Daniil Medvedev: «Le gamin qui rêvait n’est plus en moi»

Daniil Medvedev: «Le gamin qui rêvait n’est plus en moi»

30 janvier 2022 Non Par SoTennis

Après sa défaite en finale de l’Open d’Australie, Daniil Medvedev s’est lancé dans un long et touchant monologue en conférence de presse. Le Russe, a fait comprendre qu’il avait été particulièrement déçu du comportement d’une grande partie du public de la Rod Laver Arena.

C’est sûrement dur à analyser avez-vous discuté avec votre coach pour voir ce que vous auriez pu faire différemment durant ce match ?

On a parlé un peu en effet, mais cela va être une conférence de presse un peu nouvelle car je vais commencer par quelque chose de long ou court, je ne sais pas. Je vais essayer de faire court. L’histoire d’un gamin qui rêvait de faire de grandes choses en tennis. Depuis que j’ai commencé à l’âge de six ans, le temps est passé vite. À 12 ans, je m’entraînais, je jouais des tournois en Russie, je regardais bien sûr les Grands Chelems à la télé, les grandes stars, les encouragements des fans…
Je rêvais d’être là à mon tour. Puis j’ai commencé à disputer des tournois de jeunes en Europe, je me souviens d’avoir fait les Jeux Olympiques de la jeunesse, où je suis allé en finale, c’était cool. Il y avait un court central, il y avait peut-être 1 000 personnes, 2 000. C’était vraiment sympa, incroyable d’être là. Ce sont des moments où on rêve des plus grandes scènes.
Puis il y a la période des juniors où on peut voir les pros de plus près pendant les Grands Chelems. À l’US Open, on prend les repas avec eux. Il y a des gens dans le public qui vous encouragent alors qu’ils ne savent probablement pas qui vous êtes mais ils suivent les juniors. Ce sont des grands moments pendant lesquels on se dit qu’on rêve de jouer ces Grands Chelems avec les meilleurs du monde. Je me souviens être allé à l’US Open, avoir croisé John Isner, je me disais ouah, il est tellement grand, plus grand qu’à la télé. C’était sympa.
Puis viennent les Futures, les Challengers, on essaye de progresser. On joue des tournois de plus en plus importants. Il y a eu des moments durant ma carrière où le gamin s’est demandé s’il devait continuer à rêver de ces grandes choses ou pas. Je me souviens d’avoir perdu deux matches vraiment durs à Roland-Garros, et je parlais français. Le premier contre Benjamin Bonzi (ndlr: à Roland-Garros en 2017) qui doit être top 100 maintenant (il est 63e). Si je ne me trompe pas, il y avait un journaliste russe dans la salle de presse. Je me disais : « Vraiment ? C’est pourtant un Grand Chelem… » J’étais tout près du top 50, encore assez jeune, je me disais que c’était surprenant. J’ai donc parlé avec ce journaliste russe pendant cinq minutes, parce que j’aime bien parler avec les journalistes.
Je me souviens ensuite d’avoir perdu contre Pierre-Hugues Herbert (ndlr: au 1er tour de Roland-Garros en 2019) après un match incroyable (ndlr en cinq sets). Il avait super bien joué, c’est ce que j’aime dans le tennis. Je n’étais pas loin du top 10, je suis arrivé en salle de presse, j’étais un peu frustré à cause du public et de tout un tas de choses. J’avais envie de faire court et de ne répondre que par deux mots. Il y avait un journaliste italien qui me posait des questions auxquelles je répondais par deux mots, pas plus. Il y avait des Russes qui me demandaient des trucs. Encore une fois, le gamin que j’étais se demandait s’il devait encore rêver de grandes choses.
Je ne vais pas vous expliquer pourquoi exactement, mais pendant le match aujourd’hui, j’ai compris que pour moi jouer au tennis, c’est de l’amusement. Je parlais des journalistes, mais j’aime vraiment m’adresser à vous, ça se voit. Ce n’est pas la question. Je vous parle juste des moments où les enfants arrêtent de rêver et aujourd’hui, c’était mon cas. Je ne vais pas vous dire pourquoi. Jusqu’à présent, je joue pour moi, ma famille, pour subvenir à ses besoins, pour les gens qui me font confiance, aussi pour les Russes, parce que je ressens beaucoup de soutien de leur part. Je vais vous le dire de cette façon : s’il y avait un tournoi sur dur à Moscou avant Roland-Garros ou Wimbledon, je le jouerais quitte à louper Roland-Garros ou Wimbledon. Le gamin a cessé de rêver. Il va jouer pour lui-même. C’est tout, c’est mon histoire, merci de m’avoir écouté. Maintenant, j’écoute vos questions sur le tennis ou autre. Mais ne vais pas répondre à des questions sur ce que je viens de vous dire (sourire).

Que ressentez-vous désormais ?

Si on parle de tennis, je ne suis pas si déçu. C’était un math énorme. Bien sûr, il y a quelques petits points, quelques détails où j’aurais pu mieux faire pour gagner. Mais c’est le tennis, c’est la vie. C’était un match incroyable, Rafa a joué à un niveau surréel, il a hissé son niveau de jeu à deux sets zéro. Dans le cinquième, j’étais là à me dire de le faire courir, mais il était très fort, la manière dont il a joué après quatre heures ça m’a vraiment surpris. Mais on sait comment Rafa est capable de jouer. Il s’est arrêté pendant six mois, il m’a dit après le match qu’il ne s’était pas beaucoup entraîné, c’est dingue. Mais tennistiquement je n’ai pas trop de regrets, je vais continuer à faire de mon mieux, oui je vais même travailler encore plus, pour être un champion de ces grands tournois.

Est-ce que c’est le public qui vous a déçu ?

Je ne vais pas répondre à des questions sur cette histoire (sourires). Je vais juste vous donner un petit exemple. Avant le service de Rafa, même dans le cinquième, quand un spectateur criait, ce qui me surprenait, “Allez Daniil”, mille personnes réclamaient le silence, mais avant mon service, je n’ai pas entendu ça. C’est décevant. C’est un manque de respect. Je ne suis pas certain de vouloir continuer le tennis après 30 ans (ndlr: il aura 26 ans le 11 février prochain). On va voir ce que va me dire mon entourage, comment on va traverser ce moment tous ensemble, mais encore une fois, le gamin qui rêvait n’est plus en moi après cette journée. Ce sera compliqué de continuer le tennis dans ces conditions.

Propos recueillis par E-A