Jean-François Caujolle : «Je n’y vois aujourd’hui que des avantages»

Jean-François Caujolle : «Je n’y vois aujourd’hui que des avantages»

9 février 2025 Non Par SoTennis

En 2026, l’ATP 250 de Marseille se déroulera au mois d’octobre. Son directeur, Jean-François Caujolle, décrypte cette décision de l’ATP et évoque l’avenir de son tournoi et celui du circuit masculin, qui poursuit sa mutation.

Le 3 février 2025, l’ATP a dévoilé son calendrier pour la saison 2026. L’Open 13 passe du mois de février à octobre. Comme directeur de ce tournoi, avez-vous été consulté pour ce changement ? Comment avez-vous accueilli cette décision ?

Les premières discussions, informelles, se sont déroulées en novembre dernier, lors du Masters de Turin. Il y a eu un autre contact au mois de janvier et puis ensuite cela s’est accéléré. Ce déplacement de date n’est pas simplement le fait du prince. Le calendrier ATP va évoluer avec l’introduction d’un nouveau Masters 1000, à priori en 2028, et il devrait se positionner en février. Donc il faut rebattre les cartes sur cette période-là, avec aussi l’arrivée de deux ATP 500 que sont Dallas et Doha. C’est une refonte totale du mois de février qui devait être entamée. Il y avait deux possibilités. Soit on resté et on s’arc-boutait sur une semaine en février et là, on aurait été broyé par ce que représente un Masters 1000, à priori qui se déroulera dans le Golfe et deux ATP 500 à Dubaï et Doha. Ensuite, cela reste une période très très chargée avec une tournée en Amérique du Sud et une tournée aux États-Unis et en Europe. Pour cet « international swing, » il fallait déplacer au moins deux zones géographiques ou tout des moins certaines tournois de chacune des zones. Il paraissait évident que la période avec les tournois de Dubaï, Doha et l’arrivée de ce nouveau Masters 1000 situé dans le Golfe, soit positionnée au mois de février. Nous aurions pu attendre le nouveau calendrier, mais plusieurs tournois auraient pu solliciter la même date et l’ATP aurait dû faire un choix. Les bonnes dates, il n’y en a pas pléthores sur le circuit. Celle qui nous a été proposée pour 2026 est une très bonne date. Nous avons préféré avec Jo-Wilfried Tsonga et Thierry Ascione (propriétaires de l’épreuve) se positionner sur cette semaine-là le plus tôt possible. Lorsqu’en 1993 l’Open 13 a vu le jour, j’ai milité durant sept ou huit ans pour changer de date. Parce qu’il y avait la proximité de l’Open d’Australie, du premier tour de la Coupe Davis et surtout les vacances scolaires. Une période où il y a un exode très important vers les stations de ski. Ce qui porte un petit préjudice sur la fréquentation ou au niveau des hospitalités. La fin de saison me paraît beaucoup plus propice à justement à un calendrier qui se termine sur une saison indoor.

Vous évoquez l’arrivée d’un Masters 1000 au mois de février, est-ce celui voulu par l’Arabie Saoudite ?

Voulu par l’Arabie Saoudite non. Voulu par l’ATP oui. Après que l’ATP choisisse l’Arabie Saoudite, à priori oui. Les bruits de couloirs, et même plus que les bruits de couloirs laissent à croire que le prochain Masters 1000 se déroulera en Arabie Saoudite. Je ne sais pas s’il y a eu déjà l’appel d’offres, puis le choix du prétendant. Il paraîtrait logique aujourd’hui au vu des discussions, de la stratégie menée par l’Arabie Saoudite, que cela soit ce pays qui organise ce Masters 1000.

L’an prochain, l’Open 13 sera en concurrence avec deux autres ATP 250 (Almaty et Bruxelles). Comment comptez-vous vous démarquer pour constituer votre plateau, en fin de saison ?

En ce moment, j’ai en face de moi un ATP 500 qui est Rio et un ATP 250 qui est Delray Beach qui attire les joueurs américains du Top 20, qui jouent là-bas. Les joueurs de terre battue, décident de jouer Rio qui est, à cette époque de l’année, en outdoor. Là, nous nous trouvons avec Almaty (au Kazakhstan) qui, l’an dernier, n’avait pas un gros tableau, et le tournoi de Bruxelles, anciennement Anvers, qui est un tableau tout à fait acceptable. C’est l’historique, les relations avec les agents, les joueurs, qui peuvent faire la différence. Et puis justement les joueurs américains arrivant en Europe à ce moment-là, c’est une toute nouvelle population de joueurs qui sera attirée par cette période de l’année. Il y a certes le retour de l’Asie, mais certains joueurs voudront tout de suite jouer en indoor pour le grand rendez-vous du Masters 1000 de Paris, mais aussi pour certains qui ont besoin d’aller chercher des points pour le Masters. Je n’y vois aujourd’hui que des avantages. Là, nous avons récupéré Medevedev à l’Open 13, c’est justement parce qu’il a fait un mauvais Open d’Australie. Mais s’il était allé en quart de finale ou en demi-finale, il ne serait pas venu jouer en indoor. Jannik Sinner qui était prévu à Rotterdam et avec qui nous avions des contacts, on savait que s’il était en demi-finale ou en finale à Melbourne, il ne jouerait pas.

Dans l’actuelle conjoncture, comment parvenez-vous à établir un budget qui tient la route, pour organiser un tel événement ?

Nous avons la chance d’avoir de solides partenaires depuis plus de trente ans. Je pense au département des Bouches-du-Rhône, qui est notre principal partenaire, à la ville de Marseille, à Sodexo, à BNP Paribas, à Onet, à Veolia, qui sont là depuis la création de l’événement. J’ai cette chance-là. Lorsque je parlais des vacances scolaires, la semaine dernière, j’ai quatre habitués qui me prennent des hospitalités, mais après s’être trompés, ils ont annulé. Cela fait quatre fois dix mille. Il y a pas mal de sorties d’écoles qui avaient prévu de venir, mais en raison des vacances elle ne viendront pas, et nous perdons une vingtaine de milliers d’euros. Ce n’est pas des sommes colossales au vu du budget, mais je sais que sur cette période, nous avons une perte sur la fréquentation des hospitalités. Je sais que si nous étions à une autre période et notamment au mois d’octobre, on pourrait, je pense, faire sur le plan économique, un gain de 10 % sur notre chiffre d’affaires.

Ce gain, pourrait-il être injecté aux garanties pour attirer les joueurs à venir disputer l’Open 13 ?

Nous sommes le tournoi ATP 250 qui donne les garanties les plus importantes et qui fait les offres les plus importantes. Oui, on aurait un peu plus de budget et cela serait un peu plus de confort lorsqu’on fait nos propositions aux joueurs. De toute manière, la stratégie a toujours été de privilégier le tableau sportif et jamais de regarder qu’elle allait être le résultat financier de l’événement. Je pense que si on a un tableau sportif de qualité, derrière, obligatoirement, on a les retombées économiques qui vont de pair.

L’Open 13 se déroule depuis toujours au palais des sports de Marseille qui montre depuis quelques années ses limites. Vous l’évoquiez lors de notre précédente interview en 2022. Depuis, avez-vous eu des discussions avec la ville de Marseille ou le département pour tenter de trouver un autre lieu ?

C’est toujours une problématique. Mais je peux comprendre aussi que les enjeux pour une municipalité sont ailleurs que dans une arena. Bien sûr, qu’à un moment, on va nous taper sur les doigts. Cette année, il va y avoir certainement un audit de l’ATP sur les structures, l’accueil que l’on propose aux joueurs, la qualité des prestations. Les équipes sont rodées, nous faisons, sans aucune prétention là-dedans, le maximum pour les joueurs. Ensuite, en ce qui concerne la structure, nous ne pouvons rien faire. Le contenu est de qualité, mais le contenant ne l’est pas. C’est une discussion que nous avons depuis pas mal de temps. C’est un sujet difficile à évoquer, car je pourrais être à chaque fois vent debout. Pour moi, cela me paraît une priorité d’avoir des infrastructures de qualité pour le sport et la culture. La ville a fait pour la culture avec le mucem, avec la Friche de la Belle de Mai, mais il est vrai qu’en termes de sport, nous sommes en retard. Il y a le stade Vélodrome, c’est une très belle chose, mais sur les autres infrastructures, on n’est pas au niveau. C’est une réflexion qu’il faut avoir, mais le problème, c’est qu’il y a des élections (municipales) dans un an, donc d’ici là, il n’y a rien qui va être sur la table. Mais au-delà de ça, quelle que soit la mouvance politique, car à l’époque, c’était la droite et ça n’avait pas avancé, là, c’est la gauche et ça n’avance pas beaucoup plus, et je ne fais pas du tout de politique partisane, mais cela va mettre sept ou huit ans, et cela sera peut-être trop tard pour l’ATP, qui dira arrêt des jeux. Parce qu’en face de nous, il y a justement les pays du Golfe, il y a d’autres pays européens avec des infrastructures et des joueurs dans le Top 10 et qui cherchent des événements. Est-ce cela sera pas trop tard ? Pour moi, je pense que c’est déjà trop tard, car il n’y aura pas de projets avant sept, huit ans. Maintenant, c’est entre les mains de l’ATP, comme ils augmentent leur standard, qui est une bonne chose, peut-être qu’à un moment, il vont dire arrêt des jeux.

Que pensez-vous de la place qu’occupent les tournois ATP 250 dans le calendrier 2026 de l’ATP ?

La catégorie de tournoi ATP 250 a du souci à se faire, mais à l’intérieur des ATP 250, il y en a qui tire leur épingle du jeu, et c’est vrai que Marseille fait partie de cela. Justement, par le fait qu’il y a une histoire et une économie qui est forte. Et puis il y a un tennis français qui est puissant. Avec la disparition de Lyon et de Metz, c’est sûr que Marseille prend un peu plus de poids dans la partie stratégique et politique. Il y a des tableaux de 250 où il y a huit top 30 puis d’autres où il y a un top 30. Cela veut dire que l’offre n’est pas au niveau de l’attente du public. Lorsqu’on parle des Masters 1000, je regrette que trop de pouvoir soit donné à ces tournois. Le positionnement sur deux semaines n’est pas un choix judicieux. Certains pouvaient l’avoir, mais on trouvait que c’étaient des avantages qui n’étaient pas justifiés à l’époque pour les tournois d’Indian Wells et de Miami. Aujourd’hui, que Shanghai ait deux semaines, c’est pour moi quelque chose qui est aberrant. L’été pareil, avec ces tournois qui finissent en milieu de semaine, je trouve ça aussi complètement aberrant. Les Masters 1000 ont trop de pouvoir à l’intérieur même de l’ATP. C’est vrai qu’ils sont les principaux actifs de l’ATP. Mais de là à dire : « Les médias veulent un « Tour » avec plus de semaines avec un haut niveau de jeu. » Mais ces semaines-là elles existaient. À voir les premiers tours des Masters 1000, il n’y a pas plus d’intérêt aujourd’hui en étant sur 12 jours que par le passé lorsque c’était sur une semaine avec seize joueurs en moins. En contrepartie, cela a tué six ou sept ATP 250, qui servaient à des joueurs qui étaient situés entre la cinquantième et la centième place mondiale. S’orienter vers un circuit style F1, c’est une erreur de positionnement très importante. La force du tennis est la diversité et la proximité. Si l’on tue la diversité et la proximité et que l’on met des Masters 1000 en Arabie Saoudite à Abu Dhabi en Chine et dans certaines autres mégapoles, on n’aura jamais un suivi. Les gens qui viennent voir du tennis sont des passionnés de tennis. C’est, pour la plupart, des gens qui pratiquent. Je ne suis pas favorable à cette hyperspécialisation vers un circuit beaucoup plus élitiste. Gardons la force des tournois. Quand je vois le tournoi de Brisbane, cette année avec Djokovic et Kyrgios, l’an dernier, il y avait Nadal, en termes de spectateurs, de followers sur Internet, c’est colossal. On va enlever un tournoi comme Brisbane ? Ou on va plus lui permettre d’avoir des Top 10 ? Je ne vois pas l’intérêt.

Comme directeur de tournoi, allez-vous vivre, à nouveau, cette nouvelle édition de l’Open 13 de manière discrète ?

De plus en plus. Au début, j’arrivais à me montrer, là même plus. Je vis cela de manière discrète, car je n’aime pas trop être sur le devant de la scène et la place et aux joueurs, ce sont les joueurs qui font le tournoi. Si les joueurs, justement, délivrent un beau spectacle, c’est le public qui est heureux. Moi quelque part, c’est la résultante. C’est quand je vois le public heureux que je suis content.

Propos recueillis par E-A
Photo : Open 13/ A. HERGOTT