Court Central

Court Central

25 mai 2019 Non Par SoTennis

À 91 ans, le court Central de Roland-Garros s’est offert une énième jeunesse. Détruit à plus de 80 % à peine l’édition 2018 terminée, le nouveau court Philippe-Chatrier est sorti de terre dans un temps record. Didier Girardet, l’architecte de ce Central new look, évoque ce nouvel écrin, repère et symbole du stade Roland-Garros.

Comment l’avez-vous imaginé ce nouveau court Philippe-Chatrier ?

Tout d’abord, ce court Central existe depuis un certain temps (1928) et il a été transformé au fil des années. C’est un lieu chargé d’histoire. Il y avait déjà un principe de base en ce qui concerne ce projet, c’est que la difficulté consistait à créer un nouveau bâtiment répondant aux normes actuelles en termes de confort et de sécurité, sur les traces d’une construction qu’il fallait conserver en grande partie, qui elle, était assez ancienne. Être ancien n’a pas que des inconvénients, cela a aussi un sens. Il faut s’en servir. Pour ce projet, il a fallu créer une nouvelle enceinte sportive avec une dimension moderne tout en gardant un aspect de son patrimoine historique et de son architecture d’origine. Cela a été notre difficulté majeure. Faire du neuf, tout en conservant l’âme du stade d’origine. On a eu une idée très simple, qui a consisté à diviser le projet en deux parties. Pour la partie basse, le socle, que l’on nomme le soubassement du projet, qui monte jusqu’à la hauteur du premier étage, on a gardé comme idée principale, en termes de construction, l’utilisation du béton, avec notamment un motif architectural qui est l’une des caractéristiques du stade Roland-Garros, la croix de Saint-André. Une croix que l’on voit apparaître, notamment, en motif décoratif sur les garde-corps. Cette croix et la notion de béton, c’est vraiment l’image de Roland-Garros. Donc, dans toute la partie basse du projet, nous avons une architecture volontairement massive qui conserve et respecte cette modénature architecturale. Au-delà d’une certaine « altitude », il fallait répondre à des critères beaucoup plus modernes en termes d’utilisation. Il fallait travailler avec la légèreté, avec la lumière. À cette structure en béton, nous avons superposé une structure en acier, qui représente des avantages de légèreté avec un aspect contemporain. Qui accueillera également la partie mobile (le toit rétractable) que l’on ne verra pas cette année, mais l’an prochain. Nous avons travaillé avec ce principe. Une partie basse un peu massive qui rappelle le stade d’origine et une partie supérieure qui est beaucoup plus en légèreté, en transparence, avec au sommet de cet édifice la couverture mobile. Un élément qui va mixer de l’acier et de la toile. On part donc du plus lourd vers le plus léger. Si la Fédération française de tennis a décidé de rester à Paris, à une certaine époque (en 2011) c’était aussi pour garder l’âme, l’esprit de ce stade. L’architecture fait partie de cet esprit. Un exercice assez délicat.

L’une des singularités de cette (re)construction est sa durée. Moins de douze mois…

Le second critère de complexité de ce projet était celui de la rapidité d’exécution des travaux. Faire un nouveau court Central, ailleurs sur le site de Roland-Garros, aurait arrangé tout le monde. Il s’avère que le seul endroit, sur lequel un nouveau court de 15 000 places pouvait être créé, n’existait pas en dehors du court Central actuel. On a donc été dans l’obligation de réaliser le nouveau court Philippe-Chatrier sur ses traces d’origine, pour une simple raison d’espace. À partir de ce moment-là, alors qu’il n’est pas envisageable de se passer lors de ce tournoi d’un court Central, il fallait absolument rentrer dans des fenêtres de tir, en termes de travaux, de 9, 10 mois, entre chaque tournoi. L’acier a été aussi un élément important dans ce domaine. L’avantage de l’acier par rapport à d’autres matériaux, c’est que nous avons pu réaliser beaucoup d’éléments préfabriqués, entre 70 et 80%, en dehors du site et qui ont présenté d’énormes avantages en termes de rapidité d’exécution. Par exemple, les poteaux, de ce nouveau court Central, ont été fabriqués par une entreprise italienne spécialisée dans les ouvrages importants en acier, basée du côté de Venise, en Italie. Tout s’est construit là-bas. Ces poteaux ont été acheminés par convoi exceptionnel jusqu’au stade Roland-Garros, stocké sur le site, puis posé au fur et à mesure que les éléments arrivaient.

Travaux Court Philippe-Chatrier février 2019 / ©SoTennis

Travaux Court Philippe-Chatrier février 2019 / ©SoTennis

L’une des caractéristiques de ce nouveau court Philippe-Chatrier, sont ses angles de tribunes qui sont désormais fermés. Est-ce dû à la pose d’un toit rétractable ?

Auparavant, les angles étaient ouverts tout simplement parce qu’à l’origine de la conception du stade, ils étaient ouverts. L’architecte d’origine qui s’appelait Louis Faure-Dujarric, avait fait un stade avec des creux à chaque angle. Lorsqu’on a commencé à travailler sur ce stade pour des rénovations plus légères, on a travaillé notamment avec la ville de Paris, mais aussi avec les architectes de France. Le choix qui a été fait pendant pas mal d’années a consisté à conserver cette caractéristique, d’angles ouverts. Au fil du temps, j’ai estimé en accord avec la Fédération française de tennis, qui est mon maître d’ouvrage, qu’il était temps de couper le cordon, qui nous rattachait trop au passé et qui représentait des inconvénients en termes d’utilisation. Ces angles ouverts provoquaient une gêne, dans le sens où il y avait une perte de spectateurs. Des endroits où l’on a envie de relier les gradins les uns avec les autres. De créer une liaison. On a estimé que la courbe était la forme la plus naturelle qui permet, lorsqu’on est dans les gradins, d’être orienté vers le centre de la surface de jeu. On a donc adopté pour ce système de courbure, sur les angles, afin de tout simplement améliorer le confort des spectateurs. C’est un confort visuel qui a été recherché, plus qu’une intention architecturale.

Ce nouveau court Philippe-Chatrier est également passé de 18 à 31 mètres de haut, après la pose du toit rétractable. Pourquoi?

Il s’agissait de construire un stade qui réponde aux normes actuelles en termes de confort. L’ancien stade comportait des gradins qui manquaient de profondeur. Cela nuisait au confort du spectateur, car il n’avait pas assez de place pour poser ses jambes entre son siège et celui de la rangée de devant. On a donc décidé d’approfondir ces gradins, aux normes actuelles, tout en respectant une bonne courbe de visibilité, car plus les gradins sont profonds, plus ils doivent être hauts, de façon à ce que le spectateur ait une vue convenable sur la surface de jeu. Nous sommes toujours à 15 000 places. La jauge d’origine.

La reconstruction de ce court Philippe-Chatrier a-t-elle permis de dégager un peu plus d’espace ?

Ce qui a cruellement fait défaut au stade, dans son ancienne configuration, c’est un manque d’espace. Nous avons doublé si ce n’est triplé chaque surface affectée à chaque catégorie de population (joueurs, médias, relations publiques…). De plus, on a développé pour ce projet un concept de terrasses, faisant cinq à six mètres de largeur, où l’on peut y loger du mobilier, qui ceinture ce court, côté extérieur. Même si cela va un peu à l’encontre de beaucoup de stades actuels, qui sont souvent dans des espèces de coques, là avec la FFT, nous avons plutôt choisi de faire un bâtiment plus « classique » en termes de conception, mais qui va être, j’espère, agréable à vivre. C’est-à-dire des locaux, plus lumineux possibles. Sous les gradins et en complément à ces locaux, des très grandes coursives et terrasses sur les extérieurs de façon à profiter du site dans son intégralité. Je trouve que c’est assez agréable de voir aussi depuis ce bâtiment ce qui va se passer sur les courts annexes. Ce projet a pris de la hauteur. Tout a pris de la hauteur. L’avantage de cette prise de hauteur, c’est également d’offrir des vues assez extraordinaires sur le bois de Boulogne, sur l’hippodrome d’Auteuil, qui est juste à côté, sur le Parc des Princes et Jean Bouin, mais aussi sur la tour Eiffel. Je pense notamment à la coursive du public qui permet d’accéder aux gradins supérieurs. Elle existait avant cette coursive du public. Elle était plus basse et elle était beaucoup plus étroite, par conséquent elle n’était pas spécialement agréable à vivre. Là, on a fait une coursive pour le public, en haut qui est une véritable promenade, à ciel ouvert, avec des vues magnifiques, sur le stade. C’est un projet qui n’est pas uniquement concentré sur le court en lui-même. Il également très ouvert sur l’extérieur.

En sous-sol, de ce court Philippe-Chatrier, la zone dédiée aux joueuses et aux joueurs se situe-t-elle toujours au même endroit, sous la tribune Jacques-Brugnon ?

Oui et elle a été modifiée et agrandie. Il y a désormais une très grande salle d’échauffement, à proximité immédiate des vestiaires, qui est présente et qui n’existait pas dans la précédente configuration. Cette salle existait, mais il fallait sortir du court Central et rejoindre l’ancien CNE (où est désormais le Village). Il y a cette salle, plus d’autres services qui sont à proximité des vestiaires des joueurs et qui normalement devraient être assez appréciés. Je pense que les joueuses et les joueurs ne vont pas être désarçonnés, et je trouve que c’est plutôt bien, dans le sens où leurs vestiaires sont toujours au même endroit, la salle d’échauffement est à proximité immédiate. Leurs espaces de restauration et réceptif sont toujours au même endroit. Là aussi, ils ont été améliorés le plus possible en termes de confort, avec des services supplémentaires. C’est un projet qui a été très compliqué à étudier, car il y a les difficultés techniques dont j’ai parlé, mais aussi parce qu’il y a une multitude de fonctionnalités dans ce projet. On parle des joueurs, on parle de la presse, on parle du public… Ce qui est assez compliqué, c’est de faire en sorte que tout ceci cohabite correctement. Il y a un autre élément qui n’était pas question de changer, c’est l’accès au court. La fameuse porte qui permet d’accéder au court. C’est un endroit qui existe depuis l’origine du stade, côté arbitre et au Nord. Je pense que les joueurs vont rester dans leur repère.

Ce nouveau court Philippe-Chatrier est désormais doté de nouveaux sièges, les mêmes que ceux du court Suzanne-Lenglen et Simonne-Mathieu. Pour ces sièges, avez-vous eu votre mot à dire ?

D’abord ce genre de décision, est une décision hautement collégiale. Nous, nous avons un avis d’architecte, mais il est normal que le client, en l’occurrence la Fédération française de tennis, et plusieurs services au sein de la FFT aient leurs avis sur ce type de décision. Le choix du siège a fait l’objet de longues discussions, qui n’étaient pas un frein pour la mise au point du projet. C’était un sujet tellement délicat que la FFT a pris la décision à une certaine époque de s’adjoindre les services d’une assistance spécialiste de ces sièges, une assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO). Ils ont fait appel à une société qui s’appelle Tom & Associates qui avait l’avantage, par rapport à nous, architectes, de travailler pour beaucoup de stades dans le monde entier, avec une expérience importante. À partir du moment où on a travaillé ensemble, avec d’autres partenaires, dans cette réflexion, les décisionnaires principaux étaient la Fédération française de tennis et cette AMO, spécifique en sièges. En tant qu’architecte, j’ai été consulté sur des sujets purement esthétiques. La première question qui nous a été posée, était de savoir si on voyait un inconvénient à la présence du bois, dans le nouvel environnement du court Central. J’ai trouvé cela plutôt très intéressant dès le départ, parce que le bois, c’est beau, c’est plus chaleureux. Il y a eu beaucoup d’études, puis de prototypes, avec d’autres matériaux… Mais cette idée de siège en bois, à condition que le confort soit satisfaisant, et il est, m’a semblait être une idée très enrichissante, car cela apporté une touche de chaleur à l’intérieur des gradins, qui n’était pas du tout incompatible avec l’architecture générale du projet. Je suis resté, avec mon équipe, bien sûr responsable de l’implantation de ces sièges sur l’ensemble des gradins. On a résolu tous les problèmes qui venaient au fil des études, notamment la fixation des sièges dans les gradins courbes.

Ces sièges, ils seront également présents dans les mythiques loges de Roland-Garros. La configuration de ces loges, a-t-elle été modifiée ?

Ce n’est pas le rôle d’un architecte d’intervenir sur ce type de décision. Ces décisions qui appartiennent totalement à la Fédération française de tennis. Ce sont vraiment eux qui restent et qui doivent rester les maîtres de l’utilisation de leur ouvrage. Faire plus ou moins de loges est une décision qui leur appartient. On a étudié plusieurs versions de remodèlement des loges. Au final, nous arrivons à une structure de loges qui est vraiment très très proche, avec les loges telles qu’elles existaient avant, en termes de conception globale. C’est-à-dire, plutôt des « petites » loges derrière la chaise d’arbitre, et des loges plus grandes en face de la chaise d’arbitre et quelques loges en fond de court en nombre moindre. Là où nous avons eu un petit impact, peut-être, en tant qu’architecte, c’est que l’on s’est permis de dire à la FFT qu’il y avait quelque chose qu’il nous semblait vraiment obsolète dans l’environnement du court des années précédentes, c’est cette couleur verte, qui existait un peu partout et pas seulement sur la bâche de fond de court. Les murs étaient peints en vert. Les séparatifs des loges, les sièges des loges étaient verts aussi. Il y avait une dominante verte, qui commençait à me gêner. Ce que je trouve très beau sur le court Central, c’est la couleur ocre de la terre battue, c’est comme cela que nous avons travaillé, on s’est dit : « Il faut que cette surface de terre battue, qui varie en fonction de l’ensoleillement, de l’humidité, soit l’élément le plus fort de l’espace intérieur du court. » Ce que nous avons pensé, c’est que pour que cette surface mythique et vivante soit mise le plus possible en exergue, il fallait que l’on soit relativement neutre autour. Je crois que cela va changer beaucoup l’ambiance du court. Il n’y aura plus ces grandes masses vertes. Il y a ces sièges en bois, qui sont beaux, et des séparatifs de loges gris, afin qu’ils s’harmonisent avec le gris du béton.

©SoTennis

Le court Suzanne-Lenglen accueillera lors des Jeux olympiques de Paris, en 2024, les épreuves de boxe. Pour cela, il est prévu qu’il soit couvert. Ce bâtiment, dont vous êtes l’architecte, peut-il être équipé d’une structure couvrante, amovible sur le long terme ?

Oui, mais pas lourde, légère. Il y a des tas d’exemples qui existent dans le monde de structure légère qui sont venus couvrir des édifices qui n’étaient pas prévus du tout pour cela. Notamment des arènes datant de l’antiquité et qui sont reconverties en lieu de spectacle, ont nécessité d’être couvertes. On y arrive à travers des solutions techniques qui sont très particulières et qui sont dans l’extrême légèreté. Ce sont de la toile et des câbles. À partir du moment où on travaille avec des éléments de cette nature. C’est obligatoirement plus léger que ce nous faisons sur le court Central où nous avons renforcé les fondations, les poteaux, dans le but de recevoir une couverture mobile d’un certain poids. Là, en l’occurrence sur le court Suzanne-Lenglen, ce ne sera pas possible autrement, me semble-t-il, que de travailler avec des structures plus légères que sur le court Philippe-Chatrier. Il n’y a pas de difficultés majeures. À la limite, je dirais, le court Suzanne-Lenglen a déjà une architecture, qui n’est pas volontaire, pour se voir coiffer d’un tel équipement.

Vous êtes l’architecte de ce nouveau court Philippe-Chatrier, du court Suzanne-Lenglen, vous avez été témoin de l’évolution de stade. Aujourd’hui, comment définiriez-vous l’esprit de ce nouveau Roland-Garros ?

C’est une bonne question… Vous me sentez peut-être un peu hésitant dans ma réponse parce que je pense qu’on manque encore un peu de recul. Pour que l’on ait un avis et répondre à votre question, il faudrait que tous les travaux soient terminés. Or, ils ne seront pas terminés avant 2021. Le court Central, on va faire une livraison de ce court dans une première configuration pour le tournoi 2019, sans la toiture. Son appréciation en matière de volumétrie, elle vaudra en 2019 ce qu’elle vaudra, mais ce ne sera pas une appréciation définitive, tant que nous n’aurons pas démoli le court n°1, qui est prévu d’être remplacé par grande place de jardin public. On va être encore en chantier en 2019. Cela va être un tournoi un peu « expérimental ». On ne sera pas au bout de notre travail. Pour l’instant, on est tellement dans une phase transitoire… Je sais que le court Philippe-Chatrier va perturber certaines personnes, qui ne connaissent pas le projet final, dans le sens où elles vont trouver cela, par certains côtés, pas très esthétique. On est dans une situation tellement provisoire. On est dans un site qui a repris une qualité top, on l’espère évidemment, car on a travaillé dans ce but, mais pour en juger définitivement, je pense qu’il va falloir encore un peu patienter, au moins jusqu’à l’année prochaine. Une chose est sûre, c’est un bouleversement total. Le stade en 2021 n’aura plus beaucoup de rapport avec le stade tel qu’il était avant que ses travaux ne démarrent. C’est une révolution !

Propos recueillis par E-A, lors d’un entretien téléphonique réalisé le 19 mars 2019.