In The French

16 mai 2016 Non Par SoTennis

Comme l’avait fait William Klein, avec son cultissime « The French (1981) », Géraldine Maillet a posé sa caméra de réalisatrice dans l’arrière-cour de l’édition 2015 de Roland-Garros, pour y réaliser son documentaire « In The French (2015) ». Au programme, une immersion inédite et émouvante dans les coulisses, version troisième millénaire, du « French Open » où joueurs, spectateurs, médias, membres de l’organisation… sont décortiqués comme jamais. Avant sa diffusion sur France 2 le 21 mai 2016 à 15h50 (et en simultané dans l’enceinte de Roland-Garros), Géraldine Maillet évoque son film, avec générosité et passion.

In The French (2015), un film de Géraldine Maillet.

In The French (2015), un film de Géraldine Maillet.

Romancière, réalisatrice passionnée de football et de tennis… est-ce la bonne façon pour vous définir aujourd’hui?
Je suis une passionnée et je marche à l’instinct. J’ai toujours adoré écrire des histoires. Pour moi, l’écriture est un support, mais la réalisation en est un autre. C’est aussi une manière de capter son époque. J’ai toujours voulu d’écrire les choses, pour pouvoir capter mon époque. Je suis une passionnée de tennis depuis toujours. J’en ai fait beaucoup, j’adore ça, cela me passionne. Je trouve que c’est un sport totalement galvanisant, cela ne vaut pas le foot, mais c’est malgré tout pas mal.

Comme l’avait fait William Klein, avec The French (1981), vous avez plongé votre caméra de réalisatrice dans l’arrière-cour de l’édition 2015 de Roland-Garros, pour y réaliser un documentaire. Comment ce dernier est-il né?
J’ai voulu raconter mon époque à travers le tennis. C’est ça le projet. En janvier 2015, j’ai regardé avec mon compagnon, de nouveau le film de William Klein. Je lui ai dit qu’il faudrait faire la suite. Il m’a rétorqué de le faire. Cela me paraissait assez fou et en même temps très excitant. J’ai alors écrit une note d’intention à destination de la Fédération française de tennis, en me présentant et en expliquant mon projet. Je ne connaissais personne à la FFT. J’ai envoyé ces quelques lignes à la première adresse mail que j’ai trouvé dans leur organigramme. J’ai pu obtenir un rendez-vous le 18 janvier 2015. À cette occasion, on m’a dit : «de nos jours, le film de Klein ce n’est pas possible». Ce à quoi j’ai répondu : « je sais que c’est impossible, mais je vais le réaliser malgré tout». Dès lors, j’ai aussi pu compter sur le soutien de mon producteur Maxime Delauney et de Nolita Production.

Avez-vous eu l’occasion de rencontrer William Klein avant de réaliser «In the French» (2015)?
J’ai rencontré William Klein pour la première fois en 1998. À l’époque, j’étais à New York comme mannequin. En me rendant à un casting, je l’ai croisé dans la rue. À ce moment-là, il tournait un long-métrage (Le Messi ). C’est à cette occasion que j’ai sympathisé avec lui. Nous avions parlé de cinéma, il avait précisé qu’il était un passionné de tennis et m’avait conseillé de regarder «The French», que je ne connaissais pas. Par la suite, j’ai découvert ce film pour lequel j’ai eu un coup de foudre, car il avait filmé mes idoles, Bjorg, Vilas, Nastase, Evert, Navratilova, le jeune Noah (qui n’avait pas encore remporté le titre)… Après le visionnage de ce documentaire, j’ai poursuivi mon chemin de mannequin, puis j’ai écrit mes romans, avec toujours la même passion pour le tennis.

«Je me suis confrontée à un monde où la plupart des joueurs et des entraîneurs ne parlent pas»

Quelle place «The French» (1981), a-t-il occupé dans votre phase de réflexion, d’avant tournage?
L’idée, c’était d’avoir comme inspiration «The French» (1981), qui avait proposé pour l’époque une vision totalement novatrice d’un tournoi du Grand Chelem, mais sans faire la même chose. En 34 ans, le monde avait muté d’une manière folle et il était évident que je ne pouvais pas avoir la même proximité avec les joueurs. Il a fallu alors avoir deux apprentissages, à la fois l’excitation de faire ce projet-là, mais aussi le questionnement. Qu’elle va être ma réalité de tournage? Qu’est-ce que je vais pouvoir filmer d’intéressant? Comment raconter le tennis autrement? Ce sport est aujourd’hui si bien filmé par toutes les télévisions… William Klein avait eu le privilège d’avoir accès à tout. Nous étions dans un monde pas du tout «sécurisé», il allait dans les vestiaires, dans les salles de massage, il avait la parole du joueur, des entraîneurs… En ce qui me concerne, je me suis confrontée à un monde où la plupart des joueurs et des entraîneurs ne parlent pas.

Avez-vous eu des discussions en amont avec l’organisation du tournoi pour mieux connaître les lieux, ses us et coutumes… lorsqu’il est en mode «French Open»?
La préparation a été extraordinaire avec la FFT, qui est coproductrice du film. Elle s’est faite presque comme une grossesse. En plusieurs étapes, de manière très lente et très organisée. J’ai rencontré tous les chefs de poste, de la sécurité en passant par la logistique, des relations avec les médias… sans oublier le directeur du tournoi. Nous avons eu plusieurs réunions où j’ai évoqué mon projet, je les ai rassurés. Ils ont ainsi pu m’identifier tout comme mon projet et mon équipe. Ce fut très bien organisé en amont. Ils ont été séduits également par mon opiniâtreté, ainsi que par mon premier long-métrage (After) avec Julie Gayet et Raphaël Personnaz, qui leur avait beaucoup plu esthétiquement parlant. C’est à ce moment qu’ils se sont dit : «pourquoi pas, allons-y». Définitivement, la FFT m’a fait confiance.

Y a-t-il eu des endroits qui vous ont été refusés?
J’ai eu globalement accès à tout, aussi bien sur les courts que dans les couloirs, qu’au comité d’organisation… le tout d’une façon très privilégiée. En revanche, je n’ai pas eu accès aux vestiaires, aux salles de soins et aux joueurs, ce qui était le cas dans le film de Klein. Mais il ne fallait pas que je sois dans cette nostalgie-là. Aujourd’hui, ce n’est plus possible d’avoir une telle proximité. La question pour avoir accès à ces endroits, on ne peut même pas la poser. Malgré tout, avec persévérance, je suis partie à la rencontre des joueurs de 1981. Lorsqu’ils avaient compris ce que je souhaitais faire, ils ont été très généreux. Comme Yannick Noah, Virginia Ruzici, Ilie Nastase Björn Borg, qui furent très généreux. Tous ces champions m’ont accordé leur parole, comme ils l’avaient fait à William Klein. En ce qui concerne les joueurs actuels, j’ai pu suivre notamment Jo-Wilfried Tsonga, à qui j’ai beaucoup expliqué le projet. Il a été très disponible, pour des moments intimistes, comme lorsqu’il était dans la salle de musculation ou lors de sa séance de cryothérapie. Sinon, les autres, ce sont des acteurs du muet.

«Mon point de vue et mon regard n’étaient pas de filmer des matchs, mais l’ADN de Roland-Garros»

«Mon film était tributaire du degré de connivence, des intervenants» avait déclaré William Klein. Selon vous, les joueurs se sont-ils sentis concernés par ce que vous faisiez?
Je pense que mis à part Jo-Wilfried Tsonga, les autres joueurs ne l’ont même pas su. Peut-être que Benito Pérez Barbadillo (qui est en charge des relations avec la presse pour Rafael Nadal), que j’avais sollicité pour mon film, en a parlé succinctement à Rafael Nadal, car je l’avais suivi notamment à la Mairie de Paris lors de sa remise de la médaille de la ville et lors de ses matchs… il avait pu voir que ma façon de filmer, n’était pas le même processus qu’habituellement. Nicola Arzani (en charge des relations avec les médias pour l’ATP) avait évoqué mon travail à Stan Wawrinka. C’est ainsi qu’au lendemain de sa victoire, j’ai été la seule à le filmer dans la voiture le menant à une séance photo. Désormais, les joueurs sont très protégés.

Pour « The French » William Klein était accompagné de deux assistants (Nurith Aviv et Yann Le Masson). Ce fut-il le cas pour vous aussi?
Nous étions quatre à filmer en permanence un peu partout dans le stade. Pour ma part, j’avais une caméra d’un format plus petit, tel un appareil photo numérique, format 4k. Les autres avaient un vrai dispositif, avec caméra plus un preneur de son.

Est-il exact que vous avez choisi une caméra en Scope, pour tourner In The French?
Absolument, nous avons filmé sous le format 2.35 scope, car j’aime ce côté cinématographique. C’est un parti pris, car pour moi, le tennis est tellement bien filmé, que je ne pouvais pas vraiment me permettre de le filmer comme le font les diffuseurs qui retransmettent le tournoi, avec plusieurs caméras sur un même court. Il fallait que je trouve une autre identité. Mon point de vue et mon regard n’étaient pas de filmer des matchs, mais l’ADN de Roland-Garros, les coulisses et l’âme de cet événement.

«J’ai trouvé Rafael Nadal extrêmement authentique et sincère»

L’édition 2015 de Roland-Garros a été marquée par différents rebondissements. Faut-il une part de chance pour mettre en boîte l’inattendue?
Ce qui est « compliqué » dans un documentaire, c’est que vous écrivez votre histoire en direct. Il faut toujours essayer de filmer avec un point de vue, mais ce dernier se crée et s’invente presque au moment où la chose est en train de se passer. Vous avez des paramètres qui, malgré vos attentes et vos envies, vous poussent à vous adapter en permanence. Ce qui a été écrit ne va pas nécessairement se passer.
Par exemple, je devais suivre Virginia Ruzici en tant qu’ancienne gagnante de Roland-Garros et agent de Simona Halep. Malheureusement, en 2015, Simona s’était inclinée dès le deuxième tour. Obligatoirement cela devait être un destin, cela n’a pas pu l’être. De la même manière, je devais suivre Patrick Mouratoglou. Là coup de bol, Serena Williams va jusqu’à la fin et c’est son 20e titre du Grand Chelem. Dès le départ, je sais que je dois suivre Jo-Wilfried. Tsonga. Résultat, il fait un «Roland» extraordinaire. Un autre exemple, avec le quart de finale Nadal – Djokovic. Cela devait être l’événement. Dès le tirage au sort tout le monde l’attendait… finalement, ça a fait pschitt. Mais ce qui m’a intéressé, c’était qu’est-ce que cela a raconté. J’ai ainsi pu saisir des moments, qui racontent beaucoup plus de choses que le match en lui-même.

Êtes-vous parvenus à appréhender les émotions des joueurs?
J’ai vu des personnalités se détacher. J’ai eu un véritable coup de cœur pour Rafael Nadal. Je l’ai trouvé extrêmement authentique et sincère. Il ne jouait pas de rôle. Lorsqu’il s’adressait aux gens, il était vraiment gentil, ce n’était pas de la com’. Ce quart de finale face à Djokovic m’a beaucoup émue. Je pense que la manière dont je l’ai filmé va émouvoir les téléspectateurs. J’ai trouvé Novak Djokovic extraordinaire, très malin et très fort dans sa com’. J’ai été très touchée par le destin de Stan Wawrinka, que j’ai pu suivre. En revanche Roger Federer est resté inaccessible. Ce n’est pas simple de filmer quelqu’un lorsqu’il y a 15 bodguards autour de lui. Pour tout cela, j’ai été également aidé par Nicola Arzani, qui avait adoré le film de William Klein et qui avait compris l’intérêt de mon film pour le sport et pour le tennis. Il m’a régulièrement appelé pendant le tournoi pour suivre les joueurs de la nouvelle génération, comme Nick Kyrgios ou Borna Coric qui étaient un peu moins «protégés».

«À la fin du tournage, j’avais deux mois de rush»

Depuis « The French, les circuits WTA et ATP, ont énormément évolué. La communication semble désormais tout gérer. Avez-vous réussi à capter malgré tout de la spontanéité?
Je pense que j’ai donné au documentaire un côté plus humain. J’ai filmé à un moment, Kyrgios qui pète les plombs, ou encore une expression sur le visage de Nadal qui montre son engagement total, Djokovic lorsqu’il est assis sur sa chaise après sa défaite en finale… J’ai filmé à leur insu, ce qui est le propre d’un réalisateur. C’est comme cela que j’ai pu saisir quelques moments de vérité, quelques moments de grâce, sans pouvoir les maîtriser et non sans difficulté. J’ai pu avoir ces moments aussi avec les joueurs présents dans «The French» (1981), qui ont pu comparer leur époque à celle d’aujourd’hui.

Depuis «The French» le monde des médias a aussi énormément évolué, tout comme l’organisation du tournoi. Votre caméra s’est-elle également penchée sur ces aspects-là?
Le gros barnum télévisuel et radiophonique est mis en avant dans le film. Roland-Garros est avant tout un tournoi international, avec des journalistes qui viennent du monde entier pour couvrir cet événement. D’ailleurs, dans le film, on retrouve beaucoup d’anciens joueurs comme Chris Evert, Martina Navratilova, Mats Wilander, Jim Courier, qui sont désormais consultants pour certains diffuseurs anglo-saxons, ou encore Virginia Ruzici qui collabore pour Eurosport.

Géraldine Maillet et son équipe en plein travail dans les allées de Roland-Garros.

Géraldine Maillet et son équipe en plein travail dans les allées de Roland-Garros.

Pour ce genre de documentaire, le montage est-il aussi important que pour un film?
Il est beaucoup plus important. À la fin du tournage, j’avais deux mois de rush, car nous avions quatre caméras qui ont tourné en permanence pendant quinze jours. Je n’ai pas pu tout voir ce qui s’est passé, car parfois j’étais à un endroit et il y avait un membre de mon équipe qui filmait ailleurs, autre chose. J’ai donc découvert ces rushs. Il y a eu une part d’inconnue, parfois des déceptions, parfois des très bonnes surprises… Ce fut l’apprentissage des rushs. Du fait que tout ne s’est pas passé comme nous l’avions écrit en début de projet, il y a eu un important travail de réécriture au moment du montage. Heureusement que j’ai pu compter sur le soutien de mon monteur Francis Vesin, un passionné.

«Je suis très heureuse d’avoir réalisé un truc « impossible » et de l’avoir fait le mieux possible»

Combien de temps vous a pris ce montage?
Ce montage a duré près de 10 semaines, ce qui est déjà un rythme très soutenu. Aujourd’hui, le film fait 1h23 minutes, contrairement au film de William Klein dont la durée est d’un peu plus de 2h.

« In The French» (2015) aura-t-il une vie à l’international?
Je pense que ce film aura surtout une vie de festival, comme ce fut le cas pour celui de William Klein. En avril dernier il a d’ailleurs été sélectionné au festival «Focus On French Cinema» de New York. Ces deux films parlent vraiment de Paris. Pour moi, le tournoi de Roland-Garros c’est Paris, un tournoi intra-muros, le seul tournoi du Grand Chelem sur terre battue. La Fédération française de tennis détient les droits de ce film pour l’international. Ils adorent le film, ce qui a été ma première satisfaction.

« The French» (1981) est sorti en DVD en 2012. Est-ce l’un de vos souhaits de voir «In the French» être disponible sur ce support?
Mon rêve de voir ce film avoir une telle vie, notamment pour les passionnés, sera réalisé. Un coffret DVD comprenant le film de Klein (The French 1981) et le mien (In The French 2015) sera disponible dans les boutiques du stade pendant toute la quinzaine (et sur www.storerolandgarros.com). Cette partie « marketing » est entre les mains de bonnes personnes. Je suis surtout très heureuse d’avoir réalisé un truc « impossible » et de l’avoir fait le mieux possible.

Après la réalisation de ce documentaire, quel est votre vision du monde du tennis?
Indéniablement, j’ai trouvé que ces femmes et ces hommes étaient très charismatiques et très beaux à filmer. Je me suis régalée avec l’esthétique de tous ces gens-là. Je voulais aussi faire ce film, car je pense que nous vivons la plus grande époque du tennis depuis l’ère Borg – McEnroe. Les Djokovic, Murray, Federer, Wawrinka, Nadal… sont époustouflants. J’avais envie d’apporter de l’humanité dans ce sport qui est parfois un peu formaté, en tout cas certaines personnalités. Mais comme le dit Yannick Noah, désormais c’est le règlement qui veut cela. Mon film montre cela aussi, comme par exemple lorsque Kyrgios pète les plombs sur le terrain, les spectateurs sont en transe, il se passe alors un truc. On peut s’identifier. Comme le dit aussi Yannick Noah, sur le circuit, il y a toujours eu le méchant, le gentil, le coléreux, le show man… les spectateurs ont besoin aussi de cela. Je pense que parfois le tennis manque un peu de tout cela, mais ce n’est pas la faute des joueurs, c’est celle du règlement. Aujourd’hui, c’est un sport qui est énormément diffusé à la télévision. Il y a une certaine forme de rentabilité du match, qui exclut des discussions interminables avec l’arbitre comme celles de John McEnroe à l’époque.

Propos recueillis par E-A