L’autre réalité du circuit ATP

21 novembre 2013 Non Par SoTennis


Cameron Spencer/Getty Images/AFP

Jouer les premiers rôles, et faire un jour partie de l’élite du tennis mondial est le rêve de tous joueurs professionnels de tennis. Entre ce rêve et la réalité du haut niveau, les désillusions et les malchances peuvent être nombreuses. Afin d’intégrer au plus vite l’incontournable top 100, ces joueurs écument le circuit secondaire, à la recherche de précieux points, et joue parfois les sparring-partner pour les cadors du circuit ATP.
Alexandre Penaud et l’un d’entre eux. A 26 ans classé à la 622e place mondiale, le Bordelais qui depuis près de trois ans tente de s’extirper des nombreuses blessures qui ont trop souvent stoppé sa progression, vit dans l’anonymat et avec peu de moyens. Il y a quelques semaines il a eu le privilège d’entraîner lors du dernier Masters 1000 de Paris-Bercy, Rafael Nadal et Novak Djokovic. Focus sur cette enrichissante expérience, et sur le parcours de ce joueur, pour qui la passion reste intacte, malgré les coups du sort.

Il y a quelques mois vous avez décidé de faire un break dans votre carrière pour vous consacrer notamment à la préparation du diplôme d’état pour devenir entraîneur, aujourd’hui où en êtes-vous ?
Je n’ai pas passé l’examen pour obtenir ce diplôme. Afin de préparer au mieux cette échéance, il aurait fallu qu’un club puisse me proposer un contrat de professionnalisation afin de subvenir à me besoins, étant donné que sans ressources provenant de mon statut de joueur professionnel, je ne voyait pas l’intérêt de passer ce diplôme sans gagner ma vie. Je n’ai pas pu obtenir ce type de contrat, alors j’ai préféré continuer ma carrière de joueur professionnel, d’autant plus qu’au même moment j’ai commencé à bien rejouer et à gagner.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à prendre cette décision ?
Ma principale motivation était d’assurer mes arrières. A 26 ans je souhaitais préparer l’avenir, et aussi me rapprocher de mes proches en particulier de ma petite amie.

J’adore jouer mais à mon niveau le prize money n’évolue pas alors que le coût de la vie augmente”

Avec le classement que vous occupez arrivez-vous à vivre du tennis?
Cela reste difficile, tout dépend si je suis blessé où pas, lorsque je joue je peux rentrer dans mes frais, mais lorsque je suis contraint à observer une période d’inactivité c’est compliqué. Depuis début septembre je suis blessé, et dans ce cas la situation est très délicate sur le plan financier. J’adore jouer mais à mon niveau le prize money n’évolue pas alors que le coût de la vie augmente. Hors des 150 premiers mondiaux, on gagne difficilement sa vie.


L’ATP a annoncé récemment une augmentation du prize money sur le circuit challenger, comment accueillez-vous cette annonce ?
Il était temps. Il serait temps également qu’une revalorisation des dotations pour les tournois Futures et les catégories inférieures puissent avoir lieu. Pour les tournois des catégories principales, les joueurs ont la possibilité de bien gagner leur vie, alors qu’il y a un écart énorme avec les joueur qui jouent en Challenger où en Future, bien que cela soit assez logique, une telle disparité est trop importante. Seuls ceux qui se hissent dans le Top 100 (un palier qui permet un accès direct aux tableaux des Grand Chelem ) affichent des gains suffisamment élevés pour vivre confortablement.

Alexandre Penaud aux Internationaux de tennis de Bagnères-de-Bigorre

Après avoir connu des débuts fastes en intégrant les pôles France à Poitiers et Grenoble puis les équipes nationales jeunes, quelles sont selon vous les principales difficultés pour accéder au haut niveau ?
Il y en a énormément. Lorsqu’on est jeune et que l’on est détecté pour intégrer ces structures, cette intégration ce fait par tranches d’âge. Au début on peut être N°1, N°2 … français de sa catégorie, mais bien plus tard par la suite, il faut arriver parmi les 100 premiers et ainsi de suite, ce qui est assez difficile. Ensuite la différence peut se faire par la maturité, le travail, l’investissement au quotidien, l’encadrement, les rencontres. Dans mon cas j’ai eu énormément de blessures, il est nécessaire d’avoir un corps apte à joueur toute l’année non stop, aussi bien mentalement que physiquement lorsqu’on est jeune on ne s’en rend pas compte. Si on veut vraiment accéder au haut niveau il n’y a pas beaucoup de temps de repos, il faut enchaîner de manière constante les bons résultats.

Depuis 3 ans je galère à cause de blessures à répétition, même si l’an dernier j’ai pu jouer à 100% pendant une courte période. J’ai pu rencontrer un entraîneur qui a fait évoluer mon jeu tant techniquement que tactiquement, mais tout ceci à un coût financier que je ne peux assumer. Aujourd’hui j’ai fait le choix de vivre de mon sport, et je dois me débrouiller seul, même si certaines personnes m’aident la plupart du temps gracieusement .

Lors du dernier Masters 1000 de Paris-Bercy, vous avez eu l’opportunité de vous entraîner avec Rafael Nadal et Novak Djokovic, comment devient-on sparring-partner de ces légendes ?
J’étais présent à Paris cette semaine là pour me faire soigner et me faire ausculter par le kiné de l’ATP. En tant que joueur français numéroté  j’ai pu obtenir une accréditation pour regarder les matches. Grâce à l’une de mes connaissances qui est en charge de la planification des entraînements lors de certains tournois ATP se déroulant en France, et ayant besoin de jouer, j’ai été mis en relation avec la responsable de ce planning au Masters 1000 de Paris-Bercy. Elle m’a proposé de m’entraîner dès le second jour de mon arrivée avec Rafael Nadal, je ne pouvait rêver mieux pour une reprise. Au début je ne devais rester que deux trois jours, au final je suis resté toute la semaine, ce qui m’a permis de m’entraîner avec les meilleurs dont Novak Djokovic.

Combien de temps passiez-vous sur le court avec eux ?
Lors de mon premier entraînement avec Rafael Nadal j’ai passé 50 minutes sur le court, puis près de 35 minutes avec Novak Djokovic. Tout au long de la semaine ce temps fut relativement identique.

Lors de ces entraînements, ces champions ont-ils  la même intensité que l’on peut voir en match ?
Ce genre de joueurs ne prennent jamais à la légère ce qu’ils font. Il y a une très grande intensité dans les frappes. Lors de ces entraînements Rafael Nadal n’effectuait peu de déplacements latéraux, en revanche sa frappe de balle était très très forte, avec un certain relâchement. Novak Djokovic est plus dans le relâchement, ses frappes sont très précises, sa balle est « moins » difficile à contrôler mais sa vitesse reste importante. Cela reste très impressionnant d’être en face de ces joueurs.

Avant cette expérience aviez-vous eu l’opportunité de vous entraîner avec des joueurs de ce niveau ?
De ce niveau non jamais. J’avais déjà joué avec des joueurs comme Gulbis, Bautista, ce fut moins impressionnant en comparaison de mon expérience face à Nadal et Djokovic.

Même s’il y a des moment difficiles, j’essaye d’avoir du plaisir”

Quels sont vos principaux objectifs pour 2014 ?
Tout d’abord d’être en forme, ne plus avoir mal, et de pouvoir faire une saison entière sans problèmes physiques majeurs, afin de jouer le plus possible en étant à 100%. Actuellement j’essaye de faire ce qu’il faut pour y parvenir en espérant que cela marche.

 Aujourd’hui quel regard portez-vous sur votre parcours de joueur professionnel?
Je suis très content de faire ce que j’aime, même si c’est particulier de voyager, d’être souvent loin de chez soi. C’est un plaisir au quotidien de faire du sport. Sur le plan financier je ne peux occulter le fait qu’a 26 ans je n’ai pas gagner ma vie, pour cela c’est assez difficile, mais en même temps il faut être fort, il n’y a que l’élite qui y arrive, et il faut continuer à travailler dur. Même si il y a des moment difficiles, j’essaye d’avoir du plaisir.

Propos recueillis par EA