Simonne Mathieu, ma grand-mère

Simonne Mathieu, ma grand-mère

25 mai 2019 Non Par SoTennis

Longtemps oubliée, malgré certaines velléités, Simonne Mathieu, championne dans les années 1930 et résistante, retrouve, enfin, la place qu’elle mérite. Son petit-fils, Bertrand Mathieu, a bien voulu revenir pour nous sur ses souvenirs et sur la vie de sa grand-mère, qui n’a jamais manqué de caractère.

Qui était Simonne Mathieu pour vous ?

Simonne Mathieu était ma grand-mère paternelle. Elle a eu deux fils, son premier s’appelait Jean-Pierre, qui était mon père, mort en 2009, le second Maurice, décédé il y a quelques mois. Je suis donc son petit-fils.

Simonne Mathieu est décédée le 7 janvier 1980. Avant cette date, avez-vous eu l’occasion de la rencontrer ?

Oui, je l’ai rencontrée régulièrement, en particulier à l’occasion de réunions de famille. C’était en général toujours chez mes parents, où il y avait mon frère et moi, tout simplement parce que mon oncle n’avait pas d’enfants. J’ai des souvenirs anciens. J’ai récupéré des photos, où elle me prend dans ses bras au moment de mon baptême. Je sais donc qu’elle était présente dès ma naissance.

Dans ce contexte, a-t-elle évoqué avec vous sa carrière tennistique et ses engagements ?

Relativement peu car elle était très discrète. J’ai le souvenir de réunions familiales où elle s’occupait de nous, elle nous posait des questions, mais elle évoquait très peu sa carrière tennistique et son rôle en tant que résistante, de premier plan, avec de Gaulle. Je me souviens également de discussions où elle annonçait qu’elle allait travailler au chiffre, c’était l’expression utilisée à l’époque pour parler des renseignements, où elle avait eu un job lié forcément à son passée. Elle indiquait cela je dirais entre la poire et le fromage, sans vraiment s’appesantir. En revanche, cela peut paraître étonnant, mais il y a un sujet sur lequel j’ai souvenir de l’avoir entendue, c’est le bridge. C’est un élément que l’on connaît peu, mais elle était très bonne joueuse de bridge. Là, elle avait tendance à s’animer plus sur ce sujet, alors qu’elle était relativement discrète sur son passée tennistique et de résistante.

Par rapport à ces souvenirs, comment définiriez-vous son caractère?

J’ai souvenir d’elle avec du caractère. Je n’ai pas le souvenir, tel qu’il apparaît dans les différents documents que j’ai pu voir la concernant, où on la fait ressortir avec un très fort caractère et parfois un peu virulent. Je ne l’ai jamais connue comme cela. On sentait que lorsqu’elle voulait annoncer quelque chose, elle le disait très très clairement, mais de manière très courtoise. C’était peut-être aussi du fait que lorsque je la voyais, c’était chez mon père, qui était son fils, dans un cadre familial.

Peut-on dire qu’elle avait un franc-parler?

Oui, on peut le dire car elle n’avait aucun état d’âme pour dire si quelque chose lui plaisait ou lui déplaisait, mais ça en rester là. Il n’y avait pas vraiment de discussions contradictoires par rapport à ses affirmations. Peut-être parce que ses deux fils avaient un respect ou ne cherchaient pas trop à la faire monter trop fort en pression, la connaissant bien, et sachant qu’elle était de nature assez forte, dans ce domaine-là.

À partir de quel moment avez-vous pris conscience ou découvert son engagement, de résistante, lors de la Seconde Guerre mondiale ?

Lorsque vous êtes enfant, on vous raconte un certain nombre de choses ou on vous parle de choses qui vous paraissent quasi naturelles. Vous considérez votre cadre comme naturel. Lorsqu’on m’a dit que ma grand-mère avait été championne de tennis, je l’ai compris et entendu, mais pas plus que cela. Lorsqu’on m’a parlé de ses activités dans la Résistance, je l’ai plus ressenti lorsque j’ai commencé à voir des photos d’elle avec de Gaulle, qui avait, dans mon enfance, une force importante, puisqu’il était le président de la République. Voir des photos de ma grand-mère avec le général de Gaulle m’a fait, à ce moment-là, un peu plus prendre conscience de ce rôle et de cette présence. Mais aussi à travers des photos et de ce que pouvait me dire mon oncle. Plus lui que mon père, qui était plus discret la concernant pour des raisons diverses et variées. Mon oncle a tout le temps fait des efforts ou fait le travail de mémoire en m’en parlant. D’ailleurs, il me parlait plus d’elle, qu’elle ne parlait d’elle-même. Lorsque j’allais la voir chez elle, cela me paraissait normal de voir une vitrine remplie de coupes. Lorsque vous êtes enfant, vous ne percevez pas forcément l’importance des coupes pouvant se trouver à l’intérieur d’une vitrine. Petit à petit, les choses ont progressé. Aujourd’hui, du haut de mes 64 ans, je le perçois plus que lorsque j’avais 60 ans et encore plus que lorsque j’avais 50 ans… C’est monté crescendo.

Vous parlez de photos. Aujourd’hui, en possédez-vous d’elle ? Avez-vous des objets d’elle ?

Au niveau des objets, j’ai très très peu de choses. J’ai récupéré une valise qu’elle a utilisée lors de ses différents déplacements. Une valise dans laquelle il y a deux lettres qui sont peintes à l’extérieur avec l’annotation FF, correspondant à Fayçal Fouad, qui était l’un des membres de la famille du roi d’Égypte, à cette époque-là. Il a été un personnage relativement proche de ma grand-mère, de mon oncle et de mon père. Mon père était très content de l’avoir connu et d’avoir Faycal Fouad à ses côtés à des moments pas forcément faciles. J’ai donc retrouvé cette valise et j’ai désormais cette valise chez moi. Sinon, mon oncle avait gardé des médailles de ma grand-mère, comme la Légion d’honneur, qui sont dans la propriété familiale. Au-delà de ces objets, j’ai récupéré un peu par hasard, un dossier qui était chez mon oncle au moment de son décès, où j’ai retrouvé des plaques, des photos et ses ordres de mission lorsqu’elle était à Londres.

Le 22 novembre 2017, le conseil de Paris a adopté le vœu de nommer le court semi-enterré du jardin des Serres d’Auteuil, court Simonne-Mathieu. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

Il faut que je vous raconte une toute petite histoire à ce sujet. Mon oncle (Maurice Mathieu) était très attaché à la mémoire de sa mère. Il avait été en contact avec le président Philippe Chatrier (de la FFT, de 1973 à 1993), qui était un très grand admirateur de ma grand-mère. Il avait prévu de faire quelque chose liée à ma grand-mère, au sein du stade Roland-Garros. Comme vous le savez, il est parti relativement vite (décédé le 22 juin 2000), puis cela ne s’est pas fait. Mon oncle avait cherché à prendre contact avec son successeur, à deux ou trois reprises, sans aucun succès. Mon oncle, commençant à fatiguer, m’avait demandé de s’occuper de cela. Je lui avais alors dit : « Je veux bien m’en occuper, lorsque j’aurai un plus de temps, au moment de la retraite ». Le jour où je suis parti à la retraite ou quelques jours après, je me suis fendu d’un courrier au président de la FFT, de l’époque, en évoquant l’éventualité de nommer l’une des portes du stade, Simonne-Mathieu en hommage à sa carrière. Une idée que mon oncle m’avait donnée. Ce courrier était resté sans réponse. Quelques mois plus tard, j’avais envoyé à nouveau ce courrier. Par la suite j’ai lu dans la presse que le président de la FFT venait de changer. J’ai repris ma plume, pour renouveler ma demande. À ma surprise, quelques semaines plus tard, j’ai eu un appel de M Bernard Giudicelli, me précisant : « J’ai bien reçu votre courrier, nous avons l’intention de faire quelque chose, on revient vers vous un peu plus tard ». Effectivement, il est revenu vers moi un peu plus tard, pour m’informer de leur réflexion sur la possibilité de nommer le court du jardin des Serres d’Auteuil, court Simonne-Mathieu. C’était une grande surprise et une très grande joie. Lors d’une réunion, organisée à la Fédération française de tennis, mon oncle était excessivement touché par cette nouvelle. J’étais très content pour mon oncle, à qui je tenais beaucoup, qu’il ait pu avoir ce plaisir, dans ces dernières années, de voir que ces actions avaient fini par aboutir.

Avant tout cela, « seule » la coupe des gagnantes du double dames à Roland-Garros avait été nommée coupe Simonne-Mathieu, en hommage à sa carrière. Peut-on dire qu’elle a été pendant longtemps oubliée ?

Oui, on peut dire cela… Je ne sais pas comment comprendre ou expliquer pourquoi elle a été pendant si longtemps oubliée. J’ai malgré tout quelques idées, qui sont personnelles. Je pense que c’était une femme qui dérangeait quelque part. J’ai tendance à penser que c’était une féministe avant l’heure. Là où elle est passée, elle a laissé des marques très positives, mais des gens ont pu se dire : « Oulalala, c’est quelqu’un de ne pas facile ». Je pense que certains, je dis bien certains, ont préféré oublier, que de se frotter à elle, avec tout ce que cela peut comporter. Encore une fois, je vous dis, Philippe Chatrier avait l’intention de faire quelque chose… Les choses ont évolué différemment.

Aujourd’hui, que représente-t-elle pour vous et vos descendants ?

Elle représente une grande fierté d’avoir une grand-mère comme elle. Elle représente aussi beaucoup de choses, pour moi, dans l’époque où nous vivons. J’ai tendance à dire que c’est un exemple au-delà du tennis et de la résistance. Je pense que c’est un exemple de ce que chacun, dans la mesure du possible, devrait faire ou pourrait faire. Si l’on revient sur la genèse même de ses débuts dans le tennis, il faut savoir que lorsqu’elle a commencé à jouer c’est parce qu’elle était d’une santé fragile. C’est comme cela qu’elle est arrivée au tennis. Malgré sa santé fragile, elle a fait beaucoup d’efforts pour atteindre le niveau qui était le sien. Concernant ma famille, j’essaie de mener des actions pour que mes enfants et mes petits-enfants, prennent conscience, et qu’ils s’approprient, toute l’histoire de leur arrière-grand-mère ou arrière-arrière-grand-mère. C’est aussi un exemple qui pourrait leur être utile plus tard. C’est pour cela que je les associe tous et je fais en sorte qu’ils aient des photos et qu’ils soient au courant de tout ce qui se passe. Ils prennent ainsi encore plus conscience, de tout ce qui est fait et de qui était cette super arrière-grand-mère ou arrière-arrière-grand-mère !

Propos recueillis par E-A, lors d’un entretien téléphonique réalisé le 15 mars 2019.