Rafa et Babolat, une histoire de famille

Rafa et Babolat, une histoire de famille

19 novembre 2024 Non Par SoTennis

Équipementier historique de Rafael Nadal, Babolat (entreprise familiale française basée à Lyon) est parvenue à tisser avec l’Espagnol une relation qui dépasse le cadre sportif. Jean-Christophe Verborg, directeur international marketing sportif tennis chez Babolat, évoque pour nous ce long compagnonnage, qui n’est pas prêt de s’arrêter.

Est-ce que l’histoire entre Rafa et Babolat a bien commencé un jour de 1995 où Toni Nadal, après s’être rendu dans une boutique de tennis, met entre les mains de son neveu une Babolat Pure Drive ?

Si on remonte bien toute la chronologie, Rafa a 9 ans, Toni va dans un magasin à Manacor. Il voit cette raquette, car il faut le dire, le commercial avait bien fait son travail, et il veut la mettre entre les mains de Rafa. C’est ce que Toni m’a raconté. C’est vrai qu’à l’époque, la fameuse Pure Drive bleue est connue par différents joueurs notamment Carlos Moya (lui aussi originaire de Majorque). Quand on revient en arrière, les raquettes Babolat, c’est 1994. Ce n’est pas si ancien que cela.

Est-ce que vous vous souvenez de la première fois que vous avez vu Rafa ?

En avril 2001, je m’étais rendu à Barcelone pour voir Rafa, car la filiale espagnole m’avait parlé de Rafa. Il avait 14 ans, j’étais arrivé pendant son entraînement. J’étais positionné sur une terrasse avec les courts en face où il y avait au niveau de la chaise d’arbitre Carlos Moya, Sergi Bruguera et Feliciano Lopez qui discutaient entre eux, pendant un changement de côté. J’avais à ce moment-là aperçu le petit Rafa. Là, j’avais assisté à un entraînement, où, à 14 ans, il avait, déjà, un engagement à tous les niveaux qui était incroyable. Par la suite, j’avais eu un entretien avec Rafa et Toni. Je ne parlais pas un mot d’espagnol, Rafa pas l’anglais et Toni faisait l’interprète. On devait parler surtout de raquette. Nous avons signé dix jours après un contrat international. J’avais été impressionné par l’intensité de Rafa et son regard. À 14 ans, il avait un regard habité. Lors de ce rendez-vous, je ne sais plus combien de temps, on a passé à discuter, mais il était assis en face de moi, il ne comprenait pas un seul mot de ce que je disais, car on parlait en français avec Toni, mais on voyait qui s’intéressait à ce que Toni lui traduisait. Il avait un regard franc. Je m’étais dit ce gamin à quelque chose en dehors de la frappe à l’entraînement. Cela m’avait vraiment marqué. Rafa avait ainsi intégré le Team de joueurs que nous étions en train de construire. Nous étions là en 2001 et il remporte, pour la première fois Roland-Garros en 2005. Les choses sont allaient très vite.

Comment décririez-vous la relation entre Babolat, Rafa et son clan ?

Si je devais la résumer en trois mots, je dirais, respect, famille et confiance. Respect, parce que je pense que c’est un dénominateur commun à toutes les personnes, chez Babolat, chez Rafa, son team et sa famille, ça, c’est fondamental. La famille, parce que Babolat est certes une structure importante, mais elle reste une entreprise familiale avec tout ce que ça implique. En taille, en implication et en relations humaines. Et puis la confiance, elle est passée par le produit, qui est le point d’orgue. Au départ, nous sommes là pour fournir aux joueurs leur outil de travail. Donner une confiance par le produit. À titre personnel, et je le dis avec humilité, j’ai toujours eu cette conscience professionnelle et cette éducation professionnelle de tout baser justement sur cette confiance, pour qu’avec Rafa, son agent Carlos Costa, qui est mon interlocuteur presque quotidien, ils puissent intégrer Babolat dans leur environnement proche. Ils nous l’ont bien rendu. Je pense que cette confiance a permis de créer des liens avec toutes les différentes personnes de chez Babolat, que ce soit pour des tests, des événements, pour des shootings… Quand on voit le spectre de partenariats que l’on a avec Rafa, son académie à Manacor, ces centres, sa Fondation et l’amitié, il y a une relation qui est très très forte, je pense. Je me fais fort de l’entretenir tout en restant professionnel.

Lorsqu’en juillet 2009 Toni vient vous voir pour vous dire qu’il aimerait que Rafa joue un peu plus long, comment cela s’est passé dans votre esprit pour amener une évolution et être à la hauteur de sa demande ?

Toni a toujours eu avec nous des discussions assez directs. Je me souviendrais toujours qu’il m’avait appelé pour me dire : « Il faut changer quelque chose ». C’est une phrase qu’il dit souvent. Là, je l’avais pris comme un message très fort. Il fallait améliorer quelque chose pour la confiance de Rafa et sa longueur de balle. C’était un énorme challenge, mais j’ai aimé cela. L’objectif était colossal, car lorsqu’une personne comme Rafa et son team te disent il faut changer quelque chose, tu te dis là il y a vraiment un sujet. Donc nous nous sommes mobilisés. À cette époque, je savais qu’il y avait chez Babolat ce fameux cordage qui était en développement, encore en mode prototype. Il n’était pas question de changer de raquette, car elle avait été développée pour et avec lui, par rapport à sa gestuelle, mais il y avait quelque chose à faire au niveau du cordage. Il n’y avait pas beaucoup de temps, bien qu’à ce moment de la saison 2009, il jouait moins. Donc je savais qu’il allait falloir être ultra efficient pour trouver la bonne solution. J’avais dit à Toni, : « J’ai un cordage en développement, de tout ce que j’entends, il peut répondre aux attentes. » Là, toute la mécanique, c’était mis en place, car, avant cela, le sujet n’était pas sur la table de se dire, on modifie le poids et l’équilibre de la raquette. C’est comme ça que le RPM Blast est né. C’est la conjonction entre la demande d’un joueur et une innovation de Babolat. Le timing a été parfait. Cette année-là, j’étais parvenu à faire venir Rafa à Lyon pour passer une journée à l’entreprise. Jouant moins, en raison d’une blessure, il avait été content de pouvoir passer du temps. Par la suite, nous avons fait un test avec ce cordage RPM Blast et cela a été un réel bénéficie pour lui. Tout cela a renforcé la confiance, le fait de trouver, assez rapidement une solution.

Rafael Nadal avec Eric Babolat en 2009 à Lyon. ©Babolat

Pour Rafa, quel a été son rapport au changement ?

Il n’a jamais été réfractaire, mais je dois bien avouer que les discussions sur les besoins, passaient par Toni ou Carlos Moya ou Carlos Costa (son agent) qui est un ancien joueur professionnel. L’idée, avec Rafa, c’était d’aller le voir, avec quelques solutions pour répondre à sa demande d’évolution, et les essayer sur le court. Il s’intéressait aussi aux personnes qui travaillaient pour lui. Il n’a jamais été distant avec les préparateurs qui venaient le voir. Il allait les voir avec l’idée qu’ils étaient les experts et qu’ils leur faisaient confiance. Il disait qu’il était un très mauvais testeur ce qui est faux. Rafa a toujours été très ouvert, pas conservateur. Il y a eu quelques ajustements en 2012 et en 2017 sur les spécifications de sa raquette, sur le poids, l’équilibre et surtout sur l’inertie de la raquette, c’est-à-dire lorsqu’elle traverse l’air, comment elle se comporte. Ces ajustements corroboraient les intentions du Team et du coach pour l’évolution du jeu. Il y a eu, au cours de cette période, deux changements majeurs, le service et le revers de Rafa. Le service où Toni voulait que cela tombe un peu plus, avec un peu plus d’inertie à la fin de son geste. Et le revers, que Rafa a commencé à utiliser comme une arme et il fallait que la raquette l’aide. Là, pareil, c’étaient des super challenges, encore plus compliqués, car on ne pouvait pas rajouter une masse trop importante à la raquette, il fallait trouver le bon ajustement pour l’aider à atteindre son objectif de jeu, sans contraindre à tout changer dans la perception de sa raquette. On ne repartait jamais de Manacor sans avoir trouvé la solution. Nous avons toujours su trouver relativement vite.

Rafael Nadal a remporté tous ses titres avec Babolat. Ces victoires, ont-elles eu un impact sur vos ventes de raquettes, notamment son modèle ?

En 2005, lorsqu’il remporte pour la première fois Roland-Garros, un mois après, il n’y a plus une seule raquette (son modèle) de disponible dans les rayons. Son modèle de raquette la Aero, reste l’une des raquettes les plus vendues dans le monde. Au-delà de la vente pure et des chiffres (ndlr : qu’il ne peut communiquer) il y a tout au long de ces années de l’innovation. La première a été la Pure Drive, car nous étions arrivés sur ce marché avec une raquette où tout le monde nous disait : « C’est une raquette pour les loisirs et les femmes ». Ça a été l’une des meilleures ventes dans le monde avec l’Aero. Rafa a créé une vraie dynamique autour de la gamme Aero. Même si je ne peux pas donner de chiffres, le poids, il est considérable. Pour moi, le plus important, c’est que je pense que Rafa a vraiment projeté Babolat dans les marques leaders et innovantes du tennis. En 2005, Babolat est présente, mais la marque n’est pas installée. Plus que les ventes, Babolat, le leader et l’inventeur du cordage, est définitivement un acteur majeur de la raquette de tennis haute performance. Rafa a contribué à ce que Babolat soit une marque forte pour tous les amoureux du tennis.

Sa carrière professionnelle s’apprête à s’arrêter, est-ce qu’il va continuer à être l’un des ambassadeurs de Babolat ?

Le dernier contrat que nous avons fait avec lui (pour plusieurs années) est un contrat un peu hybride dans le sens où c’était surtout un contrat (de joueur) professionnel, mais on a déjà tout acté pour la suite. Il y avait une certaine évidence pour qu’il y ait un après carrière pro. Oui, il va être un ambassadeur. Il ne faut pas oublier que Babolat est partenaire de sa Fondation de ses académies, à Manacor, mais aussi au Koweït, en Grèce, au Mexique en Chine, donc l’histoire continue. Là, il faut aussi le laisser savourer les journées qui viennent, donc on ne va pas discuter de tout cela avec lui maintenant. L’important quand tu as un ambassadeur comme lui, c’est aussi continuer à construire avec lui. Ce qui va être un petit peu différent, c’est qu’il sera un peu plus disponible. Il y a probablement des projets de Babolat dans lesquels lui, il voudra s’impliquer. Là, on va un peu inverser le paramètre temps et disponibilité. Il aura moins de contraintes liées à ces tournois et à sa carrière. La page de la carrière pro de Rafael Nadal se tourne, mais le livre du partenariat global entre Rafael Nadal et Babolat continue. Avec un athlète comme lui, nous avons été tirés par l’excellence, nous avons vécus des choses incroyables, honorons-les, mais il ne faut pas être triste, car l’histoire continue. Certes, cela va être une grande émotion quand il va quitter le court à Malaga. On se dira : « C’était son dernier match officiel », mais pour nous l’histoire continue. Je pense que c’est la force de cette relation.

Babolat célèbre les 22 titres en Grand Chelem de Rafael Nadal. ©Babolat

Son académie à Manacor a été inaugurée en 2016, concrètement en quoi consiste votre partenariat ?

C’est surtout toute la partie raquette, cordage, bagagerie, mais au-delà de ça cela été l’accompagnement dans la promotion de l’académie dans le monde. C’est évidemment un soutien matériel, nous avons fait des formations produits (raquettes, cordages…), des accompagnements pour les coachs. C’est ça l’accompagnement, ce n’est pas uniquement du sponsoring.

Comment avez-vous réagi à sa vidéo postée le 10 octobre dernier, sur les réseaux, annonçant que la phase finale de la coupe Davis, à Malaga, serait sa dernière compétition ?

Carlos Costa, son agent, nous avait prévenu un tout petit peu avant, donc on n’a pas découvert la vidéo. À titre personnel, j’étais plus dans le feu de l’action et à me dire maintenant, c’est officiel ! Chez Babolat, nous étions prêts. Dans ces moments-là, le côté émotionnel, on le met un petit peu de côté pour pouvoir, d’abord informer en interne et déclenchez tout ce qui était prévu chez nous. Cela fait quelque temps qu’il y a tout une mécanique pour bien accompagner l’annonce de sa retraite sportive.

Avez-vous eu avec lui des discussions, notamment fin 2023, pour évoquer son retour en Australie ?

Je me rends régulièrement à la Rafa Académie, à Manacor, dont Babolat est aussi partenaire. J’étais allé le voir en début d’année lors de son retour d’Australie. Nous avons passé du temps, ça allait plutôt pas mal pour Rafa. Quelle que soit l’échéance pour lui, avec à ce moment-là Roland-Garros qui était dans le viseur, il fallait s’assurer que nous étions là pour lui, au niveau technique, au niveau des produits, et s’assurer qu’il avait tout ce dont il avait besoin. Il avait notamment des spécificités légèrement différentes pour sa raquette, s’il allait jouer sur dur ou sur terre battue. Nous avons passé des bons moments de discussions, concernant ses interrogations, ses envies, ses doutes… C’étaient de super moments d’échanges.

Jean-Christophe Verborg avec Rafael Nadal à Roland-Garros en 2020.

À ce moment-là, est-ce que la décision d’arrêter se profilait ?

La question à ce moment-là était : « Quand est-ce que Rafa rejoue et où ? » Il n’y a jamais eu de discussion de retraite entre nous. Je n’ai jamais eu ce genre de discussion. Je ne lui ai jamais dit : « Est-ce que tu penses arrêter ? » Mon rôle n’était pas celui-là. Il y a plus eu des discussions avec son agent et son Team pour leur dire : « Prévenez-nous suffisamment en avance, pour que l’on puisse accompagner et honorer Rafa le jour où… » Je me suis toujours mis dans la position « Quel est ton prochain tournoi ? » Il y avait le questionnement d’Indian Wells, où il y était allé (ndlr : il avait déclaré forfait ne s’estimant pas prêt à jouer) et où nous avions réalisé un shooting photo, puis de la terre battue. C’était plus une discussion active du genre : « Quand est-ce que tu rejoues ? » En réalité, je n’ai jamais eu envie de l’embêter et de lui dire « Tu en es où ? Tu vas arrêter ? » Je ne voulais pas avoir cette discussion, car je ne sais pas combien de fois, il a eu droit à cette question.

Vous qui avez suivi ses matchs dans son box, vous qui avez assisté à ses nombreuses victoires notamment en Grand Chelem, que retenez-vous de toutes ces années ?

Il y a tellement de choses… Si je dois retenir une chose, c’est la force et la beauté du partenariat. Dans le box, tout le monde était en alerte, dans le bon sens du terme, famille, coachs, agents… Quand j’étais dans le box, c’était entant que Babolat, pour accompagner le joueur au summum de ce qu’il voulait faire. Son sourire lorsqu’il gagne à l’Open d’Australie en 2022 face à Daniil Medvedev, son sourire lorsqu’il gagne à Roland-Garros en 2022, où il ne tombe même plus à la renverse sur le court, il est debout. Ce sourire, c’est comme s’il se dit à cet instant : « Je l’ai fait ! ». Avec toujours un regard pour son équipe, pour son box. Quelque part, il y avait cette notion d’équipe, de famille. Le summum de décider de finir sa carrière pour son équipe d’Espagne, ça, je trouve que c’est révélateur de tout ! Il aurait pu dire : « j’arrête à Roland parce qu’on va me célébrer moi ». Là, il décide de célébrer avec son clan, ses partenaires, mais surtout avec l’équipe d’Espagne et ses compatriotes. On sait qu’il va les supporter comme un lion. Pour moi, tout est dit dans ce choix d’arrêt de carrière professionnelle. Il y a aussi ce lien. J’ai été privilégié de vivre cela, dans le respect et dans une grande bienveillance. Cette relation m’a poussé aussi à l’excellence. Cela fait 23 ans… J’ai un boulot qui est génial, mais ce n’est pas de tout de repos, car quand tu as tant de bienveillance de professionnalisme, tu as envie de donner encore plus à ton joueur et à son entourage.

Propos recueillis par E-A le 13-11-2024