Le retour de l’ocre

26 mars 2014 Non Par SoTennis


©SoTennis

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À moins de deux mois de la prochaine édition de Roland Garros, toutes les équipes de la Fédération Française de Tennis s’activent. Et en premier lieu, celles de l’entretien des courts. Dès le mois d’avril, elles œuvrent pour remettre en état les terrains du stade de la porte d’Auteuil, et notamment le Central. Gérard Tiquet, responsable de l’entretien des courts de Roland Garros, évoque en exclusivité pour So Tennis, ses missions, et à quel moment le rouge sera de retour sur les courts.

 

Quelles sont vos principales missions au stade Roland Garros?
Elles sont nombreuses. La première est de préparer les courts (23) pour le tournoi. Le début de la réfection des courts, qui consiste à retravailler la couche de calcaire en surface débute dès fin mars. Puis pendant le tournoi, il s’agit de s’occuper des différents courts, en passant la traine, le ballet, l’arrosage… ce qui prend beaucoup de temps. Je suis en charge également du recrutement et de la coordination des différentes équipes, qui œuvrent pendant la compétition.

“Chaque semaine selon la météo, c’est entre 4 et 5 courts qui sont refaits”

Combien de personnes s’occupent à l’année, et pendant le tournoi de l’entretien des courts de Roland Garros?
Hors période de tournoi l’équipe d’entretien est composée de 9 personnes. Nos principales activités consistent à s’occuper du matériel, et à notamment intervenir sur les rencontres de Coupe Davis et de Fed Cup, se jouant en France, afin de réaliser en particulier les courts en terre battue, comme cette année pour l’épreuve masculine. Dès que nous commençons la réfection des courts, 8 personnes supplémentaires, intègrent l’équipe initiale, pour une durée de 6 à 9 mois. Pendant le tournoi cet effectif est beaucoup plus important. Nous recrutons en particulier au sein des différentes ligues et clubs de la Fédération Française de tennis, près de 90 personnes en plus, qui sont mobilisées pendant trois semaines. En tout, pendant le tournoi,  c’est plus de 100 personnes qui s’occupent de l’entretien des courts de Roland Garros.

À partir de quel moment débutez-vous la réfection des courts?
Pour les courts situés à l’inférieur du stade, cette réfection débute fin mars début avril. Nous nous occupons également des courts qui sont au petit Jean Bouin, et qui servent pour les entraînements des joueurs, en période de tournoi, afin qu’ils puissent être utilisés le plus tôt possible. Le début de la rénovation des courts démarre par ceux situés dernière le Suzanne Lenglen, soit 6 courts, pour finir début mai par le Central, le Lenglen et le n°1. Chaque semaine selon la météo, c’est entre 4 et 5 courts qui sont refaits. L’important est de réaliser tout cela dans de bonnes conditions, pour donner de la qualité.

Le court central tout en noir. ©SoTennis

Le court central tout en noir. ©SoTennis

Le court central a eu droit cet hiver à un lifting en profondeur assez rare, avec le retrait de la couche de calcaire supérieure le craon. Pourquoi avoir fait cela?
Nous avons profité des travaux réalisés sur les margelles en béton situées autour du court , pour changer cette couche de calcaire, qui fait environ 8 centimètres d’épaisseur. Cela va permettre d’apporter un calcaire beaucoup plus sein. Ce n’est pas une opération courante, la dernière fois que nous avons fait cela, c’était au cours de l’hiver 2000-2001. À l’époque nous avions profité pour refaire le mâchefer et le calcaire.

“Par an c’est plus de 40 tonnes de rouge qui sont acheminés”

Le tournoi de Roland Garros est reconnu pour la qualité de ses courts et de sa terre battue, mais d’où vient-elle?
Le calcaire et le rouge (brique pilée) viennent d’une carrière située à Saint Maximen (dans l’Oise). Pour le craon, ce matériau est issu de pierre calcaire de haute qualité, qui est par la suite réduite en poudre, tout comme le rouge. Depuis de nombreuses années c’est la même société, et la même carrière qui nous fournit tout ce matériel.

Au sein même du stade existe-il des réserves de terre battue ?
Absolument, et elles sont nombreuses. Par an c’est plus de 40 tonnes de rouge qui sont acheminés et plus des deux tiers sont utilisés pour la réfection des courts. Le tiers restant sert à l’entretien des courts pour le reste de l’année, il est stocké dans nos réserves, disséminées au sein même du stade. L’emplacement de ces réserves est stratégique. Par exemple, pour le court central celle-ci est située à quelques mètres du terrain. Il en est de même pour les autres courts. Grâce à cette proximité, notre travail d’entretien est facilité, car notre matériel y est également présent, et s’il faut ajouter de la terre battue, ou intervenir rapidement sur un court, tout ceci peut se faire en toute sérénité.

En ce début de printemps Roland Garros s’éveille. ©SoTennis

Pendant le tournoi quelles sont vos principales préoccupations?
La météo joue un rôle important. En cas de pluie l’entretien des courts est plus important, même si nous pouvons nous appuyer sur un service météorologique de pointe pour anticiper les actions à mener, et sur une équipe conséquente, pour bâcher rapidement les courts. Le vent est un élément à surveiller, car il dessèche le court en soulevant la terre battue qui y est présente. En réalité une fois la réfection terminée, l’entretien est fait de manière quotidienne, comme l’arrosage qui est amené de façon efficace.

Vous arrive-t-il de rajouter de la terre battue ?
Cet ajout est possible notamment en période de vent, où il peut y avoir une quantité de rouge qui s’envole. Bien qu’il y ait un arrosage à différents moments de la journée, parfois cela ne suffit pas. Dans ce cas, nous rajoutons de la terre battue, en petite quantité, pour pallier ce « manque » sur le court. En fin de journée, je fais un tour des courts afin de prévoir les actions à mener le lendemain, comme l’ajout de calcium, et sa quantité (sous forme de pastille), qui permet de fixer le rouge. Ce qui n’empêche pas un arrosage conséquent le soir, une fois les matches terminés. L’eau a ainsi plus de temps pour pénétrer dans le mâchefer, pour être emmagasinée, puis redistribuée dans la journée, grâce à l’effet du soleil.

“Notre expérience est reconnue de tous”

Quel pays vous demande des conseils pour la création de court en terre battue?
Il y a quelques années les australiens sont venus ici à Roland Garros, car ils avaient comme ambition, de construire des courts en terre battue dite Européenne. Pendant le tournoi, ils ont observé nos techniques et ont posé énormément de questions sur les matériaux utilisés. Les américains sont venus nous rendre visite également. Récemment Jim Courier (Capitaine de l’équipe américaine de Coupe Davis) nous a sollicité dans le cadre d’une rencontre de Coupe Davis entre les USA et l’Angleterre, se jouant sur terre battue, afin de glaner quelques conseils sur l’entretien du court. De ce fait notre expérience est bien reconnue.

D’après vous quelle est la différence entre la terre battue dite grise et celle de couleur ocre ?
Ce n’est absolument pas le même matériau. Dans notre cas, ce matériau est adapté pour se bloquer correctement. Le calcaire se bloque à l’eau, et reste très perméable. Il garde une souplesse, permettant en surface, de bien glisser. La terre battue dite grise, utilise certainement un matériau moins compact, et plus friable en surface.

Selon vous quelles sont les étapes les plus importantes pour avoir un bon court en terre battue?
La réfection des courts doit se faire dans de bonnes conditions, l’idéal par temps sec. À Roland Garros cette réfection est réalisée grâce à un tracteur, et une herse, qui permet de décompacter l’épaisseur du calcaire. Il est nécessaire que tout ceci soit fait dans de bonnes conditions météorologiques. Car une fois que nous mélangeons tout, et que nous débutons à tasser le court, nous nous appuyons sur le travail cité précédemment. L’entretien quotidien qui est apporté au court permet d’améliorer son aspect. Si l’entretien est occulté, la qualité ne sera pas présente.

Quels conseils donneriez-vous aux responsables de clubs qui ont des courts en terre battue ?
Un grand nombre de club n’ont pas forcement les moyens humains et financiers, pour l’entretien des courts en terre battue. Chaque année en plus des personnes que nous accueillons pendant le tournoi , et qui sont en charge de l’entretien des courts, à qui nous inculquons notre savoir-faire de la terre battue. Nous proposons des stages (sur une semaine) permettant à se former à la création et à l’entretien de courts en terre battue, c’est l’une de nos missions. Dans un certain sens, plus nous accueillons de stagiaires, plus il y aura de passionnés pour avoir des courts en terre battue, de bonne qualité.

Retrouvez en vidéo l‘interview de Gérard Tiquet 

Propos recueillis par E-A