Jelena Dokic: «Je suis une survivante»
17 novembre 2017Pendant des années, Jelena Dokic a subi, les sévices d’un père habité d’une incontrôlable violence, symbole à lui seul du syndrome des « pushy parents ». Dans son autobiographie, « Unbreakable », publiée cette semaine, l’ex-n°4 mondiale raconte avec une bouleversante sincérité, ses rapports catastrophiques qu’elle a entretenus avec son tyrannique de père, Damir. Aujourd’hui, âgée de 34 ans, l’Australienne, qui a quitté le circuit WTA en 2012 et qui a récemment connu un dérèglement thyroïdien, va mieux. Mais n’oublie pas, sa torpeur endurée en silence.
Depuis le 13 novembre, votre autobiographie « Unbreakable » est disponible. Quel a été votre cheminement pour l’écrire ?
Cela m’a pris au moins douze mois pour l’écrire. Avec ma coauteure, Jessica Halloran, nous avions un certain nombre de « datelines » pour bien avancer sur ce livre. Ce fut dur vers la fin, avec beaucoup de travail. Ce fut un processus assez difficile de revenir sur mon histoire. Aujourd’hui, je suis satisfaite que ce livre soit publié et que le public puisse se le lire.
Dans quel état d’esprit vous trouviez-vous avant d’écrire ce livre, avec votre coauteure Jessica Halloran ?
Je pense que j’étais prête à écrire ce livre. C’était juste une question de savoir quand l’écrire et le publier. J’aurais aimé écrire plus tôt, notamment lorsque j’étais encore joueuse professionnelle, mais je pense que je n’étais pas encore prête à partager tout cela. Je pense que ce livre est venu au bon moment avec la bonne personne pour le co-écrire.
Dans ce livre, il y a un personnage principal qui est votre père. Vous décrivez son comportement avec vous. Ce comportement, cette violence envers vous, tout cela a commencé le jour où vous avez commencé le tennis à l’âge de 6 ans…
Absolument. Je ne sais pas exactement pourquoi il a eu ce comportement, il faudrait d’ailleurs lui poser à lui cette question : pourquoi a-t-il eu ce comportement ? Personnellement, je n’ai pas la réponse, même si dans mon livre j’essaie de comprendre son histoire. Pour un père, se comporter comme cela avec l’un de ses enfants, c’est assez inhabituel. Ça a commencé fort dès les premiers jours où j’ai commencé le tennis (ndlr : des insultes, des violences physiques). Ensuite, cela a été de pire en pire.
À l’âge de 12 ans, vous entendez de sa bouche que vous êtes une « chienne ». Comment avez-vous fait pour tenir bon ?
C’était une situation difficile. J’étais très jeune et c’était très dur de se prendre cela en pleine tête. En plus des insultes, il y avait aussi des brimades physiques. Sur le plan émotionnel, ce n’était vraiment pas simple de gérer tout cela. J’ai eu beaucoup de moments difficiles à un très jeune âge, c’est surtout ça qui était difficile. Vivre cela à un très jeune âge.
« Je savais que si je me permettais en public un mauvais commentaire le concernant, ce serait encore pire »
Avez-vous envoyé votre livre à votre père ?
Non. (ndlr ; en 2011, elle se « réconcilie » avec lui, depuis ses relations sont distendues)
Considérez-vous que vous n’avez pas eu d’enfance et d’adolescence ?
De mon point de vue, oui. Mais je pense que pour un(e) athlète notamment au tennis, c’est un peu la même chose pour tout le monde. Les sacrifices sont présents dans nos vies. Pour moi, en plus de tout cela, il fallait supporter le comportement de mon père… Ce sentiment de manque d’enfance et d’adolescence provient surtout de cela. Mais en même temps, le tennis m’a donné beaucoup, j’ai aussi eu de la chance dans cette vie de joueuse professionnelle.
Malgré tout, après bien des tourments vous parvenez à atteindre la 4e place mondiale, de gagner des titres, tout en défendant le comportement de votre père en public. Personne n’était au courant de l’horreur que vous viviez…
Durant cette période quelques personnes étaient au courant du réel comportement de mon père. Lorsque je suis arrivée sur le circuit WTA, il s’était déjà illustré par plusieurs esclandres. Les médias ont joué leur rôle en rapportant ce qu’il faisait à Wimbledon ou encore à l’US Open (Ndlr: en 2000 suite à un accrochage avec un cameraman qui l’a rendu furieux, il a arraché son téléphone portable à un journaliste. À l’US Open, il fait un esclandre à la cafétéria des joueurs, au prétexte que le prix du saumon était exagéré). C’était une situation difficile, car je savais que si je me permettais en public un mauvais commentaire le concernant, ce serait encore pire. Durant cette période, j’ai eu en tête beaucoup de contradictions… Ce fut difficile de gérer tout cela. Lorsque j’ai quitté le foyer familial, j’avais 19 ans, mais il était toujours là d’une façon ou d’une autre.
Avec un père comme cela, quel a été votre opinion de la gent masculine ?
Encore une fois, j’étais très jeune lorsque tout cela a commencé. À mon adolescence, je n’étais pas vraiment concentrée sur la gent masculine et sur le fait d’avoir une opinion de manière générale. Par la suite, je n’ai pas pris cet exemple pour me construire.
« C’est définitivement le bon mot pour me décrire, survivante, ou encore incassable »
En 2002, vous êtes membre du Top 5 au classement WTA et à la fin de cette année-là, vous écrivez une lettre à destination de votre famille pour prendre de la distance avec eux, notamment avec votre père. Est-ce la première grande décision que vous avez prise seule ?
Oui, c’est la première grande décision que j’ai prise me concernant. J’étais arrivée à un point de non-retour. J’ai pris cette décision lorsque j’avais 19 ans. Mais les choses ne se sont pas vraiment améliorées.
En 2005, vous touchez le fond. Vous pensez à vous jeter du balcon de votre appartement situé au 32e étage à Monaco…
Lorsque j’ai décidé de débuter l’écriture de ce livre, j’ai souhaité être très honnête, d’autant plus que les sujets que j’aborde sont difficiles, ce sont de réels problèmes. Il y a beaucoup de sujets dans ce livre avec lesquels je parle librement. Je voulais décrire toutes ces choses. Ce sujet l’était et j’ai décrit comment j’étais à ce moment-là, et tout ce que j’avais en tête. J’étais vraiment mal.
Vous considérez-vous comme une survivante ?
Oui, je le suis. J’ai eu à traverser de sales moments. Parfois, je ne pensais pas pouvoir dépasser toutes ces choses. C’est sans doute la vie que je devais avoir… C’est définitivement le bon mot pour me décrire, survivante, ou encore incassable. C’est pour cela que j’ai titré mon livre comme cela.
Aujourd’hui, êtes-vous en paix avec ce passé ?
Cela m’a pris du temps d’aller mieux et d’accepter certaines choses. Définitivement, écrire ce livre a été une étape de plus dans mon apaisement. Si je n’avais pas été en paix, je n’aurais pas pu écrire ce livre. Désormais, oui, je peux dire que je suis en paix avec ce passé. Maintenant, la plupart des gens vont découvrir mon histoire et j’espère que ce livre pourra aider certaines personnes.
Quels conseils donneriez-vous à des parents qui aimeraient faire de leurs enfants des champions ?
C’est un long chemin pour parvenir au haut niveau. Je pense qu’il faut tout d’abord savoir s’ils aiment ce qu’ils font. Ensuite, c’est important d’avoir un réel soutien sans pression sur l’enfant et de leur montrer un bon comportement et qu’il faut travailler dur avec discipline, sans aller trop loin avec eux.
En 48h, votre livre s’est classé sur iTunes en tête des ventes, dans sa catégorie. Comment avez-vous réagi à cela?
C’est incroyable que mon livre soit accueilli de la sorte en Australie. C’est incroyable qu’il soit en tête des ventes en à peine 48 heures. J’ai beaucoup travaillé pour ce livre et je suis heureuse qu’il soit plébiscité par les lecteurs. En ce moment, je fais la promotion du livre que ce soit via des interviews, mais aussi lors de séances de dédicaces. Ces moments-là sont souvent très émouvants.
Pensez-vous que ce livre sera traduit en français ?
Nous travaillons (son agent et elle) à cela en ce moment. En plus de l’Australie, mon livre va être publié aux États-Unis et en Grande-Bretagne et c’est une bonne nouvelle. Si c’est aussi le cas en français, j’en serais très heureuse.
Après des blessures et ce problème de dérèglement thyroïdien (elle a pesé jusqu’à 120 kilos), quel est votre rapport avec votre corps ?
Cela va mieux. J’ai encore du travail à mener pour retrouver ma silhouette. Tout ceci est un long processus et j’en suis pleinement consciente et patiente pour la retrouver. Ce fut un moment délicat de se retrouver comme cela, mais tout cela est derrière moi. J’apprécie de prendre soin de mon corps.
Désormais, quel est votre quotidien ?
Il y a quelques années, j’ai été contrainte de prendre ma retraite à cause d’une blessure. Désormais, j’ai quelques activités de consultante auprès de la télévision pour commenter des matches de tennis. Ce livre m’a pris du temps et désormais j’en fais la promotion. En réalité, après ma retraite sportive, je n’ai vraiment pas eu le temps de m’ennuyer .
Envisagez-vous de revenir sur le circuit ?
Peut-être, on ne sait jamais (sourire). Je ne suis pas encore sûre de ma décision. Je prendrai ma décision l’année prochaine.
Propos recueillis par E-A. Entretien réalisé le 16 novembre 2017.
Effectivement elle est une survivante avec un tel père. Un bel exemple de résilience. Grande interview.
Triste pour Jelena d’avoir eu un “père” comme cela. Belle interview.