Des ailes et un toit
21 septembre 2020Symbole du nouveau Roland-Garros, le court Philippe-Chatrier tient, enfin son toit rétractable, en forme d’aile. Didier Girardet, l’architecte de ce Central new-look, évoque sa conception, sa réalisation et les travaux, hors normes, qui sont toujours en cours, au sein de son jardin professionnel.
Le 5 février 2020, la 11e et dernière aile qui compose le toit rétractable du court Philippe-Chatrier a été posée, avec un mois d’avance. En tant qu’architecte de ce court Central, pour ce toit rétractable, avez-vous eu des contraintes imposées par votre maître d’ouvrage (la Fédération française de tennis) concernant la forme de cette couverture mobile?
La problématique était relativement simple. Il fallait concevoir un ouvrage qui soit tout d’abord efficace en termes de protection par rapport à la pluie et qui, en même temps, soit le plus léger possible en termes d’architecture et fiable en termes de fonctionnement. Mais aussi harmonieux par rapport au reste du bâtiment qui a été totalement remodelé. Pour ce projet de couverture, le cabinet Girardet (en charge de la conception générale du projet) s’est associé à l’architecte ingénieur Daniel Vaniche. Les premières études sur ce projet ont démarré en 2010. La réalisation d’un ouvrage de cet ordre-là, c’est dix années de travail. Pour la petite histoire, en 2007, 2008, la Fédération française de tennis avait organisé un concours d’architecte et d’ingénieur pour un projet qui consistait à réaliser un toit au-dessus du Central de l’époque, sans le modifier. À ce moment-là, avec Daniel Vanich, nous nous étions associés pour participer à ce concours. Nous avions eu l’idée d’ailes, qui se replient les unes sur les autres, vers la tribune Jacques-Brugnon. À cette époque-là, la FFT avait estimé que c’était notre projet qui était le meilleur, celui qui lui avait le plus convenu. Par la suite, les choses ont évolué. Plutôt d’ajouter uniquement ce toit, sur le Central, comme une sorte de parapluie, il a semblé beaucoup plus pertinent à tout le monde de moderniser également les gradins. Investir un toit aussi sophistiqué sur une construction qui commençait à devenir obsolète, par certains aspects, eut été une bêtise. Dans la foulée, ce qui a été décidé, c’est que ce ne serait pas seulement un toit qui serait ajouté, mais un remodelage complet de l’ensemble du bâtiment. L’originalité de ce projet, c’est que la partie mobile soit sur toute la largeur du bâtiment. Cela nous a amené à proposer des ailes qui font environ 110 mètres de long (ndlr : la toiture couvre une surface d’un hectare.) Lorsque le toit reste ouvert, la surface de jeu et les gradins restent à l’air libre. L’idée, c’est que les gradins restent au soleil. Il n’y a que les gradins situés sous la partie de la toiture repliée qui resteront à l’ombre.
Qui a conçu ces ailes?
La Fédération française de tennis a organisé un appel d’offres. Une offre a été proposée par un groupement Vinci et Cimolai, une entreprise italienne située près de Venise. Je caricature, mais Vinci s’occupait plus de la partie gros œuvre et finitions des locaux et Cimolai a été responsabilisée pour toute la partie ossature métallique. Pas seulement le toit, mais aussi les poteaux qui tiennent les gradins et le toit. Cimolai (ndlr : qui avait notamment conçu le toit du Louis Armstrong Stadium de l’US Open) est une entreprise très spécialisée dans les constructions à ossature métallique et mobile.
Avec son toit fermé, en cas de pluie, l’acoustique du court Philippe-Chatrier sera différente. Cette acoustique a-t-elle été modélisée et si oui comment?
Lorsqu’on travaille sur des projets complexes de cet ordre, on travaille toujours en équipe. C’est ce que l’on appelle une équipe de maîtrise d’œuvre. Lorsqu’on a constitué notre équipe pour travailler sur ce projet, au niveau de la conception, j’avais pensé à intégrer dans l’équipe Jean-Paul Lamoureux, que je connaissais, qui a un bureau d’études spécialisé dans l’accoustique. Il avait accepté de nous rejoindre. C’est ce bureau d’études qui a pris en charge les responsabilités pour que le confort acoustique à l’intérieur du court Central, avec son toit fermé, reste de qualité. C’est-à-dire proche d’un toit ouvert. À partir d’une modélisation en 3D du bâtiment, des simulations acoustiques ont pu être menées. Ensuite, nous avons réfléchi à la nature des matériaux à utiliser, en particulier des matériaux assez absorbants dans la partie inférieure de la toiture, côté gradins. De façon à ce que l’acoustique soit agréable. Le toit rétractable est composé d’acier et de toile. Une toile extrados et intrados. La toile intrados a été choisie pour avoir une qualité d’absorption acoustique. De plus, dans les parties métalliques, nous avons créé des caissons, à partir de laine de roche absorbante à l’intérieur, qui font aussi office d’absorbant. Lorsqu’on regarde le toit en dessous, la quasi-totalité de la surface, aussi bien le métal que la toile, a des qualités absorbantes, afin d’éviter une résonance et des phénomènes d’échos à l’intérieur. On va voir ce que ça va donner dans la pratique, car ce toit sera opérationnel pour cette édition 2020. On espère que ce sera aussi satisfaisant que les données théoriques. On est pressés de voir ce que cela donne à l’usage avec un beau match et, par la suite, 15 000 spectateurs dans les gradins.
Au-delà de ce toit rétractable, différents travaux étaient en cours au niveau de l’entresol du Central. Où en était-on avant que le confinement lié à la pandémie de la Covid-19 soit déclaré?
Pour l’édition 2019 du tournoi de Roland-Garros, nous avions deux objectifs. Nous avions mis en priorité les gradins puis les espaces destinés aux joueurs et les cabines TV et radio. Depuis juin dernier, les travaux avaient repris. Des travaux concernant des locaux complémentaires pour les joueurs, à destination des partenaires, des élus, du public et pour les médias avec un nouveau centre de presse). Le tout représente plus de 24 000 m² de locaux auxquels on peut ajouter près de 3 000 m² de terrasse. L’an dernier, il n’y avait qu’un peu plus du dixième de ces locaux qui était réalisé. Le reste est toujours en cours de réalisation et ils ne sont pas encore terminés. Nous avons été « interrompus » dans la dernière ligne droite. L’objectif était d’inaugurer tout cela lors de l’édition 2020, aux dates initiales, de Roland-Garros (24 mai – 7 juin 2020). Mais les problèmes liés à la pandémie de la Covid-19 ont commencé en mars. Nous étions à un mois, un mois et demi de la livraison, après 10 années de travail. Ce qui était un peu perturbant et frustrant. Le chantier est passé d’un effectif d’environ 700 ouvriers à, du jour au lendemain, environ 60. La problématique a consisté à faire en sorte que, malgré ce désastre sanitaire, les travaux ne s’arrêtent pas totalement. Lorsqu’on arrête des travaux, il faut veiller à ce que la sécurité du site soit assurée. Il y a eu à ce moment-là, courant mars, une forme de veille et de mise en sécurité du chantier. De ce fait, il n’y a jamais eu plus personne sur ce chantier. Toute une organisation s’est mise en place. Avec notamment la nomination, par la Fédération française de tennis, d’un référent Covid sur le chantier. Depuis, peu à peu, progressivement, le chantier a regagné en puissance. Actuellement, le chantier se poursuit avec un effectif (entre 200 et 300 personnes) qui n’est pas aussi important qu’au moment de l’interruption, car il y a des, nouvelles, règles sanitaires à respecter. L’objectif a éte de terminer ces travaux à la fin du mois de juillet courant août.
Le nouveau centre de presse est-il bien de plein-pied, doté d’une verrière?
Ce nouveau centre de presse, en pourcentage, c’est l’espace qui connaît la plus forte évolution en mètre carré. Sa superficie est de 3 800 m2. On l’a positionné au niveau de la tribune Jean-Borotra, mais pas du tout que dans les mêmes conditions qu’auparavant. Tout a été remodelé. Les espaces dédiés pour la presse écrite, les radios, les TV… Les accés pour les joueurs. Tout ceci a été repensé en étroite collaboration avec la Fédération française de tennis et des représentants des médias, sur la base d’un cahier des charges. Ce nouveau centre de presse est situé partiellement dans un rez-de-chaussé bas, plein Ouest qui est éclairé naturellement par des verrières, en particulier la salle de presse principale. Devant ce niveau semi-enterré il y a des patios. Son accés se fera depuis l’allée Suzanne-Lenglen par un large escalier. L’accés vers les gradins et les cabines TV et radio (tribune René-Lacoste) se fera via un escalier, avec vue sur le stade, et des ascenceurs déjà en fonctionnement l’an dernier.
Au matin du 8 juillet 2019, la destruction du mythique court n°1 avait débuté, dans le but de créer une esplanade végétale de plus d’un hectare. Un court dont l’un des architectes n’est autre que Claude Girardet (son père). (Le second architecte est Jean Lovera). En tant qu’architecte, quel fut votre sentiment, lors de cette destruction?
Cela a été mitigé. Pas parce que ce bâtiment avait été conçu et réalisé par mon père. Mitigé, parce que je crois, ce court n°1 avait l’affection d’une partie du public et des joueurs. Parce qu’il avait aussi la particularité d’être circulaire, en forme d’arène, avec une proximité très forte entre le joueur et les spectateurs. Je me suis dit « peut-être que l’on perd quelque chose ». Ceci dit, ce qu’à été réalisé par mon confrère Marc Mimram, dans le jardin des serres d’Auteuil, me plaît beaucoup et cela marche très bien. Ce court Simonne-Mathieu fait d’ailleurs à peu près la même jauge en termes de spectateurs (près de 5 000 pour le court Simonne-Mathieu, 3 803 pour le court n°1). Il ne faut pas trop céder à la nostalgie. Une chose est certaine, c’est que la démolition du court n°1 s’imposait pour donner toute sa pertinence au nouveau volume du court Philippe-Chatrier, car ce court a pris du poids et de la hauteur. Quand un bâtiment prend de la hauteur comme cela, ce que l’on a envie, c’est d’avoir du recul pour faire en sorte qu’il y ait l’équilibre entre ce qui est construit et pas construit. Le court n°1 aurait été trop proche du Central. Cette esplanade végétale, le jardin des Mousquetaires, est une très belle idée. Donc il faut savoir tourner la page. La conception de ce nouveau court Philippe-Chatrier telle qu’elle se présente maintenant n’était pas compatible avec la conservation du court n°1. C’est un bon choix de l’avoir démoli pour gagner de l’espace, pour prendre du recul et offrir de nouvelles perspectives. Sur cette esplanade, on pourra avoir, entre autres, une belle vue sur la façade Est du Central, haute de 30 mètres.
Lors de l’édition 2019 de Roland-Garros, vous êtes-vous rendu au stade, notamment sur le court Philippe-Chatrier?
C’est la première chose que j’ai faite et j’y suis allé à plusieurs reprises. En me positionnant dans de multiples endroits. Ce qui m’a intéressé, c’était de m’installer dans les gradins hauts, du court Philippe-Chatrier, pour voir comment cela se passer à ces endroits-là, car au bord du court, cela ne peut que bien se passer. J’ai été plutôt agréablement surpris. Lorsqu’on a travaillé sur le projet, nous avions veillé à plusieurs choses. L’une des premières a été les courbes de visibilité. De faire en sorte de ne pas être gêné – dans les gradins – par le spectateur qui est devant vous pour voir la surface de jeu. On avait veillé à faire en sorte également que même dans les angles (qui sont désormais pleins) que ce soit confortable et que le spectateur soit bien positionné. J’ai trouvé que c’était agréable. Il y a eu un retour très favorable, par rapport à tout cela, des spectateurs et des joueurs qui ont été assez séduits par la nouvelle ambiance que ce court propose. Cela m’a fait plaisir. J’y suis allé à des moments où il ne se passait rien de très spécial sur le plan sportif et à des moments où il y avait des matchs, pour sentir l’ambiance. Je crois que cela fonctionne.
En 2021, le stade Roland-Garros aura sa configuration finale, dix ans après la décision de la Fédération française de tennis de rester sur le site historique. Ce, nouveau, Roland-Garros, quelle place occupe-t-elle dans votre carrière?
Roland-Garros, c’est une grande partie de ma vie professionnelle. Le court n°1 a été inauguré en 1980. Il avait été imaginé par Jean Lovera et mon père (Claude Girardet). À cette époque-là, j’étais étudiant. Je me souviens que j’avais déjà un peu travaillé sur ce projet. Comme je m’intéressais beaucoup au sport, tout ce que mon père pouvait faire dans son job qui était autour du sport m’intéressais. Même lorsque j’étais lycéen, j’aimais accompagner mon père lorsqu’il avait des rendez-vous à Roland-Garros. On peut dire que j’ai grandi là-bas. J’ai appris beaucoup de choses. J’ai grandi aux côtés de personnes qui m’ont marqué. Des personnes que j’ai trouvées extraordinaires, qui m’ont fait confiance. Roland-Garros, c’est le jardin où j’ai grandi sur le plan professionnel. Je n’ai pas fait que ça, mais cela m’a enrichi pour faire d’autres choses. C’est une aventure assez extraordinaire qui a été vécue là-bas, où j’ai rencontré des joueurs avec qui je suis devenu ami, des élus, des journalistes… Peut-être plus tard, lorsque j’aurais plus de temps, j’aimerais retracer cette histoire à travers un livre, en m’appuyant sur les nombreuses archives de l’agence. J’ai encore mon père qui peut participer à certaines recherches, ce serait peut-être intéressant. Un jour… Il n’y a pas beaucoup d’exemples de cabinet d’architecte qui ont un suivi sur une durée aussi longue sur le même site. Parfois, c’est problématique, car on ne fait pas la même lorsqu’on a 20 ans qu’à 40 ans. Parce qu’on a mûri on a grandi, on a eu des expériences. Parfois, j’ai pu avoir des interrogations sur des choses que j’avais pensées il y a quelques années, en les voyant bien plus tard. Cela crée parfois des situations un peu étranges. Ce n’est pas un sentiment que j’ai eu sur des choses importantes, mais sur des détails, en architecture intérieure. Il y a 15 ou 20 ans on n’utilisait pas les mêmes matériaux qu’aujourd’hui. C’est plutôt dans ce domaine-là que j’ai eu ce sentiment. Mais j’ai toujours travaillé dans un excellent climat de confiance avec la Fédération française de tennis. Il faut toujours regarder devant soi et pas derrière. Il faut l’assumer. Ce n’est pas grave. Il ne faut jamais être trop sûr de soi dans ce métier. Néanmoins, je ne dirais pas cela du court Suzanne-Lenglen, qui a été inauguré en 1994. Pour cela, il a été conçu dans les années 1990. À ce moment-là, j’étais très jeune. Je trouve qu’il vieillit bien. Il a sa particularité au sein du stade, avec ses gradins courbes. Ce qui est commun à toutes les personnes que j’ai pu rencontrer à Roland-Garros, du chef d’entreprise en passant par l’ouvrier et l’ingénieur, il y a une attractivité très forte autour de cette appellation de Roland-Garros. J’ai eu des contacts extraordinaires avec des ouvriers sur le chantier de Roland-Garros. On voyait bien qu’ils avaient envie de faire un beau travail. Que cette motivation et que cette envie de faire du beau travail étaient liées à une sorte de fierté qui est spécifique à Roland-Garros.
Propos recueillis par E-A lors d’un entretien téléphonique réalisé le 13 mai 2020.