L’homme de la terre

18 mars 2015 Non Par SoTennis
Bruno Slastan / ©SoTennis

Bruno Slastan / ©SoTennis

Fervent défenseur de la terre battue, il chouchoute tout au long de l’année, et bien évidemment durant la fameuse quinzaine, les courts ocres de la porte d’Auteuil. Son savoir-faire de la maîtrise de l’or rouge, il le met au profit de la Fédération Française de Tennis depuis 26 ans. Bruno Slastan responsable de l’entretien des courts à Roland-Garros, évoque avec générosité pour So Tennis, son parcours, son travail au quotidien, ainsi que son amour des lieux, lui qui se décrit volontiers comme un agriculteur de la terre… battue.

Comment un étudiant en architecture originaire de Soissons et ambitionnant de devenir métreur en bâtiment, se retrouve-t-il responsable de l’entretien des courts de Roland-Garros ?
C’est tous les aléas de la vie. Je suis arrivé ici par hasard, et par le biais d’une personne travaillant pour le compte de mon ancien employeur. Au départ j’étais retissant de venir travailler à Paris. Étant Picard, j’affectionne les grands espaces. Mais je me suis tout de suite plu ici. Je travaille depuis 26 ans pour ce stade mythique, et j’en suis le premier heureux. La vie fait parfois très bien les choses.

Pour apprendre à créer un court en terre battue et à l’entretenir, Roland-Garros c’est le meilleur endroit…
Il n’y a pas d’école pour apprendre à créer et à entretenir un court en terre battue. L’apprentissage se fait sur le tas. J’ai eu la chance de recevoir les conseils des meilleurs qui m’ont transmis leurs secrets à propos de cette surface, qui est malgré tout relativement capricieuse. Je m’abstiendrai de dire qu’il est possible de la connaître parfaitement, car l’apprentissage est continu.

« Je suis un fervent défenseur de la terre battue »

La Fédération Française de Tennis prévoit-elle des formations à l’entretien des courts en terre battue à destination de ses clubs affiliés possédant des terrains de cette surface?
Chaque année une journée nommée « la journée terre battue » dont la prochaine est le 7 avril est organisée, elle est dédiée aux clubs et aux personnels municipaux, au niveau national. De plu,s un stage formateur qui a lieu à Amiens tous les ans, sur une durée de sept jours, permet aux stagiaires venant de toute la France, d’acquérir quelques notions. Nous profitons également de cet événement pour recruter des personnes qui viendront renforcer nos équipes d’entretien des courts durant le tournoi de Roland-Garros, qui compte à ce moment-là 125 individus. Je suis un fervent défenseur de la terre battue qui est difficile à entretenir, qui demande beaucoup de travail, mais qui est tellement agréable pour le jeu.

L’une des caractéristiques des différents courts de Roland-Garros c’est l’homogénéité de leur qualité. Pour cela comment vous y prenez-vous?
Tout d’abord nous avons privilégié la qualité dans le choix de nos matériaux. Depuis plus de 50 ans le calcaire et le rouge (brique pilée) des courts de la porte d’Auteuil viennent d’une carrière située à Saint Maximen (dans l’Oise). Cette « matière première » c’est vraiment le nec plus ultra. La qualité de ces matériaux est irréprochable, c’est très important dans notre domaine. Par la suite le savoir-faire « made in Roland-Garros », qui privilégie la qualité à la quantité, et l’expérience de toutes ces années d’apprentissage, permet d’obtenir cette homogénéité en termes de qualité.

En mode tournoi le stade Roland-Garros compte 18 courts, à partir de quel moment débutez-vous la réfection des terrains?
Cette réfection débute à partir de la dernière semaine du mois de mars. Nous nous occupons également à ce moment-là des trois courts qui sont situés au petit Jean-Bouin, et qui servent pour les entraînements des joueuses et joueurs en période de tournoi, afin qu’ils puissent être utilisés le plus tôt possible. Le début de la rénovation des courts du stade démarre début avril par ceux situés dernière le Suzanne-Lenglen, soit 6 courts, pour finir début mai par le Central, le Lenglen et le n°1. Chaque semaine selon les conditions météorologiques, c’est entre 4 et 5 courts qui sont refaits, en donnant un point d’honneur de finir par le court Philippe-Chatrier.

Combien de tonnes de terre battue sont utilisées chaque année pour l’entretien des différents courts du stade?
La terre battue est une dénomination globale. En réalité nous nous ravitaillons essentiellement de brique pilée, ce rouge vient sur le calcaire qui est blanc, et que nous touchons pas, car il peut durer des années tant que c’est bien entretenu. L’ocre que nous ajoutons tous les ans pour rougir et avoir cette sensation de glisse, et permettre une meilleur réverbération, c’est 45 tonnes qui sont utilisées. Cette quantité peut paraître importante, mais elle est vraiment nécessaire.

« Le vent est l’ennemi juré de la terre battue »

La météo joue-t-elle un rôle important lors des différentes phases de cette réfection ?
Elle est primordiale. Le soleil et le vent ne sont pas gênants. On craint plus la pluie. Si elle dure une semaine voire plus, rien ne peut être fait. C’est pas forcement une fin en soi, car s’il y a un retard il pourra toujours être rattrapé. Les fortes gelées tardives situées entre fin avril et début mai font également partie de nos craintes. Mais grâce aux bâches qui viennent recouvrir les courts tous les soirs lors de cette réfection, cela évite malgré tout certaines mauvaises surprises. Il y a 20 ans à cause des mauvaises conditions météorologiques, au premier mai il y avait seulement 7 courts prêts, mais nous avions réussi à rattraper le retard. De toute manière quoi qu’il arrive il faut que les terrains soient jouables pour le tournoi.

Une fois la réfection terminée, l’entretien se poursuit-il de manière quotidienne?
Une fois que cette « rénovation » du court terminée, 30% du travail est fait. Les 70% c’est de l’entretien. Nous sommes un peu comme les agriculteurs qui ne peuvent pas rentrer dans leurs champs lorsqu’il y a eu trop de pluie, mais qui sont contraint d’arroser énormément en période de sécheresse. Pour un court en terre battue c’est similaire. L’entretien est essentiel, il s’effectue par de l’arrosage, du balayage lorsqu’il y a trop de gravelle qui remonte, c’est de l’ajout de chlorure de calcium afin de conserver l’humidité.

« Agriculteur de la terre battue c’est un terme qui me plaît bien pour me définir  »

Durant le tournoi en ce qui concerne l’entretien des courts êtes-vous plus préoccupé par le vent ou par la pluie ?
Nous sommes plus embêtés par le vent que par la pluie. Quelque part la pluie c’est simple, on sort les bâches. Avec le vent le jeu continue, et il est souvent tourbillonnant sur le court central, et il va enlever cette brique pilée. Si les rafales sont présentes tout au long de la journée, cela peut être très préoccupant, voire même énervant pour tout le monde, les joueurs, les spectateurs au bord du terrain, et par la même occasion pour les équipes de  l’entretien. Le vent est l’ennemi juré de la terre battue.

Quelle est votre plus grande satisfaction une fois que le tournoi de Roland-Garros s’achève ?
C’est de na pas avoir eu de commentaires négatifs, bien que nous soyons pas là non plus pour recevoir des compliments. Dans l’esprit des joueuses et des joueurs Roland-Garros est synonyme de qualité, avec des courts exceptionnels. L’histoire est avec nous. De ce fait il n’y pas de place pour l’approximatif.

Vous définiriez-vous comme un agriculteur, qui aime sa terre?
Oui, comme un agriculteur du sport. La terre battue est une surface sur laquelle on n’a jamais fait complètement le tour. Cela fait 26 ans que je façonne ces courts, et j’apprends et découvre encore certaines subtilités de cette surface, et dans un sens c’est génial. Agriculteur de la terre battue c’est un terme qui me plaît bien, c’est simple.

Propos recueillis par E-A