Constant Lestienne : «Ma carrière, elle s’est jouée là-dessus»

Constant Lestienne : «Ma carrière, elle s’est jouée là-dessus»

3 août 2023 Non Par SoTennis

Après une saison 2022 où il a enchaîné les tours et les victoires, Constant Lestienne a vu sa progression se heurter, à nouveau, au rythme des blessures. Patient, c’est à 30 ans que l’Amiénois a, enfin, pu pleinement s’accomplir raquette en main. Aujourd’hui, plus que jamais, le Français savoure son métier.

L’an dernier, pour la première fois de votre carrière, vous avez disputé une saison sans être blessé. Depuis le début de l’année, vous enchaînez les pépins physiques. Comment gérez-vous cet aspect-là ?

Pour être honnête, c’est très compliqué. Il n’y a rien de pire. Je préfère perdre un match en étant nul que plutôt me blesser et ne pas pouvoir jouer ou défendre mes chances. C’est compliqué parce que ça casse le rythme de la confiance. On repart de zéro, il faut aller rechercher des victoires, on perd des places au classement… Mais j’ai eu l’habitude au cours de ma carrière d’être beaucoup blessé, donc je ne vais pas dire que je trouve ça normal, mais c’était sûr que ça allait à un moment être plus compliqué physiquement, avec le calendrier et tous les matches qu’on fait, les jet-lags, les changements de surface, de continent et tout ça. Donc je fais le maximum pour essayer d’être bien physiquement, de ne pas avoir de blessure. Mais quand ça arrive, on est tributaire de ça et il faut accepter et repartir au travail pour pouvoir mettre ça derrière soi.

Est-ce plus simple aujourd’hui de “négocier” avec vous-même où ce sentiment reste identique ?

Non, non, c’est le même sentiment.

L’an dernier, vous avez intégré le Top 100, pour la première fois de votre carrière, à 30 ans, vous avez gagné des titres en Challenger… Quel regard portez-vous, sur votre chemin, pour arriver à ce niveau-là ?

Pour moi, ma carrière, elle s’est jouée là-dessus. Sur les blessures. L’an dernier, c’est très simple ! J’ai fait une année pleine, sans blessures, je suis passé entre les gouttes. J’ai réussi à faire une année presque entière. Ça m’a aidé forcément à monter au classement. Je pense, aussi, que mon niveau de jeu était bon.

Aujourd’hui, avec l’expérience qui est la vôtre, quelle est votre gestion de l’aspect physique ?

Tout d’abord, là, aujourd’hui, je suis très bien physiquement. Je n’ai pas de pépins, donc je continue à renforcer mon corps. J’essaie de faire beaucoup de travail de gym, de protocole de renforcement des muscles qui ont été un peu touchés pour pouvoir durer dans le temps et encaisser les tournois à la suite.

Avec votre jeu, vous emmenez votre adversaire là où vous avez envie de l’emmener en racontant, sur le court, « une histoire ». Est-ce que vous vous voyez comme ça ?

Je sais que j’ai un jeu assez atypique, avec une panoplie de coups assez divers. Après, il faut bien savoir les utiliser et parfois, ça peut même me jouer des tours, sans jeu de mots. Je suis content de mon identité de jeu qui n’est pas comme tout le monde.

À partir de quel moment vous l’avez travaillé cette identité de jeu ?

Je n’ai jamais travaillé cette identité de jeu. C’est à l’instinct. En étant jeune, je n’ai pas bougé, je ne me suis pas beaucoup entraîné, je n’ai pas suivi de structure fédérale, donc je me suis bâti un peu mon propre jeu, à l’instinct et cela fait le joueur que je suis aujourd’hui.

En début d’année, vous avez remporté votre premier match en Grand Chelem à l’Open d’Australie, il y a quelques semaines, vous avez disputé Roland-Garros, puis Wimbledon. Désormais, cet aspect-là du Grand Chelem, comment vous l’abordez ?

Vu ma carrière, je savoure. Quand j’arrive là, j’essaie de me dire que j’ai une chance de dingue d’avoir pu toucher à ces tournois-là en fin de carrière comme c’est en train de m’arriver. Mon objectif, c’est de gagner les matches les uns après les autres. Je suis assez lucide pour savoir que je ne gagnerais peut-être pas un Grand Chelem, mais je savoure. Je suis content et reconnaissant de pouvoir jouer ces tournois-là.

Pour cette deuxième partie de saison, est-ce que vous avez un objectif particulier en tête ?

Mon objectif, ce serait de, déjà, rester dans le Top 100 pour pouvoir refaire le tableau de l’Open d’Australie (ndlr : au 31 juillet 2023 il occupait le 109e rang mondial). Voilà, ce serait ça mon objectif. Vu le début de saison compliqué que j’ai eu, si je pouvais fixer ça avec comme objectif…

En dehors du tennis, vous avez notamment comme centre d’intérêt la magie. Je ne vais pas être celui qui va être lourd, qui va encore une fois vous poser la question, mais malgré tout, d’où ça vous vient cette passion-là ?

J’étais passionné de magie, tout simplement. Puis à 24 ans, quand j’ai été longuement blessé, j’ai eu envie de découvrir un peu le milieu. J’ai rencontré à Paris des magiciens qui m’ont pris sous leur aile et qui m’ont appris la magie.

Le fait d’avoir une activité en dehors du tennis, c’est un grand bol d’air…

Ah oui ! Je recommande à tous les sportifs de haut niveau d’avoir un moyen de s’échapper, pour mentalement pouvoir couper de temps en temps, faire d’autres choses. Quand j’étais avec mes amis magiciens, justement, ils me regardaient comme un magicien et pas du tout comme un joueur de tennis. C’était hyper agréable. Ils me « jugeaient » comme un magicien, ils ne me regardaient pas comme un joueur de tennis. Alors qu’aujourd’hui, les gens me voient comme un joueur tennis.

Et ça vous amuse ça ?

Ce n’est pas que ça m’amuse, mais c’est assez sympa de couper et d’être un magicien et pas un joueur de tennis. Ça permet de s’évader.

Le sujet de la santé mentale est de plus en plus publiquement évoqué par les athlètes. De votre côté, comment le gérez-vous cet aspect-là ?

Je suis hyper heureux de mon métier. Le tennis, j’adore ça. Pour moi, ça reste un jeu. Donc en réalité, quand je fais ma valise pour aller en tournoi, je suis tout le temps hyper heureux. Après oui, c’est sûr, je vois des gens qui souffrent de partir loin de leur famille et tout ça. Après toutes les blessures que j’ai eues, j’ai l’impression que j’ai du temps à rattraper. Donc j’ai tout le temps envie de jouer et d’aller en tournoi. Donc sur ce côté là, la santé mentale va très bien.

Que vous inspire le fait que de joueurs classés au-delà de la 100e place mondiale, ne puissent, toujours, pas vivre de leur métier ?

Je pense que pour un sport qui est populaire comme le tennis, c’est dommage de voir qu’un joueur qui est classé 250ᵉ (ndlr : qui évolue principalement sur le circuit secondaire) soit à perte financièrement. Quand on compare justement avec les autres sports, au foot, au basket ou au golf… Oui, ça, c’est vraiment un combat, je trouve, qui vaut le coup d’être mis en avant, parce que je ne trouve pas ça normal.

Pourtant, il y a un conseil des joueurs… Cette voix-là, est-elle portée vers le circuit secondaire ?

Oui, oui, bien sûr. Il y a beaucoup de débats là-dessus entre les joueurs. Il y a une association qui a été mise en place qui s’appelle PTPA (syndicat de joueurs alternatif à l’ATP) et j’en fais partie. Je soutiens justement tout ce qui peut être mis en avant pour les joueurs de tennis, pour justement pousser le joueur de tennis en général à gagner mieux sa vie, à être mieux entouré.

Au cours de ces dernières années, il y a eu différentes évolutions en termes d’augmentation des dotations. Mais visiblement le compte n’y est pas. Qu’est-ce qui « bloque » ?

Je suis un peu en dehors de tout ça, mais je crois que c’est l’ATP qui a les rênes de tout cela, donc ils font un peu ce qu’ils veulent. C’est pour ça qu’un conseil des joueurs a été mis en place, pour que le joueur ait son mot à dire et qu’on ne subisse pas tout ce qui est forcément imposé.

Est-ce que ce syndicat (PTPA) est en liaison avec l’ATP ?

Oui, ils s’entendent très bien avec l’ATP. Les membres sont des joueurs. Il y a Novak Djokovic dedans, donc ça permet d’avoir du poids. Mais on parle. Enfin, j’imagine. Je dis on, parce que je m’inclus dedans, mais ce n’est pas moi qui gère tout ça. Nous, on est juste là pour donner notre accord. Mais il y a des joueurs au-devant avec Vasek Pospisil, qui font beaucoup d’efforts pour nous et on est super reconnaissant. Donc on est derrière eux. Je sais qu’ils parlent avec l’ATP pour mettre des choses en place et améliorer les rémunérations des joueurs. C’est pas du tout une guerre. Et l’ATP, je pense, serait aussi content de pouvoir faire vivre de son métier un joueur qui est classé à 400ᵉ mondial. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Dans les Futures, les prize money, les hôtels…Ce n’est pas ce que l’on espère.

Il y a ce sujet-là pour le circuit secondaire pour les hommes, mais côté Dames, il y a toujours un écart des dotations, sur le circuit principal (lors des tournois mixtes), hors Grands Chelems, La WTA a annoncé récemment qu’elle allait prendre des mesures pour réduire progressivement cet écart. Que vous inspire cet écart encore présent en 2023 entre les hommes et les femmes ?

J’ai pas du tout suivi. Je suis concentré sur le circuit masculin. C’est vrai que je vois passer des articles mais je n’y vais pas. J’espère vraiment pour les filles auront rapidement gain de cause et que cet écart ne soit plus présent lors d’un même tournoi.

Propos recueillis par E-A