Simonne Mathieu, l’héroïne enfin honorée

Simonne Mathieu, l’héroïne enfin honorée

25 mai 2019 Non Par SoTennis

Championne dans les années 1930, bardée de treize titres en Grand Chelem, c’est aussi sans sa raquette que Simonne Mathieu s’est illustrée. Reconnue, puis longtemps oubliée, celle qui n’a jamais admis la défaite sur un court et le fichu caractère qu’on lui connaît, lui a souvent permis de la repousser. Trente-neuf ans après son décès, elle retrouve, enfin, la place qu’elle mérite.

Simonne Emma Henriette Passemard, née le 31 janvier 1908, à Neuilly-sur-Seine. Issue de la grande bourgeoisie parisienne, sa santé fragile l’amène à pratiquer une activité physique régulière. Encouragée par son frère, Pierre, jeune espoir est licencié au Stade Français, elle débute le tennis à l’âge de 12 ans. En 1923, elle se fait remarquer en remportant au Racing Club de France, le Prix d’Automne. Deux ans plus tard, après un nouveau titre aux Championnats de France Juniors, elle passe en première série. À 17 ans, elle se marie avec René Mathieu, fils de l’un des fondateurs du Stade Français, journaliste, créateur de la revue Smash et président de la Commission Presse et Propagande de la Fédération française de tennis. Un nom que Simonne s’apprête à illustrer sur tous les terrains du monde. En 1926, la jeune mariée de 18 ans remporte le titre de championne de France juniors. On voit en elle alors la prochaine Suzanne Lenglen, qui est à l’époque au sommet de son art. Mais sa vie et sa carrière n’ont que peu de points communs avec la divine.

Simonne Mathieu et Suzanne Lenglen en 1926Simonne Mathieu et Suzanne Lenglen en 1926 / ©bnf

Simonne Mathieu en 1926 / ©bnf


Côté court

À l’âge de 20 ans, Simonne Mathieu devient n°1 française. Elle le restera jusqu’en 1938. Son jeu sans faille et sa farouche volonté, font d’elle une redoutable compétitrice. C’est du fond du court qu’elle construit ses victoires. Comme à Roland-Garros, où elle s’impose, enfin, en 1938 et 1939. Avant ces succès, Simonne Mathieu s’est longtemps demandé si elle n’était pas tout simplement maudite, sur l’ocre parisien. Entre 1929 et 1937, elle connut pas moins de six défaites en finale. Mais son opiniâtreté est enfin récompensée, lorsqu’elle parvient en 1938, en l’absence d’Hilde Sperling, à atteindre son objectif, soulever la coupe de la gagnante du simple dames. En finale, sous les yeux de Marlene Dietrich, elle domine sa compatriote Nelly Landry, une jeune joueuse belge, naturalisée française suite à son mariage. Le coup droit dévastateur de Simonne Mathieu, endigue rapidement les velléités de Landry, qui ne peut développer son jeu à la volée. La Parisienne l’emporte sur le score de 6-0, 6-3 et s’adjuge en plus du simple dames, le double dames et le double mixte, avec comme partenaire Yvon Petra. Entre 1933 et 1939, elle remporte 10 titres à Roland-Garros dans les catégories du simple, du double et du double mixte. Outre ses performances porte d’Auteuil, elle intègre également à six reprises le dernier carré de Wimbledon (en 1930, 1931, 1932, 1934, 1936 et 1937) et parvient à se classer à la troisième place mondiale. Après la naissance de ces deux fils en 1927 (Jean-Pierre) et 1928 (Maurice), Simonne Mathieu continue à sillonner le monde, à une époque où les femmes n’ont toujours pas le droit de vote et où elles restent, en France, politiquement et socialement mineures toutes leurs vies.

Simonne Mathieu en 1937 avec ses deux fils, Jean-Pierre et Maurice / ©BertrandMathieu

Au fil de ses voyages, loin de sa vie de famille, elle s’impose en Égypte, aux Pays-Bas, en Grèce, en Belgique, en Suisse, en Asie centrale, où, notamment, son fichu caractère s’illustre. Comme en 1939, où en finale du tournoi de Monte-Carlo, une erreur d’arbitrage, lui fait quitter le terrain.



Pour la patrie

Année où Simonne Mathieu part, au mois d’août, pour les États-Unis disputer les championnats d’Amérique. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, elle joue un tournoi à New-York. Elle décide aussitôt, alors qu’elle est en pleine ascension sportive, de rejoindre la France. Première escale l’Angleterre, elle choisit d’y rester, où elle s’engage dans l’Auxiliary Territorial Service, l’armée de terre féminine britannique, mettant, à 31 ans, sa carrière de joueuse, d’épouse et de mère entre parenthèses. Loin de son mari et de ses deux fils, Simonne Mathieu est conductrice, traductrice dans l’armée anglaise. Lorsque la France dépose les armes, elle est l’une des premières à répondre à l’appel du général de Gaulle. Simonne Mathieu, la féministe, s’affranchit des règles de la classe bourgeoise à laquelle elle est censée appartenir. Elle s’engage dans le combat des Forces Françaises Libres (FFL) et crée, à force de persévérance, à Londres, le 7 novembre 1940, le corps auxiliaire féminin (le AFAT). À Westminster House, elle recrute. Pour former cette unité, elle passe des annonces dans les journaux. Âgées de 18 à 45 ans, ces femmes servent dans les trois armes, comme interprètes, secouristes, ambulancière, agents secrets, médecins ou pilotes d’avion. Encore une fois, sa volonté et son énergie font des « merveilles ». Le 18 avril 1941, à Londres, une bombe s’écrase sur la caserne des femmes. Une volontaire meurt. Plusieurs sont blessées. Simonne, l’éclaireuse, accourt. Elle suscite l’admiration. Mais son franc-parler dérange tout comme sa vision de la condition féminine. Elle est remplacée.

Simonne Mathieu à Londres en 1944 / ©BertrandMathieu

En 1943, elle défile à Alger en compagnie du général de Gaulle, après avoir intégré le service du renseignement. C’est toujours derrière le képi du général qu’elle défile fièrement sur les Champs-Élysées, le 26 août 1944. Elle termine la guerre avec le grade de capitaine, bardée de décorations. Il est temps pour elle de retrouver, enfin, ses deux fils, Jean-Pierre et Maurice, qu’elle n’avait pas vu depuis près de quatre années et de fouler de nouveau les terrains de tennis en tant… qu’arbitre. En effet, le 17 septembre 1944, elle arbitre, habillée de son uniforme des FFL, le match entre Henri Cochet et Yvon Petra, célébrant la Libération à Roland-Garros. « On s’est peut-être un peu trop pressé de m’introniser juge-arbitre pour dimanche… Pensez donc, je ne saurais même plus compter les points ! » Déclare-t-elle avec humour. En 1945, Simonne Mathieu, se voit décerner la Légion d’honneur avec la citation suivante : ” Capitaine de l’armée féminine de terre. Officier féminin d’un grand patriotisme, a rallié la France libre dans les premiers jours, a été chargée de l’organisation d’un corps féminin, puis d’un service délicat. S’est parfaitement acquittée des fonctions qui lui étaient confiées, se dépensant sans compter. ” Une fois la guerre terminée, elle occupe, avec fermeté, le poste de capitaine de l’équipe de France féminine. Un rôle qu’elle remplit de 1949 à 1960 et intègre divers comités de la Fédération française de tennis. «  Elle était assez sévère comme capitaine, se souvient aujourd’hui, Françoise Dürr, gagnante de Roland-Garros en 1967. Il fallait être à l’heure au déjeuner, il fallait bien s’entraîner… Elle avait ses règles. Son fichu caractère n’était pas une légende, mais elle avait raison. Lors de mon premier match sous son capitanat, un France – Italie, à Aix-les-Bains, j’avais gagné mon match. Je débarquais d’Algérie et elle ne me connaissait pas. Après la rencontre, elle était venu vers moi pour me dire : « Vous êtes une jeune-fille avec de la tête et des jambes.» Petit à petit elle m’a suivie. Après ma victoire, en simple, à Roland-Garros, elle m’avait envoyé un message. Je pense qu’elle était quelque part dans le stade. » En juillet 1953, Simonne Mathieu présida la séance de clôture du deuxième congrès international féminin d’éducation physique, organisé sous la présidence du ministre de l’éducation nationale, M André Marie. En 1960, René Mathieu, son mari, qui a toujours soutenu son épouse, décède à Paris, à l’âge de soixante ans. La dernière apparition officielle de Simonne Mathieu en public eut lieu à Roland-Garros, le dimanche 11 juin 1978, lors de la cérémonie du cinquantenaire, où, tout sourire, sous les ovations du public, elle descendit sur le court Central à la tête de ses sœurs anciennes championnes des Internationaux de France de tennis. Les spectateurs ne savent pas que ce jour-là, cette grande dame souffrait déjà de la maladie qui devait l’emporter. Simonne Mathieu s’éteint le 7 janvier 1980, à l’âge de 71 ans. En 2006, elle est intronisée au Hall of Fame, tandis que le trophée des gagnantes du double dames à Roland-Garros, porte son nom. Trop longtemps oubliée, malgré les intentions non abouties du président Chatrier, d’honorer la mémoire de cette championne d’une autre trempe, Simonne Mathieu reste dans un relatif anonymat, la seule joueuse de classe internationale que la France ait connu entre Suzanne Lenglen et Françoise Dür. C’est finalement sous l’ère du président Giudicelli, que le souhait de Maurice Mathieu, de voir la mémoire de sa mère honorée, se voit exhausser. « Le président et moi-même avons attaché beaucoup d’importance à ce que Mme Simonne Mathieu soit honorée, dixit Marie-Christine Brochard, Vice-Présidente en charge de la Culture Tennis et du Développement durable à la FFT. Il y a beaucoup de grandes femmes qui sont devenues invisibles. Je pense que cela fait partie d’une forme d’éducation, de patrimoine que l’on doit transmettre. C’est une forme de respect et de gratitude vis-à-vis de ceux qui ont fait que nous avons ce stade Roland-Garros, aujourd’hui. » Le 22 novembre 2017, le Conseil de Paris adopte le vœu de nommer le court, semi-enterré, du jardin des Serres d’Auteuil, court Simonne-Mathieu, en hommage à cette femme d’exception. « Elle n’était pas tellement qu’une joueuse de tennis, c’est quelqu’un qui a combattu pour la patrie, pour les femmes, nous dit Françoise Dürr. Je pense que c’est une bonne figure féminine pour les femmes en général. C’est bien qu’on lui rend hommage comme cela à Roland-Garros. » Un court inauguré le 21 mars 2019, sous un ciel serein, en présence, notamment de l’ancien président de la République, M Nicolas Sarkozy, la Maire de Paris, Mme Anne Hidalgo, du président de la Fédération française de tennis, M Bernard Giudicelli et de trois de ses descendants.


À Simonne Mathieu, la France du tennis enfin reconnaissante.

E-A