Sergiy Stakhovsky : « C’est terrifiant de voir ça au 21e siècle »

22 juin 2015 Non Par SoTennis
Sergiy Stakhovsky

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Sergiy Stakhovsky est un homme de conviction. Son regard perçant laisse apercevoir un riche tempérament, qui l’a toujours poussé à exprimer son point de vue, dans le but de faire bouger notamment les lignes de son sport. Depuis le début de saison, il a un nouvel entraîneur, en la personne de Fabrice Santoro, avec qui il s’efforce d’améliorer son jeu. Mais avant d’être un champion de tennis, qui lui permet de parcourir le monde entier, il reste un ukrainien inquiet de la situation dans laquelle se trouve son pays. Avec la franchise qui le caractérise, Sergiy Stakhovsky évoque pour So Tennis sa vision du circuit ATP, son coach, son Ukraine qu’il porte dans son cœur, et la France, pays qui l’aime tout particulièrement.

Depuis le début de l’année Fabrice Santoro est votre nouvel entraîneur. Comment l’avez-vous rencontré?
Je l’ai tout d’abord affronté à deux reprises lorsqu’il était encore joueur (ndlr : en 2008 victoire de Santoro et  en 2009 victoire de Stakhovsky). Une fois sa carrière terminée nous avons eu l’opportunité d’échanger ensemble. L’an dernier je recherchais une personne pouvant m’aider à préparer la nouvelle saison. Après l’US Open 2014 nous nous sommes mis d’accord sur une collaboration à venir. Mes bons résultats du début de saison c’est avant tout grâce à lui.

Lorsqu’il était sur le circuit Fabrice Santoro collectait de nombreuses données concernant ses adversaires, le jeu… Désormais comme entraîneur, utilise-t-il les statistiques pour vos entraînements?
Il détient de nombreuses informations qui sont désormais un avantage pour moi. Il est très doué pour établir la bonne tactique à adopter, pour jouer mes adversaire d’une manière différente. Avant un match, nous faisons le point longuement sur quelle manière jouer mon adversaire du jour, et quelle est la meilleure façon pour le battre. Fabrice est extrêmement intelligent. Je dois dire qu’il est à plus de 50% de ma réussite, depuis que nous avons commencé à travailler ensemble. Il a su apporter des améliorations et quelques changements à mon jeu.

Le big data joue désormais un rôle important dans le monde du tennis. Quel est votre point de vue sur ce sujet?
Les données sont importantes, et elles se sont étoffées au fil des années. Mais ce qui est très intéressant c’est de voir ce que font les joueurs de ces données. La plupart de ces données nous les connaissons comme les balles de break non converties, le pourcentage de premier service, le nombre de fautes directes… c’est assez complexe à tout décortiquer, parfois cela peut aider à progresser ou à mieux comprendre les moments importants d’un match.

Vous semblez apprécié énormément la France, quels sont vos premiers souvenirs dans ce pays ?
J’ai joué un super tournoi à Tarbes lorsque j’avais 13 ans, c’était très bien organisé, j’avais l’impression d’être une star. Et ça m’a donné envie de progresser pour accéder au haut niveau. J’ai été séduit également par la ville. Par la suite, en junior, j’ai joué quelques tournois de nouveau en France qui est un grand pays, où la gastronomie est très bonne. J’adore y revenir, spécialement à Bordeaux où je dispute pour la Villa Primrose depuis quelques années les interclubs, et où j’affectionne tout particulièrement le tournoi challenger que le club organise au mois de mai.

« C’est terrifiant qu’au 21e siècle ce genre de choses se déroulent »

Et désormais avec un entraîneur français, parlez-vous la langue de Molière?
J’essaye, mais c’est très dur, je suis un peu âgé pour apprendre une nouvelle langue, mais j’essaye. Lorsqu’on parle lentement en français j’arrive plus à comprendre, qu’à le parler. J’aimerais pourvoir parler en français, c’est un défi.

En tant que citoyen ukrainien êtes-vous inquiet de la situation là-bas?
Absolument. De nombreux de mes compatriotes meurent tous les jours, en essayant de défendre leur pays. Ils sont tués en défendant leur intégrité. C’est malheureusement navrant que la Russie ne soit pas capable de stopper ce qu’elle commet depuis plus d’un an, et  qu’elle continue de désinformer les personnes. C’est terrifiant qu’au 21e siècle ce genre de choses se déroulent.

Grâce aux réseaux sociaux, en particulier sur Twitter, vous apportez votre soutien à vos compatriotes. Est-ce important pour vous de montrer votre point de vue de cette manière ?
Oui car les médias russes pour la plupart font une très grande propagande. Je crois fortement que via ce canal, un message clair peut venir jusqu’en Europe. Car si vous regardez les médias russes, vous avez peur de vous rendre en Ukraine. Car selon eux, des enfants sont tués, s’ils parlent russe. Selon eux si vous parlez russe en Ukraine, vous allez tout droit en prison… Je parle russe, et je le parle avec mes proches, je connais et maîtrise l’ukrainien, mais je parle russe. J’ai été très déçu par la réaction de certaines personnes russes, et de la façon dont elles se comportent notamment dans les médias.

L’an dernier à la même époque de l’année vous avez été réélu par vos pairs au conseil des joueurs de l’ATP. Pour vous que signifie cette réélection?
Cela signifie que j’ai fait du bon « boulot » et qu’ils croient en moi (rires). Je pense que nous avons fait du bon travail, notamment avec l’augmentation des dotations en Grand Chelem, en particulier pour les premiers tours. Ce conseil est à l’origine de beaucoup d’initiatives, il y a un vrai dialogue, qui est franc et honnête entre les joueurs et les représentants de l’ATP. J’espère que les prochains joueurs qui siégeront à ce conseil poursuivront le travail mené.

Récemment l’ATP a augmenté les dotations des tournois Challenger. C’était l’une de vos principales revendications?
Oui car il était dur de voir que les joueurs disputant ce genre de tournoi n’avait pratiquement aucun gain, lorsqu’ils étaient éliminés au 1er tour. La plupart d’entre eux perdaient de l’argent pour venir jouer ces tournois. Et ce n’ést pas normal. Même si on est éliminé au premier tour, on ne doit pas perdre de l’argent, même pour cette catégorie de tournoi.

« Ce n’est pas la faute des joueurs si les organisateurs du tournoi de Roland-Garros ne regardent pas suffisamment vers l’avenir »

En même temps le circuit ATP semble être à deux vitesses entre des dotations très élevées pour les tournois importants, et des augmentations « peu » significatives pour ceux du circuit secondaire…
Les tournois Challenger sont une étape pour accéder aux tournois de l’ATP World Tour. L’idée est de bien jouer ces tournois, pour progresser au classement, pour ne plus les jouer, ou le faire uniquement si on le souhaite, comme je l’ai fait récemment avec celui de Bordeaux. Dans l’idéal il ne faut pas voir ces tournois comme une fin en soi, mais plus comme un tremplin qui permet d’engranger de l’expérience, pour pouvoir ensuite gagner sa vie sur le circuit principal.

Bien qu’il y ait eu des augmentations, la dotation globale du tournoi de Roland-Garros n’est pas au même niveau que les trois autres tournois du Grand Chelem. En tant que représentant des joueurs est-ce un problème pour vous ?
Bien sûr que s’en est un, et c’est décevant que le « French Open » soit à la traîne, d’autant plus que les dotations des autres Majeurs sont connues des mois à l’avance. A l’avenir il sera difficile pour Roland-Garros d’être au même niveau par exemple de l’US Open qui a annoncé qu’il souhaite atteindre une dotation globale de 50 millions de dollars dès 2017, alors qu’actuellement le Grand Chelem parisien en compte 28 millions d’euros. Sur ce point, le futur semble trouble pour Roland-Garros.

En même temps Roland-Garros s’apprête à effectuer de lourds travaux pour moderniser le stade, en construisant notamment un nouveau court central avec un toit rétractable (il coupe)
Je comprends, mais l’US Open n’avait pas de toit rétractable sur le Arthur Ashe Stadium, et ils sont en train d’en ajouter un, le coût est très important. Ce n’est pas la faute des joueurs si les organisateurs du tournoi de Roland-Garros ne regardent pas suffisamment vers l’avenir. Ce n’est pas de la faute des joueurs s’ils ne sont pas capables d’avoir des revenus suffisants.

L’an dernier à Wimbledon vous avez atteint de nouveau le troisième tour. Que représente pour vous ce tournoi?
Pour moi c’est le meilleur Grand Chelem au sens de la tradition. Si je devais choisir parmi les quatre Majeurs, Wimbledon serait le n°1. A cause des traditions, à cause du gazon ma surface favorite, l’atmosphère est différente. J’ai toujours un très grand plaisir à y revenir, et j’espère avoir de bons résultats cette année.

Propos recueillis par E-A