Richard Evans: «La vie ne peut pas être ennuyeuse si vous avez cet intérêt»

Richard Evans: «La vie ne peut pas être ennuyeuse si vous avez cet intérêt»

18 juillet 2024 Non Par SoTennis

Avec passion, depuis plus de soixante ans, Richard Evans parcourt le monde du tennis avec le même appétit. Journaliste, auteur et historien, le Britannique s’apprête à être intronisé, ce week-end, au Tennis Hall of Fame à Newport. À 85 ans, celui qui a couvert plus de 200 Grands Chelems, évoque, avec détachement, sa riche carrière qui l’a mené bien au-delà de ses aspirations.

Vous allez être le week-end prochain, intronisé comme contributeur au International Tennis Hall of Fame, à Newport. Que représente pour vous cette intronisation, de votre vivant ?

Tout d’abord, j’ai été un peu surpris. Le système de nomination a fait que cela fait 20 ans que je suis dans les nommés. C’est un processus un peu compliqué. Vous devez atteindre un certain pourcentage pour être approuvé. Donc j’ai été surpris de faire partie de cette intronisation et c’est évidemment un grand honneur. C’est toujours bien d’être reconnu par ses pairs. J’ai eu plusieurs vies durant lesquelles j’ai notamment travaillé pour l’ATP, pour des diffuseurs… Je vais être intronisé dans la catégorie des contributeurs, c’est très différent de celle des joueurs, qui d’ailleurs est difficile aussi, car remporter un Grand Chelem ne signifie pas d’être intronisé rapidement après la fin de sa carrière.

Vous suivez comme journaliste les circuits WTA et ATP depuis de nombreuses années. Comment décririez-vous l’évolution de l’accès à la parole du joueur ?

J’ai couvert mon premier Wimbledon en 1960 et mon premier Roland-Garros en 1961. J’ai été chanceux d’être dans la génération de Rod Laver et d’autres grands champions. À ce moment-là, il n’y avait pas d’agent, d’entraîneur, pas de famille qui voyageait avec le joueur. J’avais le même âge que ces championnes et champions, donc c’était facile de tisser une relation « amicale » avec eux. J’ai ainsi pu écrire sur toute cette génération avec un accès simple. Désormais, depuis de nombreuses années, c’est complètement différent. Le premier à voyager avec un coach fut Bjorn Borg. Par la suite, Mark McCormack a fondé sa société (ndlr :IMG. Pionnière en marketing sportif et management) les agents sont apparus pour gérer les intérêts des joueurs. L’argent, les contrats, ont commencé à être plus importants. La télévision est venue également donner une exposition inédite. Le tennis était ainsi reconnu aux yeux du public. Les joueurs signaient des autographes dans les aéroports. Ce n’était pas le cas avant que la chaîne NBC ne commence à retransmettre le tennis sur ses antennes. Aujourd’hui, disons que les choses sont plus structurées. L’accès à la parole du joueur n’est pas simple. Pour obtenir une interview en face-à-face, ce n’est pas évident. Les médias sont aussi plus nombreux, tout comme les personnes qui entourent le joueur. Voir un joueur à la fin de son entraînement, lui demander s’il peut répondre à une interview ou s’il souhaite plutôt le faire autour d’un repas, ce temps est révolu. C’est ainsi !

Collection personnelle de Richard Evans exposée au musée de l’International Tennis Hall of Fame / ©International Tennis Hall of Fame

Au fil des ans, vous avez vu également l’évolution des équipements des tournois du Grand Chelem. Comment décririez-vous ces changements ?

Nous sommes à Wimbledon (ndlr : entretien réalisé à Wimbledon le 6 juillet 2024), donc je vais en priorité parler d’eux. Ils ont réalisé un incroyable tour de passe-passe. Cet endroit s’est modernisé d’une incroyable façon. Les nouveaux courts, les toits rétractables sur les deux courts principaux, le centre des diffuseurs, le pavillon des médias avec les nouvelles salles de conférence de presse. Un jour Fred Perry (ndlr : joueur britannique) est venu à la porte du club, chercher sa statue, car tout avait changé même si on avait l’impression que tout était comme ça depuis longtemps. Le club a fait un travail incroyable. C’est aussi un succès économique. C’est le d’ailleurs le cas pour les autres Grand Chelem qui ont des modèles économiques un peu différent (ndlr : le tournoi de Roland-Garros est organisé par la Fédération française de tennis. L’ensemble des bénéfices issus du tournoi sont réinvestis pour soutenir le tennis français (à travers les clubs et les ligues) et le tournoi de Roland-Garros). Ils se sont tous améliorés. Regardez Roland-Garros, c’est incroyable la métamorphose. Je me souviens qu’en 2018, en marge du Masters 1000 de Paris-Bercy, début novembre, j’étais passé devant le stade. Le court Central avait été détruit quasiment totalement. Tout était en travaux. J’avais dit à Guy Forget (directeur du tournoi de Roland-Garros durant 2016 à 2021 et du Masters 1000 de Paris-Bercy de 2012 à 2021) : « Alors, pas trop nerveux ? » Il m’avait alors répondu : « Si un petit peu, cela va être juste… » En mai 2019, tout était miraculeusement prêt pour organiser le tournoi. Le stade est à présent dans sa version définitive. L’US Open, bien que cela ne soit pas mon favori, a fait un incroyable travail. L’Open d’Australie à quant à lui trois courts avec un toit rétractable et ils sont parvenus à avoir la reconnaissance de tous. Les Grands Chelems en termes d’événements sportifs sont une incroyable histoire à succès.

À travers ces transformations et les évolutions sociétales, où désormais, dans un stade, entre autres, le spectateur vient vivre une expérience, ce dernier peut être attiré par de nombreuses animations et sollicitations. Les Grands Chelems sont-ils devenus un « grand cirque » ?

C’est comme un grand festival du sport… En première semaine, du tableau principal, d’un Grand Chelem il y a beaucoup à voir et à faire. Sur les courts annexes, les spectateurs peuvent être proches des joueurs. Les Grands Chelems sont une réussite commerciale par l’intérêt qu’il y a sur le terrain et en dehors…

Avec l’ITF (Fédération internationale de tennis), la WTA, l’ATP, le comité des Grands Chelems, il y a différentes voix qui s’expriment autour du tennis. Que pensez-vous de cette situation ?

La voie à suivre serait de construire une entité unique pour représenter les intérêts du tennis. Mais je ne suis pas sûr que cela arrivera. Il y a une bonne dizaine d’années, aux États-Unis, à Houston puis à Miami, tout le monde s’était réuni. Les Grands Chelems, l’ITF, la WTA l’ATP, tout le monde étaient là. À cette occasion, ils avaient tenté d’élire un commissaire pour représenter le tennis à un bureau. À cette occasion, j’avais discuté avec le PDG d’une entreprise partenaire du tennis (ndlr : il ne souhaite pas mentionner son nom). Il m’avait répondu sur ce sujet : « Je suis confus, car je souhaite faire quelque chose pour le tennis, mais à qui dois-je m’adresser. À l’ATP ? À l’ITF ? » Il n’y avait pas une réponse unifiée. C’était un handicap. Je garde encore l’espoir qu’une unification de la gouvernance ait lieu. Mais chacun défend ses intérêts. Je ne crois pas qu’un partage du pouvoir soit d’actualité. Il faut néanmoins noter que c’est mieux en ce qui concerne les Grands Chelems. Ils travaillent plus ensemble. Ils ont écouté il y a quelques années la grogne des joueurs pour une augmentation des dotations. Une augmentation qui a été à l’initiative du Big 4. Individuellement, chacun avait été voir les directeurs des tournois non pas pour « réclamer » de l’argent pour eux, mais pour initier une augmentation du prize money pour les perdants des premiers tours. Des joueurs classés par forcement dans le Top 100, qui ne gagnent pas leur vie grâce au tennis et qui ont malgré tout des frais. Le contraste est important, sans doute que les gens ne s’en rendent pas compte, mais au tennis, à haut niveau, vous devez tout payer. Certes, les tournois assurent l’hébergement, mais le joueur doit payer celui de son coach, de son kiné. En plus de leur rémunération. Chaque semaine, les dépenses peuvent être importantes. Un top player a moins à se soucier de cela. C’est pourquoi l’augmentation des dotations en Grand Chelem a été une bonne chose. Il y a encore des choses à faire en Challenger et en Futures. (ndlr : En août 2023, l’ATP a annoncé la création en 2024 d’une assurance financière pour les 250 meilleurs joueurs mondiaux, leur garantissant un revenu minimum annuel, des revenus en cas de longue blessure ainsi qu’une avance sur gains pour les nouveaux entrants dans le Top 125).

En mars dernier, The Telegraph révélait que l’Arabie Saoudite, soutenue par l’ATP, proposerait deux milliards de dollars et une fusion des circuits. Fin novembre 2023, The Athletic affirmait que l’Open d’Australie, Roland-Garros, Wimbledon et l’US Open réfléchissaient à la création d’un circuit premium avec les quatre tournois du Grand Chelem et les dix tournois restants, les plus importants, les Masters et WTA 1000. Que vous inspirent ces hypothèses ?

Je ne pense pas que deux circuits, exposés comme ça, ne verront le jour. Les personnes en charge de cela, je l’espère, ont du sens. En-tout-cas, je ne pense pas que cela soit bon pour le jeu et pour une grande majorité des joueurs. Le format actuel marche bien, même si c’est vrai que l’ATP tour peut être amélioré. Tout peut être amélioré. C’est certain que les sommes révélées sont importantes. Ces organisations ont besoin de revenus. L’ATP et la WTA se suffisent à eux-mêmes. Cela fait longtemps que l’idée de fusionner les deux circuits est dans l’air…

Dans une autre vie, vous avez aussi, comme journaliste, couvert la campagne électorale aux États-Unis de Robert Kennedy, ou encore la guerre au Vietnam. Quels sont vos souvenirs les plus vifs de cette époque-là ?

J’étais chanceux de pouvoir couvrir tout cela. Après avoir décidé d’immigrer aux États-Unis, je travaillais comme journaliste indépendant. Et comme la vie, c’est totalement du timing, j’avais commencé à travailler comme correspondant à New York pour le London Evening News. John Gold, correspondant pour ce journal, depuis quelques années, avait été rappelé pour aller à Londres afin de devenir son éditeur (ndlr : de 1967 à 1974). Me connaissant, avant de partir, il m’avait appelé en me disant : « Veux-tu mon travail de correspondant à New York ? » J’avais alors hurlé : « OUI ! » J’étais durant ces incroyables années 1960, dans cette Amérique du Nord, où historiquement beaucoup de choses se sont passées et avec beaucoup d’histoires à raconter. Comme l’assassinat de Martin Luther King (ndlr : le 4 avril 1968 à Memphis). Rencontrer Bobby Kennedy a été incroyable aussi, car il a été un extraordinaire politicien. Je pense que s’il n’avait pas été assassiné (ndlr : le 6 juin 1968 à Los Angeles) il aurait changé l’Amérique et sans doute un peu le monde. Aller au Vietnam a aussi été une riche expérience. Ces souvenirs sont très vifs dans ma mémoire. J’étais, dans un sens, chanceux de vivre cette période. Après sept ans à couvrir tous ces événements, lorsque qu’il y a eu le boycott de Wimbledon en 1973 (ndlr: boycotté par 81 des meilleurs joueurs mondiaux, y compris les deux précédents vainqueurs. Le résultat d’un conflit entre le jeune syndicat des joueurs de tennis, l’ATP, solidaire du Croate Niki Pilic et les instances traditionnelles du tennis telles que la Fédération Internationale de Tennis (ITF) et autres fédérations nationales), Arthur Ashe était venu me voir pour me demander de m’occuper de la communication de l’ATP qui avait été créé. Voilà comment je suis revenu au tennis.

Richard Evans au Queen’s en juin 1991 / © Professional Sport/Popperfoto via Getty Images/Getty Images

Vous avez également travaillé pour Tennis Magazine, où l’on pouvait lire, notamment vos articles dans la rubrique Autour du Monde. Quel reste-t-il, en vous, de ces années-là ?

Je me souviens parfaitement de Jean Couvercelle (ndlr : l’un des fondateurs du magazine) de Guy Barbier. (ndlr : durant vingt ans, il a été le rédacteur en chef de Tennis Magazine). J’avais effectivement ma page dans le magazine tous les mois. Sur le plan journalistique c’était d’une très grande qualité, de s’intéresser comme cela au tennis. Dans cette rubrique Autour du Monde, je parlais du tennis à l’étranger. Les premières années du magazine, j’habitais Paris et c’était bien. Jean (Couvercelle) a fait un travail incroyable. Durant très longtemps, Tennis Magazine a été sans aucun doute le meilleur magazine de tennis au monde. Tous les mois, il y avait des informations complètes.

Après toutes ces années, à couvrir plus de 200 Grands Chelems, avez-vous encore des aspirations ?

(Rire) Celle de survivre à quelques années de plus. La chose intéressante lorsque vous couvrez le sport, c’est qu’il y a toujours quelque chose de nouveau. Au tennis, nous l’avons vu de façon fascinante au cours des trois dernières années. Beaucoup de monde disait : « Plus de Federer, plus de Nadal. Le tennis est terminé, il n’y a plus d’intérêt… » Nous avons une chance incroyable d’avoir Jannick Sinner et Carlors Alcaraz, deux jeunes champions. Lors de ce Wimbledon, Emma Raducanu a prouvé qu’après toutes ses blessures, qu’elle était de retour. Il y a toujours quelque chose de nouveau au tennis, notamment quand vous couvrez les Grands Chelems. La vie ne peut pas être ennuyeuse si vous avez cet intérêt.

Propos recueillis par E-A à Wimbledon