Nelson Monfort : «Je crois avoir établi avec le clan Nadal des relations très privilégiées»
22 mai 2024Figure connue et reconnue, Nelson Monfort s’apprête à couvrir son ultime Roland-Garros, dans le rôle qu’on lui connaît. Celui d’intervieweur pour France Télévisions. Avec style, l’incontournable journaliste polyglotte évoque ses souvenirs liés au Grand Chelem parisien et ses projets d’avenir.
Vous avez débuté à Roland-Garros en 1988. Dans quel état d’esprit étiez-vous lors de cette première fois?
J’étais dans un état d’excitation extraordinaire, car je savais ce que ce tournoi iconique représentait. J’étais un peu préparé par le fait que nous retransmettions deux mois avant l’Open de Monaco (ndlr : l’actuel Masters 1000 de Monte-Carlo) qui réunissait les mêmes joueurs, mais là, on avait passé la dimension supérieure. Je garde un souvenir enchanté de ces premières éditions.
Au fil des ans, avez-vous observé une évolution dans l’accès à la parole des joueuses et des joueurs ?
Aujourd’hui, il y a des barrières beaucoup plus importantes qu’elles ne l’étaient à mes débuts. Évidemment, cela a contribué à éloigner le joueur des médias et donc à l’éloigner par la même du public. Je ne veux pas paraître trop nostalgique en disant cela, mais je me souviens lorsque j’ai démarré, Steffi Graf et Andre Agassi dominaient le circuit. Je vous parle là de superstars du tennis. Et bien elle et lui étaient d’un abord total que ce soit dans les studios (d’interview), que nous n’avons plus, dans les allées, ou à fortiori sur le court. Je ne veux pas être le dernier des mohicans à m’en offusquer, mais c’est comme cela… Il y a effectivement aujourd’hui des barrières qui n’existaient pas, il y a plus de trente ans.
Notre époque peut être agressive. Même dans la manière d’interviewer. Pour passer l’émotion, vous avez opté pour un autre style…
Je suis l’inverse de l’agressivité pour une raison simple, c’est que je travaille pour des chaînes du service public, je m’adresse donc à un grand public. Ce grand public à horreur que l’on rentre dedans que l’on agresse les joueurs… Dans la vie, je déteste l’agressivité donc ce n’est certainement pas dans l’exercice de mes fonctions que je vais la mettre. Avant tout, je me mets à la place du public, parfois même du grand public et je me dis : « qu’est-ce que ce grand public voudrait savoir ? »
Les réponses, de ces joueuses et joueurs semblent, malgré tout, aujourd’hui plus policées…
Je pense même, et je ne dévoile pas un secret en disant cela, que les joueurs préféreraient sans doute se dispenser d’interviews tout court. Car ils peuvent communiquer, de la manière dont ils l’entendent sur leurs réseaux sociaux, que je nomme parfois fléaux sociaux. Alors qu’à mon micro… Je ne peux pas les trahir, car c’est du direct. Même avec moi, alors qu’ils me connaissent et savent que je ne vais pas leur rentrer dedans, ils préféreraient s’abstenir. En revanche, je sais que lorsqu’ils ont repéré un visage avec qui ils sont plus en confiance, ils vont vers ce visage-là. Ils n’aiment pas trop voir quelqu’un pour la première fois. Évidemment moi, ce n’est pas la première fois qu’ils me voient, donc ça m’a aussi pas mal facilité les choses.
Depuis 2005, à Roland-Garros, Rafael Nadal répond régulièrement à vos questions. Comment définiriez-vous cette relation ?
Récemment, j’ai été contacté par la production en charge du documentaire consacré à Rafael Nadal. C’est lui qui a demandé que j’intervienne dans ce documentaire. Je crois que j’ai établi avec lui une relation qui dépasse certainement le cadre de l’interviewer et l’interviewé. J’ai beaucoup sympathisé, à l’époque, avec son oncle Toni, qui fut son entraîneur de toujours, avant que Carlos Moya lui succède. Il se trouve que Toni est un passionné et un grand joueur d’échecs. Sans être un très grand joueur, je suis aussi passionné par ce sport intellectuel et nous avions beaucoup échangé là-dessus. Je me souviens très bien qu’il m’avait dit un jour : « finalement quand tu vois la diagonale du fou, au tennis cela peut être le jeu de Rafael. » Je crois avoir établi avec le clan Nadal des relations très privilégiées, qui me font dire que ce n’est pas un joueur comme les autres. Il y a sept ans, lorsque Rafael Nadal était au sommet du sommet, notamment sur terre battue, je me souviens avoir demandé à Toni si Rafael allait rester comme l’un des plus grands joueurs de l’histoire. Il m’avait répondu joliment et avec sincérité : « je ne sais pas quelle place il aura, mais je veux qu’il reste dans l’histoire comme un garçon bien. » Nous sommes en plein dedans, c’est un garçon très bien !
Nelson Monfort et Rafael Nadal court Philippe-Chatrier – Roland-Garros 30.05.2005. Photo : Antoine Fruges / Icon Sport via Getty Images.
Il vous arrive de vous retrouver en tribune pour mener auprès d’un entraîneur une interview, puis au bord d’un autre court pouvant être à l’opposé de là où vous étiez. Comment gérez-vous vos efforts lors d’une journée de Grand Chelem qui peut être longue ?
Déjà, en m’astreignant, qui n’est pas un sacrifice, un régime alimentaire, je pense qui ressemble à celui des joueurs. En ne buvant pas une goutte d’alcool pendant tout le tournoi, et même la semaine qui le précède. Je me sens très bien de faire cela. J’essaie d’avoir une hygiène de vie un peu comme la leur. Je pense qu’il y a une estime pour le joueur et une estime du public qui fait que j’essaye d’être le plus en forme possible, ça, c’est la première chose. Puis, la deuxième chose, naturellement, je suis évidemment de près les résultats des tournois sur terre battue. Tant pour les joueurs que pour le public. On n’arrive pas comme ça les mains dans les poches pour couvrir un tel événement. Je les suis professionnellement et avec passion.
Une journée type de Nelson Monfort à Roland-Garros cela ressemble à quoi ?
Il n’y a pas vraiment de journée type parce que ce sont les événements qui en disposent. Il y a des journées où je peux faire sept, huit interviews, puis il y a des jours où je peux en faire une ou deux. C’est en fonction de la fin des matchs, en fonction de nos horaires de retransmission, en fonction dont on se répartit les matchs avec Prime Vidéo… Et puis aussi, je réalise des interviews dans les allées, auprès de personnalités, je ne sais jamais (par avance) qui je vais rencontrer. C’est ainsi que j’ai pu, il y a quelques années croiser Sting ou encore Mike Tyson, tout cela est totalement spontané. Ce que je peux dire, c’est que pour ces personnalités, je crois n’avoir jamais essuyé de refus. Je crois que lorsqu’une personnalité vient à Roland-Garros ce n’est pas pour se cacher derrière un bonnet ou je ne sais quoi. Il n’y a donc pas de journée type, de routine et c’est très bien ainsi.
Parmi ces personnalités, il y a eu en 2001 Bill Clinton (président des États-Unis du 20 janvier 1993 au 20 janvier 2001) qui assistait au quart de finale entre Andre Agassi et Sébastien Grosjean. Comment étiez-vous parvenu à approcher un ancien président des États-Unis d’Amérique ?
C’était l’approche la plus difficile que je n’ai jamais eue. Il faut savoir qu’il était entouré de deux gardes du corps, dont un, il valait mieux être son ami… C’était par lui qu’il fallait passer pour accéder à Bill Clinton. Dans mon oreillette, j’entendais la rédaction en chef, qui disait, « ce serait bien de l’avoir (à l’antenne) », et le temps passé et le temps passé et il n’y avait toujours pas de Clinton. À un moment, je le vois se diriger vers les toilettes de la tribune présidentielle, là, je me dis : « c’est peut-être ma chance ». Je m’étais positionné juste à la sortie. Il s’était retrouvé face à la caméra, la lumière, il ne pouvait pas reculer, et comme c’est un pro, il avait répondu. Les propos étaient banals, mais c’était le fait de l’avoir (à l’antenne). Je vais vous faire une petite confidence, j’ai rencontré pas mal de chefs d’États en fonction, les propos sont souvent assez banals et ça j’en suis vraiment revenu. C’est souvent plus pour la forme que pour le fond.
Bill Clinton, Christian Bîmes et Nelson Monfort – Roland-Garros 06.06.2001. Photo : France Télévisions.
Tout au long de ces années, vous avez vu différentes générations de joueuses et joueurs arriver puis tirer leur révérence. Y a-t-il des champions qui vous ont marqué au point de figurer dans votre « Panthéon » ?
C’est vrai qu’avec Rafael Nadal j’ai créé une relation qui dépasse l’aspect professionnel. Dès le départ, ce joueur, j’ai trouvé qu’il avait quelque chose que n’avaient pas les autres, cette formidable dualité entre le « rock » qui peut être sur le court et la douceur, la gentillesse et le fair-play qu’il peut avoir dans la vie. Lorsqu’on fait, à Roland-Garros, un sondage auprès des ramasseurs de balles avec comme question : qui est le joueur le plus sympathique ? Rafael Nadal arrive en tête. Il y a une manière d’être avec les ramasseurs de balles. Il y a ceux qui pouvaient (ndlr : avant la pandémie) négligemment jeter leur serviette auprès du ramasseur et puis il y avait ceux qui le faisaient gentiment, poliment. Rafa est comme ça. Michael Chang était très apprécié par les ramasseurs, Stefan Edberg l’était aussi. J’avais un contact formidable avec eux tout comme avec Marat Safin que j’adorais. J’ai aussi une mention spéciale pour Gaël Monfils que j’apprécie depuis toujours. Il a grandi avec énormément de sympathie de gentillesse tout comme Richard Gasquet avec qui j’ai un rapport privilégié.
À une époque, en marge de Roland-Garros, la presse décernée le prix orange et le prix citron. Avez-vous rencontré, lors de vos interviews, des joueurs dont le comportement était plus âpre ?
À Roland-Garros, j’ai pu de temps en temps approcher le joueur allemand Boris Becker avec lequel le contact était un peu plus âpre. Après sa carrière, nous nous sommes « rabibochés ».
Sur le plan architectural, le stade Roland-Garros a énormément évolué au cours des récentes décennies. Est-ce que cela a eu un impact dans vos conditions de travail ?
J’ai une certaine nostalgie du court n°1, qui a été bien remplacé par le court Simonne-Mathieu qui est très joli. Le court 14, bien qu’il soit tout au bout du stade, il y a une belle ambiance. Mais c’est l’air du temps. Je vais même aller au bout de ma pensée. Est-ce que l’agrandissement de ce stade, qui est plein une semaine par an, je dis bien une semaine, car je sais que le tournoi dure quinze jours et qu’avec les qualifications cela dure trois semaines, mais c’est les cinq premiers jours (du tableau final) où il y a plein de matches qui se déroulent. Quand on arrive en deuxième semaine, on joue sur moins de courts. Est-ce que c’était indispensable ? Je n’en suis pas sûr. D’accord, quelques fois, on se serrait un peu les coudes (dans les allées), mais il n’y avait pas de bousculades. Le public du tennis est un public bien élevé. C’est vrai que ce côté un peu campagnard qui avait un peu avant, je le regrette. Le court n°1, je le regrette. Encore une fois, c’est dans l’air du temps. Mais le Roland-Garros d’avant, j’y pense avec une certaine nostalgie.
Comment abordez-vous ce Roland-Garros 2024, qui sera votre dernier dans ce rôle que l’on connaît ?
Je ne suis pas dans cet état d’esprit, où je me dis que c’est ma dernière édition, dans cette configuration-là. Si je l’étais, je sombrerais dans une forme de mélancolie qui, je pense, ne me ressemblerai pas. Évidement, quand arrivera l’avant-dernier jour voire le dernier jour, peut-être que je me dirai au fond de moi : « C’est peut-être la dernière fois que je viens sur le court Central de Roland-Garros faire une interview d’un vainqueur ou d’un vaincu… » Mais, encore une fois, je ne me mets pas dans cet état d’esprit-là pour aborder le tournoi.
Où en êtes-vous de votre projet de spectacle avec Philippe Candelero ?
Nous avons joué la première de notre pièce, « ça patine à Tokyo » le 14 avril dernier au Théâtre de Saumur, en conclusion du salon du Livre. Il y avait 400 personnes dans la salle. Cela a été un moment extraordinaire et je pense que le duo que nous formons avec Philippe à la télévision, peut trouver une nouvelle vie sur les planches. En-tout-cas, je suis extraordinairement motivé par ce projet qui est désormais une réalité. Jusqu’au 15 mai, nous avons eu pas mal de dates. Entre le 15 mai et le 15 septembre, je vais devoir m’arrêter, car il va y avoir beaucoup de rendez-vous sportifs. Mais à l’automne, il y a une tournée de prévue pour cette comédie policière très drôle et très enrobée.
Si vous aviez la possibilité de rencontrer le Nelson Monfort qui allait s’apprêter à couvrir son premier Roland-Garros, qu’est-ce que le Nelson Monfort d’aujourd’hui lui dirait-il ?
Je lui dirai peut-être que l’adulte que je suis devenu, n’a pas trahi le jeune homme que j’étais. Car j’ai toujours une part de rêve en moi, peut-être une certaine forme de naïveté, mais cela me va. C’est beaucoup trop tard pour changer.
Propos recueillis par E-A lors d’un entretien téléphonique réalisé le 15 avril 2024