Lucas Féron, avec force et passion

Lucas Féron, avec force et passion

20 mai 2024 Non Par SoTennis

Féru de tennis et d’arbitrage, Lucas Féron était destiné à un bel avenir dans le monde qu’il s’était construit. Mais un jour de novembre 2022, sa vie a basculé. Victime d’une agression, à Poitiers, le jeune homme a passé un mois dans le coma. Après une haute lutte, il retrouve, à 29 ans, peu à peu sa place de juge de ligne, mais cette fois, dans un fauteuil roulant. L’histoire sensible, d’une vie d’après.

Quelle est votre histoire liée au tennis puis à l’arbitrage ?

J’ai commencé le tennis à l’âge de quatre ans. J’y ai toujours joué. Pour l’arbitrage, j’ai débuté cela un peu par hasard. J’avais arbitré, dans mon club à Poitiers, les qualifications des Petits As. D’ailleurs, pour la petite histoire, j’ai été initié à l’arbitrage par le père d’un arbitre qui a officié lors du match entre Stanislas Wawrinka et Bernabé Zapata Mirailles, au Challenger de Bordeaux (ndlr : entretien réalisé le 15 mai 2024 lors de ce tournoi).

Qu’est-ce qui vous a plu dans l’arbitrage ?

J’ai bien aimé, car j’étais rapidement indépendant. Je partais de la maison (familiale) pour aller vivre dans les hôtels. C’était aussi une autre manière de voir du tennis et de rentrer dans ce monde professionnel et d’observer tous ces joueurs pros. Cela amène aussi de la rigueur. Grâce à cela, j’ai aussi voyagé. Le monde de l’arbitrage est également le reflet de la société. C’est comme une grande entreprise avec des managers, les arbitres de chaise, les juges de ligne. Même si on dit que nous sommes tous pareils, les arbitres de chaise contrôlent le match et nous, nous sommes là pour juger les lignes.

C’est comme cela qu’en 2011, à l’âge de 15 ans, vous débarquez à Roland-Garros comme juge de ligne…

À l’époque, on pouvait l’être en tant que mineur. Désormais, ce n’est plus possible. C’était un grand bonheur d’être là, c’était plein de bonnes choses et de grandes émotions pour moi.

Dix ans plus tard vous devenez badge blanc…

Oui et c’est ce qui me permettait de vivre. Je partais en tournoi jusqu’à 35 semaines par an. En plus de juge de ligne, j’ai été arbitre de chaise comme lors des qualifications de Roland-Garros, mais aussi lors de pas mal de Challengers et de Futures (ndlr : catégories de tournoi sur le circuit ATP). Je me souviens que lors de l’édition 2021 de Roland-Garros où j’étais à nouveau juge de ligne, j’avais pu être sur le court lors de la demi-finale entre Rafael Nadal et Novak Djokovic. J’étais rentré pile au moment où Marc Maury (le speaker du court Philippe-Chatrier) disait au public qu’il pouvait rester pour assister à la fin du match malgré l’horaire (ndlr : à ce moment-là, un couvre-feu de 23 heures était en place en raison de la pandémie liée au Covid. Les organisateurs avaient obtenu une dérogation). Il y avait un très bon niveau de jeu et l’ambiance était folle.

Au-delà de cette passion, êtes-vous parvenu à poursuivre des études ?

L’arbitrage, surtout en ce moment, ce n’est pas trop notre avenir (ndlr : en 2025 sur le circuit ATP, les juges de ligne seront remplacés par un système d’arbitrage vidéo automatisé). J’ai toujours voulu faire des études, car je me suis dit que l’arbitrage, c’est bien, mais c’est compliqué de monter les échelons, surtout en France. Car il y a beaucoup de bons arbitres grâce à une super école de l’arbitrage. Le plus dur, c’est d’aller aux écoles pour passer les grades. Les études étaient pour m’assurer un bagage. C’est comme cela que je suis diplômé en Master en Sport business.

En novembre 2022, votre vie bascule. Acceptez-vous d’évoquer ce drame ?

C’est quelque chose de triste, qui malheureusement a changé le cours de ma vie (ndlr : victime d’une agression le 20 novembre 2022 à Poitiers, il passe à 27 ans plus d’un mois dans le coma et plus d’un an dans un centre de rééducation nantais). J’avoue qu’en parler, c’est… Enfin, je n’ai pas envie que l’on ne retienne que cela. Je dois dire que durant toute cette période, la Fédération française de tennis a été géniale, elle ne m’a jamais lâché.

Dans cette vie d’après, quel a été votre « processus » pour tenter de retrouver votre place comme juge de ligne, mais cette fois en fauteuil roulant ?

J’ai eu beaucoup de rééducation. Je me suis beaucoup entraîné avec les orthophonistes où j’étais à l’hôpital. Je criais « FAUTE ». Ils mettaient un décibelmètre pour jauger ma voix. Au Challenger de Bordeaux, c’était un super entraînement pour Roland-Garros, car c’étaient les réelles conditions. La terre battue, en extérieur.

Après ces longs mois de rééducation, vous avez pu l’an dernier retrouver le bonheur d’être sur un court comme juge de ligne…

J’ai la passion du tennis et de l’arbitrage. C’est un monde que j’aime beaucoup. Forcément, j’avais envie d’essayer de revenir. L’an dernier, la Fédération française de tennis m’avait invité à Roland-Garros. J’avais pu réaliser une rotation lors du tournoi des légendes. C’étaient des sensations incroyables. J’étais comme un enfant.

Vous vous apprêtez à retourner à Roland-Garros comme juge de ligne lors de l’édition 2024. Comment abordez-vous ce retour après avoir traversé cette épreuve ?

C’est un bonheur et une fierté de retrouver ces terrains. Je suis déjà content d’avoir remis une tenue de juge de ligne. Lors des tournois, nous avons la chance d’avoir de belles tenues et cela fait vraiment plaisir d’en porter une à nouveau. J’ai l’impression de revivre à nouveau ma passion. J’ai été très mal pendant un moment et là, j’ai l’impression de retrouver la vie. Et puis il y a toujours des gens pour m’aider. J’ai un entourage vraiment très proche avec beaucoup de bienveillance. La vie reprend !

Si vous aviez un message à délivrer auprès de personnes qui pourraient connaître des difficultés similaires, quel serait-il ?

Battez-vous. Ne lâchez jamais rien ! Il faut être fort dans la tête, un peu comme au tennis.

Propos recueillis par E-A le 15 mai 2024 au BNP PARIBAS PRIMROSE