La question de la santé mentale

La question de la santé mentale

10 octobre 2022 Non Par SoTennis

Malaisant voire, encore, tabou, le sujet de la santé mentale sort peu à peu de l’ombre dans lequel il était tapi depuis de nombreuses années, grâce à la libération de la parole. Des athlètes qui osent briser le silence, souvent, après avoir traversé la passe du mal-être, qui dépasse le microcosme du monde du tennis.

Éviter de s’épancher. Ne pas donner d’angle aux adversaires. Poursuivre son chemin tant bien que mal, malgré les maux de plus en plus encombrants et vacillants… Pendant trop longtemps, la santé mentale n’était même pas un sujet. Or, depuis quelques années, la libération de la parole a fait sortir de l’ombre cet état source d’équilibre, d’alacrité ou de mal-être. Perdre ou gagner, tel est le quotidien des apprentis et ou confirmés champions, qui n’en restent pas moins des êtres humains. Dans un sport individuel où la concurrence fait rage et où les enjeux sont multiples, trouver sa voie en composant avec ses aptitudes et ses failles relève d’un match à lui seul. Mais lorsque plus rien ne va, que les résultats ne suivent pas, que les blessures s’accumulent et que les critiques en tous genres s’amoncellent, notamment celles provenant des réseaux sociaux, la qualité de vie est altérée et la dépression guette le « traqueur ». En février dernier, sur son compte Instagram, Nick Kyrgios, qui agace autant qu’il subjugue, était revenu sur ses difficultés sur le plan mental. S’il va beaucoup mieux maintenant, il a pensé au pire il y a quelques années. « C’était moi il y a trois ans à l’Open d’Australie. La plupart des gens se diront que j’allais bien mentalement et que je profitais de ma vie… C’était l’une de mes périodes les plus sombres. Si vous regardez mon bras droit, vous pourrez voir des traces d’automutilation. » Durant cette torpeur endurée en silence, l’Australien avait notamment du mal à sortir du lit et encore plus à se lever pour se motiver de jouer devant des millions de personnes. À cette époque, il était seul, abusant d’alcool, de drogues et repoussant sa famille et ses amis. Dans la deuxième partie de son message, le champion exhorte les personnes souffrant des mêmes maux à s’ouvrir et à parler, précisant qu’ils ne sont pas seuls.

« Le sport de haut niveau introduit d’autres contraintes, explique Boris Cyrulnik, neuropsychiatre français connu, entre autres pour avoir vulgarisé, notamment dans ses livres, le concept de résilience. C’est l’hyper entraînement, le stress, des conditions d’existence difficiles qui peuvent avoir pour effet secondaire des équivalents d’usure, de même qu’il y a des fractures de fatigue, il peut y avoir des usures traumatiques où les sportifs ne pensent qu’à ça. Là, il y a probablement un piège qui est l’hyper stimulation qui est toxique pour le cerveau, car cette hyper stimulation empêche les phases de récupération. Pour son bien-être, cela consisterait à s’entraîner et à avoir un rythme d’alternance. Le rythme naturel qui permet la santé mentale, c’est l’alternance entre la stimulation et le repos. Or, les sportifs de haut niveau, souvent, n’ont pas cette alternance et l’on voit des accidents physiques et psychiques. » Kyrgios estime s’en être sorti après avoir pris conscience qu’il « devait vraiment » se « sortir de ce trou ». La solitude et la pression dans le monde du tennis étant les causes de son état, selon ses dires, l’actuel 21e mondial a remonté la pente en faisant d’autres choses. En juillet dernier, sa mère Norlaila Kyrgios confiait : « Je le vois sur ses stories (Instagram). Depuis l’Open d’Australie cette année (en janvier où il a remporté le double Messieurs avec son ami Thanasi Kokkinakis), il a commencé à faire certaines choses. Parce qu’il comprend maintenant que la vie ne tourne pas autour du tennis. Vous devez profiter de votre vie. Je suis vraiment contente qu’il le fasse maintenant. » Une phase de dépression que Thanasi Kokkinakis a aussi connue, entre 2016 et 2017, lorsque de nombreuses blessures étaient venues, entre autres, stopper sa progression. « Souvent, durant cette période, je ne pensais pas que je rejouerais et je n’appréciais pas du tout le sport, nous disait-il en juillet dernier lors du tournoi de Wimbledon. J’ai eu la chance d’avoir un bon groupe autour de moi, beaucoup d’amis et de famille, qui ont cru en moi beaucoup plus de fois qu’en moi-même. Pour me remettre sur la bonne voie, j’ai essayé de faire des choses en dehors du terrain que j’aimais, cela m’a rendu plus heureux et m’a donné envie de reprendre ma carrière et de continuer à jouer. » Parfois, au sommet de son art, le bonheur peut sembler illusoire. Tiraillée par ses propres maux, Naomi Osaka mettait, l’an dernier, sur la table des problématiques qui jusque-là étaient taboues. Le lundi 31 mai, 2021, en plein Roland-Garros, la Japonaise, numéro 2 mondiale à ce moment là, avait annoncé qu’elle quittait le tournoi et se retirait « un certain temps des courts », pour préserver sa santé mentale. « Dire qu’une conférence de presse lui génère du stress, que ça la met en difficulté, et même qu’elle souffre d’anxiété sociale, c’est quelque chose d’inédit, explique Hugo Cailhol, psychologue du sport et préparateur mental. Aujourd’hui, il y a encore beaucoup de croyances autour des sportifs qu’il faut déconstruire et dépasser. » La prise de parole d’une athlète de ce rang a initié une, nouvelle, prise de conscience des institutions, mais aussi du public sur la santé mentale. « La France est le premier pays à avoir mis en place un bilan psychologique annuel obligatoire pour tous les sportifs de haut niveau, dans le cadre du suivi médical réglementaire, abonde Alexis Ruffault chercheur en psychologie appliquée au sport de haut niveau à l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance). On voit quand même de plus en plus de sportifs qui sont suivis par un psychologue et/ou un préparateur mental, c’est assez normalisé et beaucoup plus accepté qu’avant. » À l’image de l’actuelle numéro 1 mondiale, Iga Swiatek qui a intégré à son team la psychologue sportive Daria Abramowicz. Gérer une carrière saine et durable n’a jamais était simple, à l’ère des médias sociaux, le défi semble encore plus important. La dépression, l’angoisse voire le burn-out sont plus fréquents dans le milieu sportif que l’on pourrait croire, et ce toutes disciplines confondues. Comment, alors, faire évoluer les choses ? Il semblerait qu’une meilleure sensibilisation puisse être menée à tous les niveaux, les encadrants, les dirigeants, les organisateurs de tournoi, les joueurs et les médias. « Il faut que les sportifs soient préparés à cette pression, mais ils doivent aussi être conscients qu’ils ont le droit de dire quand c’est trop » dixit Hugo Cailhol. La souffrance psychique et la santé mentale semblent avoir envahi à tel point nos sociétés, qu’il n’est pas déraisonable de penser qu’elles soient devenues les principaux point de repère de l’individualisation de la condition humaine. L’atteinte psychique est aujourd’hui plus que jamais considérée comme un mal au moins aussi grave que l’atteinte corporelle et, souvent, plus insidieux. Oser dire, reste la première chose à faire. « La santé mentale est un sujet important dans le sport mais aussi dans la vie de tous les jours, nous confiait Caroline Garcia lors du tournoi de Wimbledon. Parfois il reste un peu tabou. Il y a cette question toute bête, « comment ça va ? » Et tu dis que ça va toujours bien, alors qu’au final, ce n’est pas très profond et souvent, cela ne va pas plus loin que ça. C’est encore tabou de dire que cela ne va pas, que tu souffres, que tu es triste… Dans la vie de tous le jours, je pense que l’on peux un peu plus en parler, avouer « ses faiblesses » et c’est bien ! Il faut avoir un entourage proche, avec qui tu peux être en confiance pour te confier. Déjà de parler et d’en parler, cela aide à pouvoir, par la suite, aller mieux. »

E-A