“Développer la culture du no limit”

13 avril 2015 Non Par SoTennis
Alexandra Fusai

©FFT

Depuis sa prise de fonction comme responsable du haut niveau féminin au sein de la Fédération Française de Tennis en janvier 2011, Alexandra Fusai a apporté une vision ambitieuse. Ses principaux objectifs sont d’aider toutes les joueuses françaises, en les accompagnant, qu’elles s’entraînent au sein des structures fédérales ou en dehors, tout en s’appuyant notamment sur une politique de formation tournée sur l’individualisation de chaque projet. A l’aube de la demi-finale de Fed Cup qui oppose l’équipe de France à la République Tchèque à Ostrava, l’ancienne 37e mondiale en simple, évoque pour So Tennis ses missions, et ses Frenchies qu’elle souhaite mener au plus haut niveau.

En décembre 2010 vous avez été nommée responsable du haut niveau féminin à la Fédération Française de Tennis. Aujourd’hui quel bilan tirez-vous de vos actions?
Je suis arrivée durant une période délicate pour le tennis féminin Français. Depuis la prise de mes fonctions en janvier 2011, beaucoup d’événements positifs se sont déroulés, et notamment des victoires. En premier lieu celle de Marion Bartoli à Wimbledon (ndlr : en 2013) qui a été incroyable à vivre, et très positif pour le tennis féminin tricolore. La nomination d’Amélie Mauresmo comme capitaine de l’équipe de France de Fed Cup (ndlr :en juillet 2012) a été très importante, c’est un beau symbole. Elle a réussi avec tout son staff à fédérer les joueuses vers le même objectif pour ramener l’équipe en première division, et la qualifier pour les ½ finales de l’épreuve (ndlr 18-19 avril prochain). Elle transmet également son expérience du plus haut niveau aux joueuses, sa recherche de l’excellence, et de ces détails qui font la différence. Alizé Cornet, Caroline Garcia et Kristina Mladenovic se sont durablement installées dans le top mondial, avec encore des marges de progression. Elles ont battu avec la manière des joueuses du Top 10, et ont des capacités et des qualités différentes, ce qui est intéressant pour les années à venir.

Vous n’hésitez pas à vous rendre sur les tournois notamment ceux du Grand Chelem. Lors de ces événements à quoi ressemble vos journées?
Je vais voir les matchs des Françaises, que ce soit lors des qualifications, et ceux du tableau final. Lors de mes matinées, je me rends aux entraînements ce qui me permet de converser avec les entraîneurs, d’observer l’évolution des joueuses que nous accompagnons. J’assiste par la suite aux matchs où une Française est engagée, je m’entretiens souvent avec les joueuses et leurs entraîneurs. Sans oublier les juniors, pour qui mon attention est similaire. Il y a également des réunions avec les responsables des tournois du Grand Chelem. Du matin au soir les journées sont bien remplies, mais c’est une bonne chose.

En 2011 à la même période de l’année Caroline Garcia était aux alentour de la 180e place mondiale Kristina Mladenovic 240e. Quatre ans après elles sont dans le top mondial. Durant ce laps de temps avez-vous réussi à créer un lien dans l’optique de leur progression?
Cette période a été différente pour ces deux joueuses. Kristina traversait une période difficile, elle revenait de blessure ce qui a freiné sa progression, mais durant ce moment nous l’avons entouré, et nous avons été à l’écoute de ses attentes tout en l’aidant à mettre en place une structure d’entraînement, tout comme pour Caroline Garcia. Nous avons essayé d’être dans la réflexion. Aujourd’hui nous accompagnons nos meilleures joueuses françaises en étant force de proposition et de conseil. Nous les aidons aussi financièrement afin de mettre en place leur structure d’entraînement jusqu’à ce qu’elles soient en capacité de le faire elles-mêmes.

« Notre volonté est de mettre la joueuse au centre du projet en respectant ses spécificités, ses différences et d’individualiser le travail »

Le terme de gouffre est souvent utilisé pour décrire notamment la différence de niveau entre les 100 premières mondiales au classement WTA et les autres. Êtes-vous d’accord avec cette expression ?
Je ne pense pas qu’il y ait un réel gouffre. Une joueuse qui est 100e ou 150e a les capacités de battre les meilleures. Sur un match c’est possible. La différence se fait surtout sur la régularité tout au long d’une saison. Toutes les joueuses sont très professionnelles, s’investissent au quotidien, s’entraînent très dur. Ce gouffre était peut être valable pour une autre génération, mais actuellement ce n’est plus le cas.

Les pôles France ont réouvert pour les filles, pourquoi cette décision?
Lorsque Patrice Hagelauer était encore le DTN (ndlr : directeur technique national) il a souhaité cette réouverture. Cette décision a été prise afin de renouer dans ce cas avec notre capacité de formation reconnue dans le monde entier. Sous l’impulsion d’Arnaud Di Pasquale qui est l’actuel DTN, nous avons ajusté notre accompagnement, qui est « orienté » encore plus vers les jeunes. C’est à cette période que se forment les championnes de demain. Notre ambition est de gagner des grands chelems, la Fed Cup, et de développer cette culture du « no limit ».

Ces joueuses peuvent donc de nouveau s’entraîner en « groupe », une théorie qui n’a pas toujours été partagée…
Notre volonté est de mettre la joueuse au centre du projet en respectant ses spécificités, ses différences et d’individualiser le travail. L’entraîneur, même au sein d’un groupe, a la capacité de se concentrer sur les objectifs individuels des joueuses, de définir une identité de jeu propre à chacune. Par la suite, une fois qu’un certain niveau est atteint, les programmes ne sont pas les mêmes et l’accompagnement peut évoluer. Nous devons être en capacité de nous adapter aux projets de chaque joueuse. C’est ce que nous faisons actuellement avec Océane Dodin, un de nos grands espoirs, et son papa qui collaborent avec Georges Goven un des entraîneurs de la FFT.

La génération 79 est souvent citée en exemple dans la réussite du tennis féminin tricolore. Vous inspirez-vous des parcours de ces joueuses dans votre politique de formation ?
Au niveau des différentes équipes de France des anciennes joueuses de Fed Cup partagent leur parcours, avec les générations actuelles. En plus d’Amélie Mauresmo qui est capitaine des Bleues, Émilie Loit par exemple est capitaine de l’équipe des 15-16 ans. Cette présence permet de véhiculer des valeurs d’excellence et d’équipe. Mais aujourd’hui la stratégie du tennis féminin français n’est pas définie par rapport aux parcours de cette génération 79. La politique de formation s’appuie sur l’évolution des meilleures joueuses mondiales actuelles. Nous utilisons les temps de passage (classement, niveau de jeu, progression, programmation) depuis le plus jeune âge des meilleures joueuses mondiales, comme repère pour ajuster notre accompagnement, tout en prenant des pincettes sur ce sujet. Il y a toujours des exceptions et des parcours atypiques.

« Lors de cette ½ finale il faudra y croire, être solidaire, avec l’énergie positive du groupe »

On ne voit plus trop de filles débarquer sur le circuit à 14-15 ans. Cette arrivée plus tardive vous permet-elle de mieux les former à l’exigence du haut niveau?
Elles arrivent un peu plus tardivement, car l’ITF (ndlr : Fédération Internationale de Tennis) limite le nombre de tournois séniors auxquels elles peuvent participer. Mais il n’y a pas de temps à perdre pour former ces joueuses. La professionnalisation est tout aussi précoce. Aujourd’hui à 14-15 ans les meilleures étrangères sont déjà sur les tournois internationaux chez les juniors, avec une identité de jeu, des objectifs précis, et une structure d’entrainement autour d’elles. Si on souhaite que nos joueuses françaises rivalisent au niveau international, il faut aussi à cet âge qu’elles commencent à se professionnaliser, à s’approprier leurs projets. L’entraînement, la programmation doivent être précis et ambitieux.

Le tennis féminin semble de plus en plus physique, est-ce un aspect prioritaire dans vos objectifs pour les joueuses qui évoluent sous le giron de la FFT?
Le tennis actuel est un tennis total, avec un engagement constant, le physique c’est une dimension dans le jeu qui est indispensable et incontournable. Lorsqu’on voit à quel rythme et à quelle vitesse les joueuses jouent c’est impressionnant, et je pense que ça va encore évoluer. Sur le circuit féminin les joueuses s’entraînent en permanence, et tout au long de l’année. Qu’elles soient en tournoi ou en période d’entrainement. Le but est de développer une qualité physique au service de leur tennis.

Et qu’en est-il de l’aspect mental, notamment pour celles qui n’ont pas forcement des qualités physiques extraordinaires?
Les joueuses que nous suivons sont accompagnées mentalement soit par un psychologue spécialisé dans le sport, ou un préparateur mental, avec qui elles peuvent travailler sur les pensées parasites lorsqu’elles sont en match, afin qu’elles puissent mieux gérer l’aspect émotionnel. Toutes les joueuses travaillent autant mentalement, tennistiquement que physiquement. Par exemple, on a vu Serena Williams consulter souvent en plein match quelques annotations, qui lui permettent si besoin d’évacuer ses pensées parasites. Cet aspect mental est l’une des clefs que nous essayons d’inculquer, en plus du jeu, du physique et du médical.

A quelques jours de la ½ finale de Fed Cup qui opposera les Bleues à la République Tchèque, que peut conseiller celle qui a remporté l’épreuve en 1997 ?
Ce qui se passe depuis l’arrivée d’Amélie Mauresmo comme capitaine de cette équipe de France, avec la remontée en première division et cette victoire face à l’Italie est très positif. Les filles sont en train d’écrire une belle histoire. C’est une équipe qui est jeune. Amélie a réussi à construire beaucoup de choses. La ½ finale s’annonce difficile avec des joueuses qui le sont tout autant. Si elles jouent, la République Tchèque s’appuiera sur des joueuses comme Petra Kvitova, Lucie Safarova qui sont dans le Top 10 ou pas très loin. Mais en Fed Cup tout est possible, et on l’a bien vu face à l’Italie. La culture du « no limit » lors de cet événement est décuplée. Les individualités sont au service du groupe. Il y a tout un pays derrière l’équipe. Il y a vraiment quelque chose de différent. Lors de cette ½ finale il faudra y croire, être solidaire, avec l’énergie positive du groupe.

Pour finir quel regard portez-vous sur ce tennis féminin et son exigence?
Aujourd’hui le tennis féminin est d’une intensité hors norme, avec une intention dans chaque frappe. Actuellement nous avons de grandes athlètes, de grandes championnes charismatiques, avec aussi quelques jeunes qui arrivent. Lorsqu’on voit la capacité des joueuses à jouer à des vitesses folles, je pense que nous allons encore avoir de belles années devant nous, avec je l’espère des Françaises.

Propos recueillis par E-A