Les passeurs d’émotions (1/4)

16 décembre 2014 Non Par SoTennis

Tout au long de l’année grâce à leurs articles, leurs commentaires, leurs photos, ils font vivre le tennis. Tels des passeurs d’émotions, ils permettent aux lecteurs, aux auditeurs, aux téléspectateurs, de les accompagner le temps d’une conférence de presse d’après-match, où sous le halos d’une salle d’interview, ils arrivent à glaner les confessions des champions. Ou encore dans l’antre sombre d’une tribune, d’où ils suivent avec attention, toute la dramaturgie que la petite balle jaune peut offrir. Christine Thomas grand reporter pour le journal l’Équipe, à la rubrique tennis, évoque avec passion son métier, et comment elle arrive à mettre dans ses articles, de la couleur aux mots.

Depuis quelques années vous couvrez notamment les tournois du Grand Chelem comme grand reporter pour le journal l’Équipe, mais comment une étudiante en école de commerce, devient-elle journaliste sportif?
Ce fut un long chemin. Dans le cadre de mes études à Toulouse, le journal l’Express avait lancé un concours national, qui avait pour but de réaliser un numéro spécial mettant en avant les régions de France, et qui proposait à la clé, un stage au sein de la rédaction. J’ai remporté ce concours, ce qui m’a permis de mettre un pied dans le monde du journalisme. Quelques années plus tard j’ai de nouveau remporté un concours, la bourse du talent de la fondation Hachette, à cette occasion j’ai rencontré le rédacteur en chef de l’équipe magazine qui m’a fait faire un premier papier. Tout ceci date de 1996. J’y suis resté pendant 15 ans, et depuis 3 ans je me concentre sur le tennis pour le journal l’Équipe.

Comment arrivez-vous à faire vivre le sport et en l’occurrence le tennis dans vos récits avec uniquement l’écrit?
Tout est dans le choix des mots pour y mettre de la couleur. Être sur le terrain est un privilège, la différence peut se faire par cet aspect là, pour y raconter ce que l’on voit, et pas uniquement narrer un score. C’est préciser où l’on est, ce que l’on ressent, ce que l’on entend, le spectacle qui nous est offert, qui est celui que tout le monde peut voir, et celui des « coulisses», et de choisir les mots pour décrire la situation là où le lecteur n’était pas. C’est une chose sur laquelle je m’applique à faire. Je n’oublie pas que je suis dans un endroit où certaines personnes ne sont pas. C’est à moi de raconter le plus de choses possible de ce que je suis en train de vivre. Il y a des ambiances palpables que l’on peut raconter, et le vocabulaire doit servir à cela, tout comme la construction des phrases et leur dynamisme. L’écrit reste une forme d’art à part, et la richesse de la langue française le permet.

«Avec 3 ans d’ancienneté dans le monde du tennis, j’ai encore des premières fois»

En mars dernier à l’occasion du tournoi d’Indian Wells via l’un de vos papiers vous aviez décrit l’ambiance, les installations de ce Masters 1000, et le public qui s’y rend. À partir de quel moment vous vient l’inspiration?
Tout d’abord il y a eu une commande de sujet de la part de mon rédacteur en chef. Le Masters 1000 d’Indian Wells est un tournoi très rare, car il se joue dans le désert de Californie. Son cadre exceptionnel est très apprécié par les joueurs. De par son éloignement, et du coût du déplacement, le fait d’y être présent est un privilège. J’entendais depuis de nombreuses années des témoignages très élogieux sur l’expérience vécue là-bas. J’ai alors profité d’être présente pour la première fois, pour y décrire ce lieu. Tout en suivant les matches, j’ai été encore plus attentive au bonheur des joueurs de jouer ce tournoi, avec un comportement très relax, car la saison débute à cette époque de l’année. Aux nombreuses fleurs qui ornent les allées, du vent du désert, au sable qui s’invite parfois sur les courts. De décrire le restaurant où journalistes et joueurs se côtoient, ce qui favorise une certaine forme de proximité. D’évoquer les bénévoles pour la plupart des retraités américains, qui sont tellement heureux d’être là qu’ils donnent une ambiance festive. Tout ceci est de l’observation. Avec 3 ans d’ancienneté dans le monde du tennis, j’ai encore des premières fois.

Lorsque vous couvrez un tournoi, notamment en Grand Chelem, la rédaction de vos articles nécessite-elle une préparation particulière avant que ne débute les matches?
La principale différence entre un Grand Chelem et un autre tournoi est sa durée, et de ce fait, il est nécessaire « d’économiser » son énergie car les journées peuvent être très longues. En Majeur, c’est plus délicat de préparer en amont, car il y a de nombreux joueurs français notamment en première semaine. Le rythme est très soutenu pour ne rien rater. Mais même dans un contexte où il faut « juste » donner les scores et raconter quel joueur a gagné et pourquoi, il est essentiel de faire la différence. Par la multiplicité des médias, il est obligatoire d’apporter une valeur ajoutée à l’article, pour satisfaire le lecteur.

Vous avez eu l’opportunité de couvrir le foot, le rugby et le cyclisme, avez-vous observé des différences dans la façon de traiter ces sports, par rapport au tennis?
Les sports d’équipe sont différents des sports individuels dans la façon de les traiter et de les observer. Les conditions météorologiques n’impactent pas de la même manière. En cas de pluie un match de rugby va se poursuivre, au tennis il s’arrêtera le temps de couvrir le court, ou de fermer le toit rétractable s’il en est équipé d’un. Les spectateurs n’interviennent pas de la même façon, les ambiances sont différentes, et le regard du journaliste sur la compétition l’est aussi, même si tout cela reste du sport.

«La pudeur est moins présente avec une femme pour un joueur, qu’avec un confrère masculin»

Selon vous le tennis est-il un sport « simple » à traiter, afin de retranscrire les émotions des joueurs, décrire les rebondissements d’un match…
Dans tous les cas il est nécessaire de comprendre ce qui se passe. Moins on a d’expérience et plus c’est compliqué. Avant de pouvoir bien analyser les joueurs, la meilleur tactique à adopter, il faut un certain temps. Personnellement j’ai le sentiment que j’ai encore beaucoup de choses à apprendre. Il est certain qu’il est plus simple de se concentrer sur deux joueurs sur un terrain, que sur deux équipes de foot ou de rugby. Mais la façon dont vous ferez parler les sportifs et leurs entraîneurs, fera la différence, car au final c’est eux qui savent. Et j’apporte une attention particulière à les faire parler, à poser beaucoup de questions pour m’expliquer leur vision, leur ressenti.

Au-delà de votre professionnalisme et de votre expérience, pensez-vous que le fait d’être un femme favorise vos échanges avec les joueuses et les joueurs en particulier?
C’est possible dans le sens où j’ai l’impression que pour la plupart, ils ont tendance à un peu plus confier leurs émotions à une femme, mais tout ne se fait pas à travers les émotions. Je pense que sur ce plan là, la pudeur est moins présente avec une femme pour un joueur, qu’avec un confrère masculin. Dans ces conditions, le fait de l’être peut créer un lien,qui est présent le temps d’une interview, même s’il est provisoire, ce qui peut être intéressant. C’est d’ailleurs ce qui peut être constaté dans la vie.

Quels conseils donneriez-vous à une personne souhaitant embrasser la même carrière que vous?
D’être tenace et d’y croire. De ne pas forcement écouter que notre conjoncture est difficile, qu’il n’y a pas de place, que c’est compliqué d’y arriver… même si tout cela est vrai. Mais il y a une place pour tout le monde, si vraiment on le veut. S’il y a vraiment un talent quel qu’il soit, et que la personne se sent à l’aise dans son domaine, que ce soit l’écriture, la vidéo… il faut le travailler, l’exposer, et ne pas lâcher l’affaire.

Propos recueillis par E-A