Roland Garros statufié

Roland Garros statufié

25 mai 2021 Non Par SoTennis

Héros de l’aéronautique, mort pour la France en combat aérien en 1918, la veille de ses trente ans, Roland Garros a marqué son époque. Celui qui est passé à la postérité en étant associé au stade où sont organisés depuis 1928 les Internationaux de France de tennis, a désormais sa statue, en son sein. Caroline Brisset, l’artiste et sculptrice qui a pensé et réalisé cette sculpture monumentale, évoque son cheminement qui l’a menée à accomplir cet hommage.

Comment en êtes-vous arrivée à travailler le métal dans toutes ses formes et à réaliser des sculptures ?

Cela provient d’un véritable coup de cœur. À l’âge de 18 ans, je suis rentrée dans un atelier de forge. J’ai su à ce moment-là que c’était quelque chose qui m’appelait. J’ai suivi par la suite une formation en métallerie, ferronnerie, serrurerie. J’étais la seule femme parmi vingt bonhommes. Ensuite, j’ai été soudeuse, tout en continuant à dessiner, à modeler à faire de petites sculptures à côté de cela. Ce métier de soudeuse est un métier particulièrement éprouvant, notamment en tant que femme. Après quelques années, j’ai entrepris de reprendre mes études aux Beaux-Arts de Rennes, durant cinq ans. Assez rapidement, l’école m’a embauchée pour être monitrice de l’atelier pour encadrer les étudiants dans leurs projets. J’avais les clés de cet atelier et j’ai passé cinq ans à réaliser mes sculptures. C’est là que mon travail de sculpture a pris un tournant décisif. C’est là que j’ai commencé à vendre mes sculptures et à vivre de mon travail.

Pour vous, comment ce projet de statue monumentale de Roland Garros a-t-il débuté ?

L’architecte Jean Lovera (Ndlr : notamment à Roland-Garros du court n°1 avec Claude Girardet et de l’ancien CNE) m’a contactée, après m’avoir trouvée sur Internet, en me dévoilant le projet et en m’informant qu’il y avait d’autres artistes qui avaient été sollicités. À cette époque, j’habitais à Liège et je travaillais à la réalisation d’une sculpture monumentale pour cette ville. J’ai répondu à sa demande d’une manière spontanée, en mettant sur papier ce qui m’était venu à chaud. J’ai écrit une lettre d’intention, assez complète et j’ai ajouté quelques croquis que j’ai envoyés à la Fédération française de tennis. J’étais rapidement attachée à ce projet par rapport à mon histoire familiale, car mon grand-père, Léon Brisset, a été aviateur et il a fait partie de l’escadrille des Cigognes, comme M Garros. Pour moi, c’était un peu magique que l’on me propose cela sans que je l’aie cherché. C’était un peu la bonne aventure. La réponse a mis un certain temps à venir. Un jour de début 2020, j’ai reçu un mail me disant que j’avais été retenue. J’étais très surprise, car je ne m’y attendais pas du tout. C’est comme cela que l’histoire a commencé.

Dans les années 1990 le sculpteur italien Vito Tongiani avait réalisé les statues en bronze des Mousquetaires (Jean Borotra, Jacques Brugnon, Henri Cochet et René Lacoste) et de Suzanne Lenglen. Quel a été votre parti pris par rapport à cela  ?

J’ai plutôt choisi de ne pas me laisser influencer par ce qui avait déjà été fait. En réalité, je n’ai pas beaucoup regardé tout cela.

Pour cette sculpture monumentale de Roland Garros, quel a été votre processus créatif ?

Je fais toujours des croquis de manière instinctive, rapide, énergique et j’essaie de garder l’énergie et la fraîcheur de ces dessins à l’échelle monumentale. Les lignes ont été des barres de métal, les pleins des tôles. J’essaie de transposer le dessin au volume. Ce qui a été problématique, c’est que je n’avais jamais réalisé de ma vie quelque chose pour un espace public. Il y a dans ce cas des questions de sécurité, de prise au vent, qui n’étaient pas habituelles pour moi. J’ai fait donc appel à un ingénieur structure, car les calculs qui devaient être faits, j’étais incapable de les faire. J’ai eu la chance, la bonne étoile, peut-être mon grand-père qui m’a envoyée Lucien Giraud, qui a réussi à faire ces calculs en un temps record, et à me dépatouiller du fait que le premier ingénieur qui été intervenu m’avait lâchée. Le tout avec une qualité et une précision incroyable. Je ne le remercierai jamais assez.

Roland Garros dans son cockpit en 1913.

Pour la réalisation de cette sculpture monumentale, vous êtes-vous appuyée par exemple sur des photos de Roland Garros ?

Oui, complètement. Je me suis plus qu’imprégnée des photos. J’ai vécu avec ces photos durant plus de trois mois. Durant mon sommeil, je rêvais de ces photos (sourire). Il y a très peu de photos de Garros et elles ne sont pas d’excellente qualité. J’ai imprimé toutes ces photos. Elles étaient collées dans l’atelier, tout autour de moi durant la construction, et même sur la sculpture lors de sa création. En particulier lors de la réalisation du visage, que j’ai détruit et refait plusieurs fois. Je travaille le métal depuis très longtemps, mais l’inox, matériau utilisé pour cette sculpture monumentale, c’est très particulier, cela n’a pas les mêmes propriétés que l’acier. Il y avait cette contrainte-là qui a été compliquée pour moi, car cela n’a pas la même élasticité, cela n’a pas les mêmes réactions. Au niveau de l’expression du visage, cela a été à la fois un combat et une danse, car c’est quelque chose qui devient vivant, petit à petit. Parfois, j’avais honte de ce que j’avais fait, j’avais envie de le cacher. C’est très difficile de créer une forme dans l’espace. C’est une responsabilité, qui peut être parfois déroutante. J’avais parfois des moments où je perdais confiance, mais il fallait tenir et aller au bout. Le nez, la moustache, j’ai refait ces éléments au moins cinq, six fois. À partir du moment où j’ai trouvé le visage sympathique et que son expression m’a parlé, j’ai arrêté d’y toucher. Même s’il est imparfait, l’imperfection fait partie aussi de l’humain…

Y a-t-il une technique pour rendre visible une émotion sur un tel matériau ?

Cela passe beaucoup par l’énergie qui émane du personnage, plus que par la forme. Au bout d’un moment, je me suis arrêtée à m’attacher à la forme. J’ai essayé de m’imprégner un maximum des récits, de l’histoire du personnage, de son caractère. C’est un hommage que j’ai voulu lui rendre. Comme une peinture, chaque forme que l’on fait, c’est l’énergie que l’on y met dedans qui en émane, plus que sa forme à proprement parler.

Caroline Brisset dans les ateliers de Sudside à la Cité des arts de la rue à Marseille.

Pour cette statue monumentale, intitulée « The cloud kisser » qui a décidé du fait qu’elle soit dans cette posture ?

Dès le départ, il était prévu que cette sculpture monumentale soit implantée quelque part sur le parvis, de plain-pied. L’endroit n’était pas déterminé. Dans mes croquis, j’avais envie que Roland Garros est l’air d’être en vol. En lisant ses mémoires, il y a un passage très beau où il raconte son survol du Vésuve (Ndlr: premier pilote à traverser la Méditerranée, ces exploits lui ont valu le surnom de « l’homme qui flirte avec les nuages »). J’ai imaginé son visage, humble, admiratif et nostalgique, et ses émotions à la vision du paysage et de ce premier survole à cet endroit-là par un homme. J’avais envie pour cette statue qu’il ait ces expressions. Pour cela, la mettre de plain-pied, au milieu de l’espace, cela n’avait pas de sens. J’ai donc proposé de le poser sur le portique d’entrée, comme si c’était le prolongement de son cockpit. Comme si le stade était son avion. Je me suis un peu battue pour cette idée et pour convaincre. Cela a été écouté.

Caroline Brisset lors de l’installation sur le parvis de l’aviateur au stade Roland-Garros.©FFT

Où l’avez-vous conçu cette sculpture monumentale de Roland Garros ?

Je suis assez nomade. J’habite sur un bateau et j’ai beaucoup voyagé et changé d’atelier. J’habite depuis peu à Sète. Mon atelier, là-bas, est un atelier partagé. Je n’avais pas la place, de moyen de levage, pour réaliser la sculpture. Je ne savais pas où la faire jusqu’à deux trois semaines avant que ne débute la fabrication. On m’a proposé de la réaliser à Marseille dans les ateliers de Sudside à la Cité des arts de la rue, grâce à la compagnie de spectacle Générik Vapeur que j’ai pu connaître grâce à mon ami sculpteur et artificier Pedro Frémy, qui travaille avec eux. Il leur a expliqué mon projet et mon problème d’atelier. Ils m’ont alors proposé de la faire chez eux et ils m’ont accueilli comme une princesse.

Caroline Brisset dans les ateliers de Sudside à la Cité des arts de la rue à Marseille.©FFT

Quel est le poids de cette sculpture monumentale ?

Le poids, je l’ai appris le jour de l’installation (Ndlr :le jeudi 8 avril 2021 en présence entre autres de Gilles Moretton Président de la Fédération française de tennis) grâce au grutier, car avant cela, je n’avais pas de balance. Il m’a dit qu’elle faisait une tonne. Cette sculpture monumentale est composée uniquement en inox, car c’est un matériau qui ne rouille pas, qui a été sablé et microbillé pour éviter toute trace de rouille.

Cette sculpture a été dévoilée via un communiqué de la Fédération française de tennis le 12 avril 2021. Lors de son installation, quelle a été votre réaction de la voir ainsi, en place ?

J’ai été très très émue. C’était presque comme un accouchement. Un accomplissement en tout cas. J’ai beaucoup pensé à ma grand-mère qui était décédée quelques jours auparavant. À mon grand-père également décédé, mais qui m’a accompagnée durant toute la réalisation. J’ai eu une très grande pensée pour eux.

Aujourd’hui, quelle place occupe cette statue monumentale de Roland Garros dans votre carrière ?

Je ne sais pas encore. Je vois bien que cela a de l’importance. Jusqu’à présent, c’est la structure la plus importante que j’ai réalisée de part sa grande visibilité.

Avant ce projet, connaissiez-vous l’histoire de Roland Garros ?

Je connaissais un peu son histoire de part mon histoire familiale. J’ai grandi avec les récits de Saint-Exupéry. Quand j’étais enfant, je rêvais souvent d’être aviatrice. J’étais souvent la tête dans les nuages. Lorsque j’ai commencé mes recherches pour la réalisation de ce projet, j’étais encore en Belgique. J’avais été à la bibliothèque de Liège. J’avais demandé à la bibliothécaire des ouvrages au sujet de Roland Garros et l’aviation. La bibliothécaire m’avait demandé quel était le rapport… Parfois, les gens ne font pas le rapprochement. Je trouve que cela a été chouette de mettre en avant cet aspect-là et de saluer de la sorte, de façon pérenne la mémoire de cet homme extraordinaire.

Propos recueillis par E-A lors d’un entretien téléphonique réalisé le 14 avril 2021.