Nicolas Mahut : «C’est ce joueur-là que j’ai envie d’être»

Nicolas Mahut : «C’est ce joueur-là que j’ai envie d’être»

21 juin 2018 Non Par SoTennis

Attaquant né, Nicolas Mahut n’est jamais aussi heureux qu’à la volée. Pourtant, ces derniers temps, l’actuel 130e mondial avait un peu oublié son tennis offensif. Pour tenter de le retrouver, l’Angevin s’est entouré et s’est réfugié dans le travail. Persévérant et toujours aussi passionné par son sport, le Frenchie évoque sa forme du moment, après un Roland-Garros riche en émotions.

Depuis le début de cette année, l’un de vos entraîneurs est Michaël Llodra. Pourquoi avoir fait appel à lui?

C’est quelqu’un qui me connaît très très bien, avec qui j’ai joué en double. Cela rentré dans une démarche de ma part d’essayer d’être plus offensif sur le terrain. Un tennis que j’avais un peu oublié ces derniers temps. On connaît ses qualités d’attaquant. J’ai fait appel à lui pour recentrer mon jeu sur un tennis plus offensif, d’attaque. J’avais aussi envie de voyager avec lui.

Ce tennis offensif, c’est l’une de vos marques de fabrique. Quelles sont les raisons de cet « oubli »?

J’ai toujours été un attaquant, mais parfois on se perd un peu. Il suffit de jouer un joueur qui retourne bien, ou que l’on dispute des matches où l’on sert moins bien, ou qu’on prenne beaucoup de passings, dans ce cas c’est délicat d’y retourner (à ce tennis offensif). Petit à petit, l’an dernier, j’ai perdu l’habitude, j’étais un petit trop passif par moments. J’avais cette volonté de retourner à ce tennis offensif. En prenant de l’âge, c’est aussi un petit peu plus difficile de défendre son terrain. C’était une volonté de ma part de développer un tennis plus offensif.

Aujourd’hui, sur le circuit, la plupart des joueurs jouent du fond de court, avec une dimension physique importante. Est-ce que cela incite à changer son jeu ou à cultiver sa différence?

Aujourd’hui, ce jeu offensif, il doit être un avantage. Je pense qu’il faut justement produire quelque chose que les joueurs n’ont pas l’habitude ou plus l’habitude de faire face. Je crois que les attaquants ont encore de l’avenir. Bien sûr, il faut beaucoup varier. Bien sûr, qu’il n’y aura plus de joueurs qui feront service-volée sur les deux balles, comme pouvait le faire Stephan Edberg. Aujourd’hui, un jeu avec beaucoup de variations, du service-volée, un coup une montée en deux temps, un coup un retour-volée, c’est finalement ne pas donner de rythme à l’adversaire. Je crois qu’il y a de l’avenir pour ce genre de joueurs. C’est ce joueur-là que j’ai envie d’être ou de redevenir.

Wimbledon est un tournoi que vous affectionnez particulièrement. Un endroit où ce style de jeu peut être pratiqué. L’an dernier, l’état des terrains avait été critiqué par certains joueurs. Est-que c’était votre cas?

L’an dernier, je n’y suis pas resté longtemps. Car j’ai perdu au premier tour en simple et au deuxième tour en double. Je n’ai pas eu beaucoup l’occasion de jouer sur ces terrains. C’est vrai qu’il y a eu beaucoup de joueurs qui se sont plaints de la vitesse des courts, qu’ils soient plus glissants que les autres années. Un constat que je n’avais pas spécialement remarqué. Cette année, j’ai hâte de voir comment les terrains seront.

Il y a trois ans, lors de notre dernier one-to-one, vous nous aviez dit que remporter un tournoi du Grand Chelem, en double, en particulier Wimbledon, était l’un de vos objectifs. Chose faite (l’US Open en 2015, Wimbledon en 2016 et Roland-Garros en 2018). Désormais, êtes-vous « apaisé » d’avoir atteint cet objectif?

Cela faisait plus de dix ans que je courrais après un titre du Grand Chelem. C’était devenu un peu une obsession. J’avais le sentiment qu’une fois que j’en gagnerai un je serai apaisé. De la même manière, que je courrais après un tournoi ATP 250 en simple, que j’ai réussi à remporter (ndlr : quatre titres en simple sur le circuit principal, dans cette catégorie : Newport et s-Hertogenbosh en 2013 et s-Hertogenbosh en 2015 et 2016). Finalement, tant qu’on est en activité, c’est difficile, car on en veut toujours plus et on cherche toujours à en avoir plus. Je crois ce qui m’apaisera, c’est qu’une fois que j’aurai raccroché, je me retournerai en me disant : « J’avais envie de gagner un tournoi en simple, j’ai réussi à le faire. Remporter un tournoi du Grand Chelem en double, j’y suis parvenu. Disputer la Coupe Davis, j’ai réussi à la jouer et à faire partie du groupe victorieux.» La difficulté, c’est de ce dire tout cela, aussi, lorsqu’on est encore en activité, et de garder uniquement le plaisir. Lorsqu’on est compétiteur c’est difficile.

 «J’ai voulu me donner un temps de réflexion»

Au cours de votre carrière, pour différentes raisons, vous avez connu quelques fluctuations en termes de classement, sortant parfois du Top 100. Vous êtes toujours parvenu, jusqu’à présent, à le retrouver, voire même le Top 40. Comment trouvez-vous la force pour à chaque fois (re)faire le travail nécessaire pour retrouver votre place?

Je crois que c’est mon amour pour ce jeu, pour le métier que je fais… Il faut aussi bien se connaître. L’une de mes qualités et la persévérance et la remise en question. Je n’ai jamais eu peur de retourner dans les étages inférieurs du circuit. De jouer des Challengers, parfois des Futures, pour rebondir. Cela m’a jamais fait peur. À chaque fois, j’ai pris cela comme un défi. Je suis redescendu au classement à cause de blessures, parfois parce que j’avais mal joué. À chaque fois, je trouvais les ressources nécessaires pour revenir. Parce que j’ai cette envie et cette passion qui m’anime. J’ai aussi la chance d’avoir un entourage, une femme qui m’encourage dans ce que je fais, même si j’ai des absences un peu longues. Elle sait qu’il ne me reste plus beaucoup d’années sur le circuit. Ce soutien m’aide aussi. Le fait de partir, d’être loin de la maison, lorsque l’on sait que cela se passe bien, sur ce plan-là, c’est plus facile. Je ne sais pas jusqu’à quand j’arriverai à le refaire. C’est vrai que j’ai réussi plusieurs fois à revenir. Chaque fois que je suis redescendu au classement ATP, je suis revenu à mon meilleur niveau. J’espère le refaire encore une fois. À trente-six ans, c’était possible que cela soit mon dernier Roland en simple. Je ne sais pas quel classement, en simple, j’aurai l’an prochain. Tout dépendra du classement. Malgré tout j’ai envie de continuer ma carrière.

Cinq ans après votre dernière finale en double à Roland-Garros (associé à Michaël Llodra), le 9 juin dernier, vous avez remporté, cette fois le titre, avec Pierre-Hugues Herbert. Que représente cette victoire?

C’était vraiment douloureux en 2013. Je pensais que c’était ma seule chance de gagner Roland-Garros. Grâce à Pierre-Hugues, on était là cinq ans après, avec le sourire. Il y a une vraie différence entre perdre la finale et la gagner. Là, c’était100% de plaisir. Ce que l’on vit au moment de la balle de match et les deux ou trois minutes qui suivent, dès que l’on essaie de l’expliquer, c’est déjà trop tard. C’est pratiquement indescriptible. C’est du bonheur à l’état pur. Pierre-Hugues (Herbert) avait glissé à mon fils, très triste ce jour-là de nous voir perdre : « T’inquiète, on va gagner Roland. » Je n’étais pas très content de cela, car il faut pouvoir tenir ses promesses. Avec cette victoire, Pierre-Hugues, a tenu sa promesse… D’autant plus qu’en demi-finale il y a eu cette balle dans l’oreille (ndlr : accidentellement, Pierre-Hugues Herbert lui a envoyé une balle dans l’oreille en jouant). J’étais vraiment mal, avec une perte d’équilibre et un bourdonnement… J’ai vraiment eu peur de ne pas finir ce match. Finalement cela m’a enlevé toute la pression d’une demi-finale à Roland. Ça m’a « libéré ». Puis, après la victoire, il y a eu mon fils qui est venu me voir sur le court. C’est deux ou trois minutes là, quand on gagne, que l’on partage avec Pierre-Hugues, et que mon fils arrive après sur le court, honnêtement, j’étais comblé. Je ne pense pas que je puisse connaître quelque chose de plus fort.

Votre fils, Natanel, vous encourage-t-il, aussi, à continuer?

C’est assez paradoxal. Il m’encourage, il est très heureux et fier de me voir à la télé, lorsqu’on gagne, avec Pierre-Hugues (Herbert), des tournois en double. Il est très fier que l’on rapporte la coupe. En même temps, il a toujours envie que je rentre à la maison. Lorsque j’y suis, il n’a pas envie que je parte. Il arrive à un âge (7 ans), où c’est un petit peu difficile. Les absences lui pèsent de plus en plus. C’est délicat sur ce point-là.

L’objectif est-il de jouer jusqu’aux Jeux olympiques de Tokyo?

L’an dernier, après la finale de la Coupe Davis, j’ai voulu me donner un temps de réflexion. À ce moment-là, beaucoup de choses se sont mélangées dans mon esprit. Remporter la Coupe Davis était un objectif majeur dans ma carrière. Pour continuer, j’ai besoin d’objectifs, sinon c’est très dur de me rendre à l’entraînement. Je me suis laissé les premiers mois de l’année pour réfléchir. Aujourd’hui, je me suis (re)fixé Tokyo 2020 comme objectif. En double, on a raté Rio 2016 ? alors que nous étions arrivés en grande forme. C’est peut-être le dernier grand objectif de ma carrière. C’est assez loin, mais en même temps proche et j’ai envie de me projeter jusque-là.

Votre partenaire de double, Pierre-Hugues Herbert, a souhaité cette saison mettre aussi l’accent sur le simple. Comment cela s’est passé pour établir, le calendrier de vos sorties?

C’est vrai que cette année, c’est une année un peu compliquée, parce qu’il a mis très clairement l’accent sur le simple, même si l’on joue encore les gros tournois ensemble. Malgré tout, lorsqu’on s’aligne, on joue à fond et cela reste un objectif important. Cette année est peut-être une année de transition pour lui. Il a envie de voir jusqu’où il peut monter au classement en simple. À moi de m’adapter aussi. Pour l’instant, j’ai aussi l’envie de revenir et de garder un classement assez haut en simple. Il y a eu des moments lorsqu’il ne voulait pas jouer le double, j’en ai profité pour disputer des Challengers en simple. Ce n’est pas forcément ce que je ferais l’année prochaine si jamais je suis dans la même situation (en termes de classement). On essaie de s’adapter. Pour autant, dès que l’on a un petit peu de temps à passer ensemble sur un court, à s’entraîner pour être performant, comme à Rotterdam (ndlr : victoire), comme à Roland ou comme lors de la dernière rencontre de Coupe Davis (ndlr : victoire 6-4, 6-3, 6-1 face à la paire Fognini/Bolelli), on le fait.

 «Cela restera malgré tout comme une blessure de ne pas avoir pu jouer ce match-là»

Cette Coupe Davis, vous l’avez gagné dans un contexte particulier (il n’a pas été retenu pour disputer le double). Aujourd’hui, avec le recul, bien que l’équipe de France soit qualifiée pour les demi-finales en France face à l’Espagne, considérez-vous l’avoir pleinement remporté cette Coupe Davis ou vous manque-t-il un petit quelque chose?

Pour être franc, la première réaction que j’ai eue, c’est que je n’ai pas eu le sentiment d’avoir gagné cette Coupe Davis. J’ai mis un peu temps pour me dire que c’est un groupe, large, qui a remporté ce trophée. Ce n’est pas anodin que l’on soit huit sur la photo (sur le podium, après la victoire au Stade Pierre-Mauroy). Cette finale, a été personnellement et humainement assez difficile. Il m’a fallu un peu de temps pour digérer ce moment et me sentir vainqueur de cette Coupe Davis. Maintenant, cela va rester comme une blessure, la manière dont cela s’est passée, la finale… À titre personnel, cela a été très contrasté. Cela restera malgré tout comme une blessure de ne pas avoir pu jouer ce match-là, que j’attendais finalement depuis plus de vingt ans. Malgré tout, je préfère me retrouver dans cette situation-là et avoir la coupe à la maison, plutôt qu’une défaite. Cette année, la première rencontre à Albertville (contre les Pays-Bas), a été compliquée à gérer. De revenir dans cette équipe, que Yannick (Noah) me fasse à nouveau confiance, cela été difficile. Nous l’avons bien géré avec Pierre-Hugues (victoire 7-6 [6], 6-3, 6-7 [3], 7-6 [2]) face à la paire Jean-Julien Rojer et Robin Haase ). Lors du quart de finale, à Gênes (victoire 6-4, 6-3, 6-1 face à la paire Fognini/Bolelli), je me suis senti beaucoup mieux. D’ailleurs on a mieux joué. Désormais, nous nous retrouvons encore une fois en demi-finale. On va retrouver ce stade Pierre-Mauroy, avec une perspective d’encore jouer une finale. C’est fantastique, je trouve que nous avons un groupe qui réagit très très bien. Cela pourrait être exceptionnel pour le tennis français si l’on arrive à la gagner deux années de suite.

La demi-finale de Coupe Davis, France – Espagne va effectivement se dérouler, à nouveau, au stade Pierre-Mauroy. Certains fans ont été déçus par ce choix. Selon vous, c’est quoi qui a primé, l’aspect financier (plus de 24 000 potentielles places à vendre par jour)?

Cette déception, je la comprends. J’ai toujours été un défenseur de la Coupe Davis. Le nouveau format, tel qu’il est présenté (au moment de l’entretien) me dérange. Car pour moi, il ne va pas à la rencontre de tous les licenciés (de la FFT), des Français qui n’ont pas forcément la possibilité d’aller voir du tennis à Roland-Garros. La Coupe Davis est une épreuve qui donne la possibilité d’aller en province, vers les spectateurs… Je ne pense pas que sur ce choix, il faille se retourner vers les joueurs, car nous ne prenons pas la décision finale. Nous entendons les possibilités. Nous étions d’ailleurs très contents que la Ville de Montpellier se soit porté candidate pour recevoir cette rencontre. Nous n’avions jamais eu la possibilité de jouer dans cette salle (Sud de France Arena), car à chaque fois, au moment de la Coupe Davis, il y avait toujours des concerts, des manifestations sportives… Là, apparemment, la Ville était candidate. C’est sans doute une question de dossiers. Je ne suis pas forcément à l’aise pour répondre à cette question, car je n’ai pas tous les éléments et je n’ai pas envie de dire de bêtises. C’est une question qu’il faudrait poser aux élus. En revanche, je comprends la déception de certains fans de ne pas pouvoir avoir la chance d’applaudir l’équipe de France, même si encore une fois le stade Pierre-Mauroy est grandiose et ce sera une fête incroyable.

Prochainement, le nom du prochain capitaine de Coupe Davis sera annoncé par la FFT. En France, les joueurs ont un rôle important dans la prise de décision. Il y a plusieurs candidats (Amélie Mauresmo, Fabrice Santoro) à ce poste dont votre entraîneur Michaël Llodra. Dans votre position, peut-on être juge et partie?

Je mets toujours la priorité à l’équipe de France. Si l’ensemble des joueurs estiment que « Mika » est le meilleur candidat pour ce poste, je me mettrai complètement en retrait. Ma réflexion, a été aussi la suivante, je pense que Mika, sans savoir s’il sera le prochain capitaine, il le sera forcément un jour. Il a toutes les qualités nécessaires pour occuper ce poste. Je suis convaincu qu’il sera un très bon capitaine. On a des supers candidats. Que ce soit Fabrice Santoro, que ce soit Amélie Mauresmo qui remplie aussi toutes les cases…

Et le fait qu’elle soit une femme?

Je ne crois pas qu’il faille s’arrêter à cela.

Pourtant, dans le monde du sport comme ailleurs, certains semblent s’arrêter à cela…

Lorsqu’on parle d’Amélie, je ne vois pas forcément une femme en premier. Je vois une championne qui a réussi à être n°1 mondiale, gagner des Grands Chelems, gagner la Fed Cup en tant que joueuse, emmener son groupe en finale. Elle a entraîné Andy Murray. Je crois qu’il ne faut pas se tromper. Il faut avant tout regarder les compétences, avant toutes choses. À ce niveau-là, son palmarès parle pour elle. Fabrice (Santoro) a également énormément de qualités. Aujourd’hui il entraîne Richard (Gasquet) et Pierre-Hugues (Herbert). Ils sont dans la même situation. Je crois qu’il ne s’empêchent pas d’avoir une réflexion plus importante. L’équipe de France a toujours été prioritaire.

Après cette victoire en Coupe Davis, vous aviez déclaré, que sur le podium, vous aviez pensé très fort à votre mère (décédée en 2005). Pourquoi avoir pensé, aussi, à elle, à ce moment-là?

Je pense qu’elle aurait été très fière de moi. La Coupe Davis, c’est ça qui m’a donné envie de jouer au tennis. Je sais les efforts que mes parents ont consentis pour que je réalise mon rêve. Ce fut un long parcours. Je suis parti de la maison à l’âge à 11 ans, pour suivre les différents cursus. Que cela soit à Poitiers, à l’INSEP. Il y a eu des supers moments, mais il y a eu aussi des moments de doute. Elle m’a accompagné dans toute cette première partie. Elle sait que j’ai joué au tennis pour la Coupe Davis. J’ai voulu jouer après la victoire de 1991. Un jour, je lui avais dit : « Je serai là ». J’ai pensé à elle, car elle n’a pas pu vivre ce moment-là, mais je suis sûr qu’elle aurait été fière de moi.

Propos recueillis par E-A à Bordeaux et à Paris.