Nicolas Mahut : «En tant que citoyen, c’est une responsabilité de respecter la règle de rester chez soi»

Nicolas Mahut : «En tant que citoyen, c’est une responsabilité de respecter la règle de rester chez soi»

20 mars 2020 Non Par SoTennis

Confiné chez lui, en raison de la pandémie de Covid-19, Nicolas Mahut a pris quelques minutes de son temps pour répondre, par téléphone, à nos questions. L’Angevin, qui pourrait vivre, cette année, sa dernière saison en simple, évoque l’actuelle situation que traverse la France et celle du circuit ATP, sans se départir de l’altruisme qu’on lui connaît.

Dans les circonstances actuelles, tout d’abord comment allez-vous ?

Je vais très bien, ma famille aussi. Le confinement est comme pour tout le monde un petit peu difficile, mais il est nécessaire. J’espère que tout le monde va prendre conscience de l’importance de ce confinement. Pour l’instant, la priorité, c’est de rester chez soi, d’essayer de s’occuper comme on peut et d’attendre.

Comment l’athlète que vous êtes vit ce confinement ? Pouvez-vous, malgré tout, vous entretenir physiquement ?

Forcément, en tant que joueur de tennis et athlète de haut niveau, c’est un peu plus compliqué. La seule chose que je peux faire, c’est d’aller courir au bois de Boulogne, situé à côté de chez moi. J’ai une sortie tous les deux jours, avec du travail de gainage, de musculation que je peux faire depuis chez moi, avec un petit travail de corde à sauter. C’est assez basique et sommaire pour pouvoir rester en forme et faire du mieux possible dans ces circonstances. Certains, dans d’autres pays, pour le moment, n’ont pas tout à fait les mêmes mesures et ou d’autres conditions, mais nous on fait avec et on essaie de s’adapter au mieux, en espérant que peut-être, d’ici à la fin des quinze jours (de confinement), le CNE (centre national d’entraînement) pourrait rouvrir sous certaines conditions. On attend d’en savoir plus.

Le 14 mars dernier, Gilles Cervara, l’entraîneur de Daniil Medvedev, déclarait dans les colonnes du journal l’équipe : « Au retour du tennis, le joueur de tennis qui s’est adapté à cette situation sera au-dessus des autres. Ce hiatus va affecter émotionnellement de nombreux joueurs. » Partagez-vous cette analyse-là ?

Pour l’instant, je ne me suis pas projeté aussi loin. Nous essayons tous de bien vivre cette situation. De toute manière, le tennis est un sport d’adaptation. Durant cette période-là, en tant qu’athlète, on a une visibilité restreinte. En revanche cela ne nous empêche pas d’avoir quotidiennement des objectifs de vie, de se maintenir en forme. Tous les jours, je me pose et je me dis « qu’est-ce que je vais faire aujourd’hui ? » D’avancer comme cela en étant optimiste. C’est sûr que si l’on se dit « oui la reprise va être difficile parce qu’on n’a pas joué depuis tant de temps… » Oui, lorsqu’on reprendra cela sera compliqué! J’insiste sur le fait que là, pour l’instant, on met notre métier, notre vie de joueur de tennis, entre parenthèses et on essaie d’être de bons citoyens et d’essayer de faire en sorte d’aider et de soutenir, comme on peut, les gens qui sont vraiment dans la difficulté.

C’est par un communiqué commun, publié jeudi, que l’ATP et la WTA, ont annoncé la suspension du circuit jusqu’au 7 juin prochain en raison du COVID-19, ainsi que le gèle des classements durant cette période. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

Dans un premier temps, il avait été annoncé six semaines d’arrêt. Nous étions tous convaincu que cela allait être plus long. C’est bien de l’avoir annoncé dès maintenant. Au sujet du classement, qui est gelé, pour le moment, je sais qu’ils sont en train de réfléchir à un système pour proposer quelque chose de juste lors de la reprise. Cela dépendra, encore une fois, de quand on va reprendre.

Avez-vous des infos concernant la distribution d’un prize money aux joueurs durant cette période ?

Pas pour le moment. Je pense que c’est aussi en cours de discussion, en interne à l’ATP et avec les organisateurs du tournoi d’Indian Wells, car nous étions tous sur place (ndlr : les joueurs devraient toucher le prize money du premier tour, 18 155 dollars chacun soit 15 900 euros) au moment de l’annulation. Pour l’instant, je n’ai pas eu de retour à ce niveau-là. De plus, je pense qu’avec l’annonce de Roland-Garros (report en septembre), les priorités sont ailleurs pour l’instant. C’est la « cellule de crise » pour l’ATP, les instances, pour essayer de réagir au mieux et de s’adapter à la situation dans laquelle nous sommes tous contraints.

Justement, cette annonce, mardi, de la Fédération française de tennis du report de l’édition 2020 du tournoi de Roland-Garros du 20 septembre au 4 occtobre, comment avez-vous perçu cette annonce?

En tant que français, nous savons tous quel impact cela a et l’enjeu que revêt le tournoi en termes d’emplois, de rentrées financières, en termes de vocation pour les plus jeunes qui regardent le tournoi. Évidement que moi, en tant que français je serais ravi que Roland-Garros puisse se jouer, car il fait partie de notre patrimoine et qu’il faut faire bien sûr son maximum pour le maintenir par rapport à tous ces enjeux. Ensuite, il y a toujours la manière de le faire. Certains diront que c’est courageux et osé de le faire comme cela, pour justement tous les enjeux économiques et sociétaux, d’autres jugeront que c’est irresponsable et égoïste de réagir de cette manière durant cette période-là. À titre personnel, je pense que c’est jamais une bonne solution de vouloir passer « en force » sans concertation. Le message aurait été, pour moi, meilleur s’ils avaient annoncé travailler à un report de l’édition 2020 tout en menant les discussions avec les instances. C’était une occasion unique de pouvoir tous se réunir et enfin parler d’une seule voix. J’espère que cette annonce-là ne va pas tout remettre en question et que l’on arrivera à une bonne issue pour tout le monde. Malgré tout, dans cette situation particulière, cela reste une très bonne solution d’avoir Roland en septembre.

Suite à l’annonce du report de l’édition 2020 de Roland-Garros La Laver Cup a publié un communiqué, précisant, au moment de sa publication, que les dates annoncées ne seraient pas modifiées…

Je ne suis pas dans les petits papiers, mais c’est certainement une réaction par rapport à l’annonce de Roland-Garros (ndlr : nous lui précisions que le président de la FFT, Bernard Giudicelli, accompagné du directeur général de la FFT, Jean-François Vilotte, a tenu une conférence de presse téléphonique, mardi, et a été questionné afin de savoir « s’ils avaient consulté les organisateurs de la Laver Cup ou s’ils avaient pris cette décision sans leur parler » la réponse du président de la FFT a été la suivante : « La Laver Cup est organisée à cette date, à Boston. Nous, nous organisons un tournoi du Grand Chelem. Aujourd’hui (mardi) on a informé Tony Godsick de notre décision et nous ne l’avons pas consulté. On ne peut pas dire qu’on l’est consulté. » Et à la question « Quelle a été sa réaction » la réponse a été : « C’est Guy Forget qui l’a eu au téléphone et je pense qu’il s’exprimera le moment venu.») Effectivement, Roland-Garros est un Grand Chelem, une compétition historique qu’il faut essayer de maintenir. On a déjà fait assez de mal à des compétitions historiques dans un passé récent, pour essayer de sauver ces compétitions. Encore une fois, j’insiste sur le fait qu’il aurait été mieux de le faire en concertation avec l’ensemble des acteurs et des instances.

Durant cette période de confinement, êtes-vous en contact avec d’autres joueurs, notamment votre partenaire habituel de double, afin, en autres, d’échanger sur ce sujet-là avec eux ?

Oui, j’ai eu très récemment Pierre-Hugues (Herbert) en ligne pour savoir comment il va. On a un groupe de discussion où on échange un petit tous. On a été un peu surpris [de l’annonce du report de Roland-Garros], car nous n’étions pas au courant que cette annonce allait sortir. Il y a des avis différents, c’est aussi ça qui est interessant. Nous, en tant que français, c’est un peu difficile, car nous savons à quel point le tournoi est important pour nous, pour tous les clubs, les entraîneurs… Cela ne concerne pas uniquement les joueurs. D’un point de vue international et des joueurs étrangers qui ne bénficient pas de tout ce qu’apporte Roland-Garros, la manière a fortement déplu, pour le dire d’une belle manière.

Avec cette crise sanitaire le calendrier initial a volé en éclats, même s’il reste une trame, Wimbledon tout comme l’US Open restent, pour le moment, aux dates prévues, donc il faudra passer, immédiatement du dur à la terre battue. Un joueur de tennis passe son temps à s’adapter, mais là cela va au-delà de l’adaptation…

Si on regarde sur le plan du programme, on va dire : « On va jouer l’US Open et après la terre battue », sportivement cela ne tient pas la route. Maintenant, cette année va être une année exceptionnelle. Si déjà la situation va mieux, si on arrive à reprendre le chemin du circuit et à avoir une fin de saison qui tienne la route, on sera chanceux pour cette année sportive. Il est prématuré de parler de calendrier, car on a, lorsqu’on s’informe et que l’on écoute les chercheurs, aucune idée de combien de temps, réellement, cela va durer et du temps de confinement. Évidemment, il faut une réflexion, des discussions en interne qui doivent mener à un [nouveau] calendrier et se dire : « Si on (re)démarre sur gazon, quel pourrait être le calendrier ?» Le calendrier ne sera pas du tout le même selon le moment où l’on pourra reprendre.

Winstom Churchill disait « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté.» Que vous inspire cette citation dans ce contexte-là ?

On a une opportunité en tant que citoyen et une responsabilité de respecter la règle de rester chez soi et il faut vraiment respecter cela! C’est aussi pour les instances du tennis une opportunité de se réunir et de parler d’une seule voix et d’avoir une unité. On n’en n’a pas parlé aussi, mais j’aimerais qu’en cette période-là, j’aimerais beaucoup que Roger Federer puisse par exemple retirer la Laver Cup du calendrier pour cette année ou la décaler en fin de saison. Ce serait un beau geste. La Laver Cup est une exhibition et un show incroyable pour le tennis, mais en même temps, cela représente dix joueurs. Je pense qui si on a la posssibilité de reprendre le circuit à cette période-là, il serait bon de libérer une semaine au calendrier pour pouvoir replacer des tournois et donner à l’ensemble du circuit la possibilité de les jouer. Mais cela reste difficile de parler de cela en ce moment, car ce n’est vraiment pas la priorité, on a d’autre chose à faire que de l’étaler publiquement. Il ne faudrait pas une mise à l’écart.

Propos recueillis par E-A lors d’un entretien téléphonique réalisé le 19 mars 2020.