Suzanne dévoile son toit
22 mai 2024Désormais coiffé d’une structure amovible légère, le court Suzanne-Lenglen a achevé sa métamorphose. Avant son inauguration, officielle, le 26 mai prochain, Dominique Perrault, l’architecte en charge de cette évolution, évoque les contours, très techniques, de cette couverture amovible de 80m de long par 42m de large.
Comment avez-vous imaginé cette structure légère qui coiffe désormais le court Suzanne-Lenglen ?
Le terme de coiffe est assez juste dans le sens où la contrainte, si je puis dire, était de ne pas toucher l’existent. C’est-à-dire conserver les gradins et toutes les structures qui constituent ce court en béton. L’idée était de venir installer comme une grande table, avec juste quatre points d’appui, pour pouvoir faire circuler une membrane blanche qui va se déployer au-dessus des gradins et du terrain. C’est, entre autres, un hommage à la célèbre jupe de Suzanne Lenglen, créée par Jean Patou. Cette structure est composée d’une quarantaine de plis, qui se développe au-dessus du court. Nous avons fait un travail très opposé, d’un point de vue architectural, à ce qui existe. Car, ce qui existe, ce sont de très beaux gradins en béton, avec un dessin architectonique assez savant et avec une qualité de béton tout à fait remarquable. Donc il fallait préserver ce patrimoine qui est lourd, dans le sens où le béton, c’est lourd. C’est un bâtiment qui est vraiment posé sur le sol. Ce que nous avons proposé, c’est plutôt une autre partie plus « céleste » d’une certaine façon. Qui est légère, qui flotte au-dessus de l’architecture existante et qui va de la façon la plus minime toucher le sol. Lorsque je prends comme image la table, c’est qu’il y a seulement quatre points d’appui et à partir d’eux, une structure métallique a été développée, qui permet d’éclairer le court, de donner des conditions de coupe-vent et d’abri contre la pluie avec le déploiement (en moins de 15 minutes) de la membrane.
Le court Suzanne-Lenglen coiffé désormais de sa structure légère amovible. Une oeuvre de l'architecte Dominique Perrault et de l'entreprise castelroussine Renaudat spécialisée dans la réalisation de structures métalliques. 15 minutes est le temps pour fermer le toit. pic.twitter.com/oc19uvIjJJ
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« Une couverture mobile composée de toile et qui s’inspire de la jupe plissée créée par Jean Patou pour Suzanne Lenglen ». #RolandGarros pic.twitter.com/xqWtH3ZJgc
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Ce court Suzanne-Lenglen fête cette année ses 30 ans. Est-ce que cela eu une incidence, pour vous, de travailler sur un édifice déjà existant ?
Oui, cela a eu une incidence, car on ne part pas de la feuille blanche. Ce n’est pas une création, mais plus une création à partir de ce qui existe, à partir du déjà-là. Ce déjà-là, c’est un patrimoine architectural, sportif. Ceci n’est pas un handicap, bien au contraire, car cela nourrit l’inspiration. Aujourd’hui, la plupart des architectes travaillent à partir de l’existant. C’est tout à fait dans la philosophie, la sensibilité, l’éthique aussi de la transition en termes de durabilité.
Avez-vous eu des échanges avec l’architecte de ce court Suzanne-Lenglen, M. Didier Girardet ?
Nous nous connaissons. Didier Girardet a beaucoup utilisé un matériau que j’utilise aussi depuis une trentaine d’années, qui est le tissu métallique. Nous partageons des tendances et il y a des résonances entre nous.
Lorsqu’on ajoute un toit amovible à un court, l’ombre portée sur le terrain n’est plus la même. Avez-vous étudié cet aspect-là ?
Ce qui pose surtout problème est le carroyage des ombres. C’est pénible, voire injouable lorsqu’il y a sur le terrain des parties sombres, éclairées, sous forme, je crois que c’est le bon terme, de carroyage. Sur tous les courts, pas seulement ceux équipés d’un toit (rétractable), il y a des ombres mais assez courtes en termes de durée, qui sont des ombres pleines. Il n’y a pas de contraste de lumière lié à un « graphisme » sur le sol. La question de l’ombre est un sujet essentiel. Nous avons étudié, selon les saisons, l’angle d’incidence de la lumière et par rapport à cela, nous avons dimensionné notre couverture afin que la lumière pénètre de la manière la plus franche dans le court et que l’ombre soit la moins importante possible en surface, mais aussi en durée.
L’acoustique d’un court de tennis peut être différente, avec ou peu de spectateurs, lorsque le toit amovible est ouvert ou fermé…
Nous avons travaillé avec un acousticien qui se nomme Jean-Paul Lamoureux. Nous avons mis au point avec lui des solutions pour absorber la réverbération du bruit sans perdre la sonorité de l’événement. C’est-à-dire, que nous n’avons pas cherché à diminuer toute l’ambiance, liée au match. Nous ne cassons pas l’ambiance avec l’acoustique, par contre, nous mettons en place une acoustique afin que la réverbération liée à la toiture ne fasse pas distorsion, écho, par rapport au bruit du court.
Qu’en est-il de l’étanchéité de cette toile ?
Il y a eu plusieurs tests d’étanchéité. Des tests théoriques pour développer les formes, qui ont été réalisées par le bureau d’ingénierie T/E/S/S. Puis il y a eu des tests réels, réalisés par les entreprises, surveillés par les ingénieurs et les architectes, en usine, avec des mises en eau, permettant d’évaluer la résistance et le système d’écoulement des eaux. Il y a eu aussi, in situ, des tests avant livraison, qui ont permis de voir s’il y avait un problème sur la toile.
La Fédération française de tennis, en charge de la modernisation du stade Roland-Garros met en avant avoir intégré dans son processus « une démarche environnementale forte ». Y a-t-il eu dans votre projet une prérogative « d’une démarche environnementale forte » ?
Oui et par différents aspects. D’une part, il y a la récupération des eaux. Car la toile, présente sur le toit amovible, va permettre, lorsqu’elle sera déployée en cas de pluie, de conduire les eaux. Elles seront utilisées entre autres pour l’arrosage des courts. Il y a eu également un travail sur l’acier, présent sur la structure du toit, qui est décarboné.
Au sujet de la structure métallique, après un mode de consultation en conception et réalisation, est-ce bien la PME castelroussine Renaudat centre constructions qui a préfabriqué cette structure avec un montage in situ ?
Oui et c’est le Made in France qui est mis en avant. D’une certaine façon, c’est ce que permettent les Jeux olympiques (ndlr : le court Suzanne-Lenglen au-delà du tennis accueillera la boxe). L’entreprise Renaudat, dont sa dimension est plutôt moyenne, est une excellente entreprise. En général, elle apparaît en sous-traitant. Dans ce cas-là, ce qui est très bien, c’est qu’elle a été en première ligne. Elle a fait un travail de précision tout à fait remarquable en termes de charpente métallique.
25 avril 2024, le toit du court Suzane-Lenglen est ouvert / ©SoTennis
25 avril 2024, le toit du court Suzane-Lenglen en cours de fermeture / ©SoTennis
L’autre singularité de ce chantier, c’est qu’il a dû se scinder en différentes phases en raison de l’organisation, chaque année, du tournoi de Roland-Garros entre fin mai et début juin. Comment avez-vous pris en compte cet aspect-là ?
Cela a été assez simple. La première année (en 2021), nous avons installé les fondations, des quatre points d’appui de la table. C’est ce qui se voit le moins, mais c’est ce qui a été le plus délicat, car il a fallu percer dans l’existant. La deuxième année, nous avons installé la structure métallique, puis la troisième année (2023) nous avons installé la membrane.
Le parvis du court Suzanne-Lenglen a été repensé aussi…
Les réflexions se sont portées sur le changement de l’architecture et les finissions des stands qui se trouvent en périphérie. Il y a eu aussi la volonté de donner plus de praticités en ce qui concerne les déplacements des personnes handicapées autour du court. Nous avons fluidifié les aménagements tout autour du court, côté extérieur, afin de pouvoir mieux en faire le tour et d’y entrer de la façon la plus confortable possible.
Ce projet, quelle place occupe-t-il dans votre carrière ?
J’ai eu la chance de réaliser plusieurs stades. La Caja Magica à Madrid, la piscine olympique à Berlin ou encore une arène à Rouen, mais cette structure du court Suzanne-Lenglen, elle est importante. Elle montre, aussi, qu’un bâtiment peut avoir plusieurs vies. Là, en l’occurrence une vie à ciel ouvert, puis une vie avec une couverture amovible. C’est quelque chose qui fait aussi évoluer le regard que l’on a sur ces grands volumes, ces grands espaces. On peut continuer à ce qu’ils nous accompagnent dans l’évolution aussi bien des événements sportifs, ou dans l’évolution du point de vue environnementale et durable.
Propos recueillis par E-A