millions d’euros auprès des établissements bancaires et financer le reste sur nos fonds propres.

«Nous sommes en train d’étudier différentes formules afin de flexibiliser la vente de notre billetterie, afin de la rendre plus accessible»

Le prix de la licence FFT a augmenté ces dernières années de manière significative. Cette augmentation sert-elle à financer le nouveau Roland-Garros?
La licence de tennis était relativement peu élevée. Aujourd’hui, elle est à 29€. Cela reste une licence peu chère. Cette augmentation contribue effectivement en partie à l’effort pour financer le nouveau Roland-Garros et à son business plan global.

Les ligues ont-elles le même financement qu’auparavant?
Pour donner à Roland-Garros les moyens de se développer, il y a trois ans, nos élus ont décidé de stabiliser les subventions attribuées aux ligues. Aujourd’hui, ce sont plus de 25 millions d’euros qui partent chaque année vers le territoire français. Une nouvelle équipe dirigeante à la tête de la Fédération française de tennis va bientôt être élue (en février). On verra les décisions qui seront prises pour les années à venir.

Au terme de la saison sportive 2015 la FFT comptait 1 052 117 licenciés (-3% par rapport à 2014)* avec une érosion qui concerne pour les 2/3 les jeunes de moins de 15 ans. Comment l’expliquez-vous?
Bien qu’elle soit relativement faible, cette érosion est constante. Aujourd’hui, les usages et les modes de consommation ont changé. Le tennis est un sport qui a beaucoup de vertus, mais dont la pratique n’est pas aisée. Apprendre à jouer au tennis ce n’est pas facile. De nos jours, les gens souhaitent pratiquer un sport où ils veulent, quand ils veulent avec qui ils veulent. Nous avons mis en place une réforme qui se nomme Galaxie Tennis, qui concerne ces jeunes. Le but est qu’ils retrouvent du plaisir à jouer au tennis dans leur club, ce qui n’était plus nécessairement le cas. Cette réforme, que nous ajustons, commence à porter ses fruits. Elle est appliquée par près de 50% de nos clubs, car cela prend du temps pour embarquer avec nous les clubs, les enseignants…

«Si nous sommes restés sur le site historique, c’est pour cultiver notre différence»

Les licences découverte et périscolaire sont-elles toujours d’actualité?
Elles sont nouvelles et leur démarrage est très positif. Ce sont près de 25 000 licences découvertes (à 3€) et périscolaires qui ont été prises depuis leur création, en 2015. Ces licences permettent une première approche à la pratique du tennis.

En janvier dernier l’institut Audirep a été mandaté par la FFT pour mener une enquête sur d’éventuelles nouvelles offres et nouveaux services dans le cadre du tournoi de Roland-Garros. Quelques questions concernées la billetterie. Son modèle va-t-il évoluer afin d’acquérir des places pour plusieurs années?
Pour le tournoi de Roland-Garros, nous avons « la chance » d’avoir beaucoup plus de demande que d’offre. Aujourd’hui, la plupart des spectateurs ne restent pas assis sur leurs sièges de 11h jusqu’à 21h30. Même s’ils passent en moyenne près de 8h dans le stade, ils vont se balader dans les allées, ils vont assister à des matchs sur d’autres courts, ce qui laisse à penser, pour certains, que ces sièges vides correspondent à des places non vendues. Actuellement, nous sommes en train d’étudier différentes formules afin de flexibiliser la vente de notre billetterie, afin de la rendre plus accessible. Nous étudions plusieurs modèles. Nous sentons qu’il y a un public qui aimerait avoir une place garantie à Roland-Garros pour plusieurs années, comme le fait Wimbledon avec les debentures.

Pour vous c’est quoi l’intelligence relationnelle?
Nous sommes dans un monde où à mon sens nous ne sommes pas des ordinateurs et où les compétences ne suffisent pas. Surtout dans un métier comme le nôtre où l’on ne fait pas de maths et où la solution n’est jamais évidente. Pour avoir plus d’un million de licenciés, former un vainqueur d’un Grand Chelem, organiser Roland-Garros, le BNP Paribas Masters, les rencontres de Fed Cup ou de Coupe Davis ce n’est jamais évident. C’est en se parlant que l’on va trouver les meilleures solutions. Nous ne faisons pas un métier où quelqu’un détient la vérité.

En tant que directeur général, c’est vous qui avez initié cette « philosophie » ou était-elle présente avant votre prise de fonctions à ce poste?
En tout cas j’y crois beaucoup à cette intelligence relationnelle. Je crois beaucoup à ce quotient émotionnel que l’on évoque, à la bienveillance dans l’entreprise. Je crois aussi beaucoup à l’optimisme d’action. En France, on a trop tendance à voir uniquement ce qui ne va pas. Il faut être dans l’optimisme d’action. Pas dans un optimisme béat, mais s’évertuer à trouver des solutions lorsqu’il y a des problèmes et être conscient de nos forces et nos compétences. C’est ce que j’essaie de développer à la Fédération française de tennis comme directeur général.

*Tennis Info n°479, mars 2016 page 14.

Propos recueillis par E-A