Novak Djokovic : «J’étais dépassé par des émotions incroyables»

Novak Djokovic : «J’étais dépassé par des émotions incroyables»

11 juin 2023 Non Par SoTennis

Novak Djokovic a remporté pour la troisième fois de sa carrière Roland-Garros, son vingt-troisième titre du Grand Chelem. Dimanche, le Serbe a battu Casper Ruud en trois sets (7-6 [1], 6-3, 7-5).

Où placez-vous ce titre dans votre carrière et parmis tous vos succès ?

C’est l’un des plus grands moments, bien sûr. Quand je suis arrivé pour le match, je savais qu’il y avait l’histoire qui devait être écrite. J’essayais de concentrer mon attention et mes pensées sur la préparation de ce match de la meilleure manière possible pour remporter cette rencontre comme n’importe quel autre match. Bien sûr, si je dis que je n’ai pas pensé à la ligne d’arrivée qui pouvait m’attendre après ce match, qui allait me permettre de remporter un trophée historique, je mentirais. Mon équipe a créé une belle bulle autour de moi. Nous avons fait un excellent travail pour rester dans le moment présent et avoir le jeu qu’on voulait. Quand j’ai vu son coup droit qui sortait, je me suis senti tellement soulagé, j’étais dépassé par des émotions incroyables. Je suis très heureux et très fier.

Comment vous sentez-vous d’être le plus grand joueur masculin de l’histoire du tennis ?

Merci. Je ne veux pas dire que je suis le plus grand parce que je l’ai déjà dit, c’est un manque de respect pour tous les grands champions des différentes ères de notre sport qui ont été jouées de manière différente de ce que l’on fait aujourd’hui. Chaque grand champion de sa propre génération a laissé une marque, un héritage et a préparé le chemin pour que nous puissions jouer ce sport dans des stades aussi magnifiques à l’échelle mondiale. Donc, je laisse ce type de discussion sur qui est le plus grand joueur à quelqu’un d’autre.
Bien sûr, j’ai une grande foi et une confiance en moi-même pour tout ce que je suis, qui je suis, ce que je suis capable d’accomplir. Ce trophée est une autre confirmation de la qualité de tennis que je suis encore capable de produire sur le terrain. Je l’ai dit au début de la saison, les Grands Chelems sont la plus grande priorité sur ma liste de choses à faire, pas seulement pour toute cette saison mais pour toutes les saisons, en particulier à cette étape de ma carrière. Si quelqu’un m’avait dit que j’allais remporter les deux premiers Grands Chelems de l’année, j’aurais signé immédiatement.
Quand je suis arrivé à Roland-Garros, mes résultats sur terre battue n’étaient pas très bons, je ne jouais pas bien, je n’avais pas de belles performances dans les tournois sur terre battue avant Paris. Quand je suis arrivé ici, je me suis senti différent, de manière positive. J’ai senti que j’avais une bonne possibilité contre n’importe qui au meilleur des 5 manches. Je savais que la plupart des joueurs sentaient beaucoup de pression dans ces matchs en 5 sets, 3 sets gagnants contre moi. C’est exactement ce que je voulais qu’ils ressentent. Il est bien d’avoir ce type d’avantage mental sur l’adversaire. Il y a tellement de pression, d’émotions et d’attentes de mon côté personnellement et de beaucoup d’autres personnes que quand c’est terminé, que tout a été bouclé, c’est extrêmement satisfaisant de terminer avec un autre trophée du Grand Chelem. C’est également un immense soulagement. Je suis vraiment heureux que ce soit terminé, parce qu’il faut gérer cette pression, ces attentes au quotidien et vivre avec tout cela dans ton esprit, essayer de gérer toute la pression nerveuse. Bien sûr, je me sens très fier, accompli, béni d’avoir la possibilité de le partager avec ma famille, mes enfants, mon épouse, mes parents, toutes les personnes qui m’ont soutenu pendant ce parcours. Bien sûr, le parcours n’est pas terminé. Si je gagne des Grands Chelems, pourquoi j’imaginerais mettre fin à ma carrière qui dure depuis 20 ans déjà ?
Je me sens toujours motivé, toujours inspiré pour jouer le meilleur tennis, en particulier sur les Grands Chelems. Ce sont les tournois qui comptent le plus dans l’histoire de notre sport. Je me réjouis à l’avance de jouer Wimbledon.

Vous êtes désormais le leader dans la course au nombre de Grands Chelems. Cela fait tellement d’années que vous êtes “derrière” Roger et Rafa, est-ce significatif pour vous d’être devant tout seul pour la première fois ?

La vérité, c’est que je me suis toujours comparé à ces joueurs, parce que ce sont les deux rivaux les plus grands que je n’ai jamais eus de toute ma carrière. Et je l’ai dit à de nombreuses reprises qu’ils m’ont défini en tant que joueur. Tous les succès que j’ai eus, ils y ont contribué d’une certaine manière, grâce à la rivalité qu’on a eue, les matchs que l’on a joués les uns contre les autres et les heures nombreuses à réfléchir et analyser ce qu’il fallait pour les battre et sur les plus grands stades. Pour mon équipe et moi-même, ces deux joueurs étaient dans notre esprit en particulier d’une manière professionnelle, bien sûr.
Bien sûr, c’est incroyable de savoir que je suis devant ces deux joueurs en termes de nombre de Grands Chelems avec un de plus que Rafa. Mais dans le même temps, chacun écrit sa propre histoire. Donc, je continue à penser que tout le monde a son propre parcours, qu’il doit suivre et prendre à bras-le-corps. Mais évidemment, à nous trois, et bien sûr Andy qu’il ne faut pas oublier, ces 20 dernières aînés, c’est vraiment l’ère dorée du tennis masculin, comme les gens le disent. Je suis vraiment très reconnaissant de faire partie de ce groupe de joueurs.

En 2011, vous étiez loin derrière Rafael Nadal et Roger Federer avec un seul titre. Comment regardez-vous l’évolution qui fait qu’aujourd’hui, vous en êtes à 23 et eux 22 et 20 ?

Ç’a été 12 années plutôt pas mal, je dois dire ! Où j’ai réussi à gérer mon corps, mes émotions, mon équipe. Quand les gens vous parlent d’histoire, ils parlent surtout des Grands Chelems et du temps que vous passez en tant que n°1. J’ai réussi à battre les deux records : c’est incroyable. Mon corps réagit différemment, aussi, au fil du temps. Je dois faire face à plus de choses. Il y a cinq, dix ans, je récupérais beaucoup plus vite ou, en tout cas, j’avais moins de douleurs. Mais à la fin, l’essentiel, c’est de franchir la ligne d’arrivée avec la victoire, et c’est ce qu’on a fait. Ce trophée symbolise la grande bataille que j’ai eue avec moi-même. Et Roland-Garros est de loin, pour moi, le tournoi le plus dur à gagner des quatre Grands Chelems. La terre battue, c’est si difficile… C’est donc un peu symbolique que je gagne le 23e ici, et encore plus agréable sachant ce qu’il me faut pour le gagner. C’est la plus haute montagne à gravir pour moi dans ma carrière.

Vous avez parlé sur le court de croyance et l’importance de cela. Où est-ce que vous avez appris cela ? Pouvez-vous décrire des cas où vous avez eu du mal avec cela et où vous n’avez plus cru en vous et comment vous avez pu traverser et surmonter cela ?

Mon éducation a été différente de la plupart des joueurs de ma génération. Si on revient dans les années 90, j’avais quatre ou cinq ans, on a eu quelques guerres, la Serbie faisait l’objet d’un embargo. Je ne pouvais pas voyager pour plein de tournois juniors. Donc, il y avait beaucoup d’adversité. C’étaient des temps très difficiles pour tout le monde dans mon pays. Ma famille avait très peu d’argent, mais mes parents ont quand même décidé de me soutenir dans mon rêve qui était de devenir un joueur de tennis professionnels et de remporter Wimbledon et d’être n° 1 au monde.
95 % des gens riaient d’eux, les décourageaient de dépenser ce qui restait du budget familial pour un sport aussi cher en venant d’un pays qui avait pratiquement aucune tradition de tennis. C’était un défi colossal. La probabilité que je réussisse était très faible. J’ai eu la chance de rencontrer des personnes très importantes qui ont eu un impact sur mon parcours en tant qu’athlète professionnel et qui m’ont aidé à me développer de manière très positive en tant qu’être humain. Jelena Gencic, en particulier est ma mère tennistique, elle est décédée il y a 10 ans. Elle a eu une incroyable influence sur moi, sur le court et en dehors des courts. C’était un véritable mentor. Elle a travaillé avec mes parents de manière très proche. Elle a donné son espace, sa permission pour passer beaucoup de temps avec moi. Quand on ne s’entraînait pas, j’allais chez elle dans sa maison, on a fait beaucoup de choses et j’ai répété à plusieurs reprises. Nous faisions un travail sur mon état d’esprit en tant qu’être humain, mais aussi en tant que jeune joueur qui rêve de devenir un joueur professionnel. Je n’avais que 7 ou 8 ans. Elle m’a fait regarder ses cassettes vidéo de tous les meilleurs joueurs et joueuses de l’époque. Je devais savoir exactement pourquoi ce coup est frappé à quel moment, sur quelle surface, etc. Dès le plus jeune âge, elle m’a traité de manière très mûre. Elle pensait que ce n’était jamais trop tôt de commencer avec ce type d’état d’esprit et de développement. Ensuite, elle m’a appris l’importance de me relaxer, d’écouter de la musique classique, de lire, de la poésie, de chanter, de respirer en toute conscience, etc. Elle a vraiment été une des personnes qui a eu le plus d’impact sur ma vie.
C’est une longue réponse à votre question, mais je pense que cet aspect de conviction est venu bien sûr de mes parents en premier lieu, ensuite d’elle, puis de Niki Pilic, qui est mon père tennistique – qui l’est toujours – il s’entraîne toujours avec quelques heures par jour en Croatie, il a plus de 80 ans ! C’est une des personnes les plus passionnées de tennis et les plus persévérantes que j’ai rencontrées dans toute ma vie. J’ai eu beaucoup de chance. On dit toujours qu’il faut avoir de la chance dans la vie. J’ai eu la chance de rencontrer ces deux personnes qui travaillaient ensemble pour me façonner et faire de moi le joueur que je suis aux côtés de mes parents, bien sûr.
Donc, ma mère, c’est un roque ; une femme incroyable, qui a fait tenir la famille ensemble, dans les moments les plus difficiles. Mon père est une force motrice incroyable pour la famille, quelqu’un qui a instillé en moi une telle puissance de conviction, une force de conviction et une pensée positive pour atteindre des objectifs qui sont au-delà de tout ce que n’importe que j’avais rencontré. Il était tellement convaincu, parce qu’il n’avait jamais joué au tennis. Personne n’avait jamais joué au tennis dans ma famille. Il a demandé à des experts, à des personnes qui connaissaient le domaine et sport du tennis pour savoir si j’avais un talent un potentiel s’il devait investir de l’argent en moi. Nous avons eu la chance de rencontrer ces deux personnes très tôt dans ma carrière et ils l’ont convaincu qu’il devait aller de l’avant. Lui et ma mère ont dû traverser énormément de difficultés financières et émotionnelles dans tous les domaines pour que je puisse être ici et que je vous parle. Donc, je ne vais jamais oublier cela. Je porte cela dans mon cœur et je leur suis éternellement reconnaissant.

Propos recueillis par E-A à Roland-Garros