La der des Mousquetaires

La der des Mousquetaires

21 novembre 2018 Non Par SoTennis

Vainqueurs de la Coupe Davis pour la première fois en 1927, les Mousquetaires, devenus les héros du tennis français, ont défendu leur titre à Paris avec succès, cinq années durant. Le doublé 1931 – 1932, marquera la fin d’une époque.

Depuis leur victoire en 1927, à Philadelphie, les Mousquetaires sont les maîtres de la Coupe Davis (en 1900, un étudiant américain âgé de 25 ans a l’idée d’organiser une compétition de tennis par équipes.. La France des années 1920 se reconnaît en eux. L’emprise qu’ils ont, à ce moment-là, sur le tennis mondial est telle, qu’ils semblent parfois seul au monde. La défense du Saladier d’argent profite au tennis français et au stade Roland-Garros, conçu spécialement pour René Lacoste, Henri Cochet, Jacques Brugnon et Jean Borotra, les héros de toute une nation. Tenants du titre, depuis 1927, au moment d’aborder la défense du Saladier d’argent, en 1931, les Mousquetaires ne sont pas au mieux. Le nouveau capitaine René Lacoste, Pierre Gillou ayant été élu à la présidence de la F.F.L.T au mois de janvier, ne peut appeler ni Jacques Brugnon, opéré de l’appendicite durant l’hiver, ni Henri Cochet, malade. Les Britanniques, emmenés par Fred Perry et Bunny Austin, se qualifient, au cours de l’été, pour le Challenge Round (NDLR : les nations désireuses de conquérir le trophée doivent d’abord s’affronter pour gagner le droit de défier le tenant du titre au cours d’une ultime rencontre appelée Challenge Round), en battant les États-Unis. Lors de la première journée du Challenge Round, Henri Cochet, qui est finalement sélectionné, affronte Bunny Austin, sur le court central de Roland-Garros, démarre lentement son match. Le Français est mené 6-3, 4-1. Cochet, comme à son habitude, se réveille à temps, sauve deux balles de deuxième set et s’impose finalement en quatre manches (3/6, 11/9, 6/2, 6/4). Lors du deuxième match, Jean Borotra, use de toute son expérience contre Fred Perry. N’hésitant pas à récupérer, autant qu’il peut entre les points, malgré sa détermination et sa ruse, le Britannique s’impose en cinq sets (4/6, 10/8, 6/0, 4/6, 6/4), et apporte le point de l’égalisation. Le temps de la journée de samedi n’est pas au beau fixe. Après un long moment d’attente, le double se dispute enfin. Jacques Brugnon (rétabli de son opération) et Henri Cochet viennent à bout de la paire Patrick Hughes et Charles Kingsley en quatre sets (6/4, 5/7, 6/3, 8/6). Le journée de dimanche s’annonce palpitante. Le premier à rentrer sur le court est Jean Borotra qui affronte Bunny Austin. Le Frenchie, bien trop tendre et fébrile dans les moments importants, subit le jeu de l’Anglais qui s’impose en quatre sets (7/5, 6/3, 3/6, 7/5). Comme en 1927 et 1929, c’est Henri Cochet qui dispute le cinquième match décisif. C’est sous une pluie fine que la rencontre débute. Fred Perry mène rapidement, au premier set, 4-1. Très expérimenté et habitué à des retours tonitruants, Cochet reste calme. Égalise à 4 partout et s’adjuge finalement la première manche 6/4. Mais le Britanique n’abdique pas et inflige, au deuxième set, un terrible 6/1 au Français. Finalement, Henri Cochet finit par imposer son jeu, sort vainqueur de ce duel en quatre sets (6/4, 1/6, 9/7, 6/3) et permet aux tricolores de conserver le Saladier d’Argent pour la quatrième année consécutive. Le court central de Roland-Garros est en fête, malgré un ciel bien gris. Cependant, ce nouveau sacre en Coupe Davis sont accompagnées de vives critiques envers Jean Borotra, provenant de toutes parts. Blessé, le Basque annonce qu’il ne disputera plus le moindre match de simple en Coupe Davis.

La fin d’une époque

Après une édition 1932 des Internationaux de France marquée notamment par la victoire de Henri Cochet, en simple, le Challenge Round, qui fait toujours recette, se profile. Dans le camp français, le questionnement est de mise. René Lacoste, capitaine et joueur, dispute à Roland-Garros, en guise de test, deux matches, contre les Australiens Harry Hopman et Jack Crawford. Sèchement battu par Hopman, René Lacoste résiste pendant un temps face à Crawford, mais s’incline finalement en trois sets (2/6, 11/9, 6/2). Cette défaite marque sa dernière apparition sur le Central. Quelques jours plus tard le « croco » renonce à disputer cette rencontre de Coupe Davis, range définitivement ses raquettes et s’occupe à plein temps de son entreprise de textile. L’angoisse commence à monter quant à la sélection tricolore. Qui aligner en simple et en double ? Il y a bien les espoirs André Merlin et Marcel Bernard… Mais pour une telle rencontre, ces jeunes joueurs n’ont pas assez d’expérience. Il reste Jean Borotra. Mais le Basque, vexé, avait juré ne plus disputer la Coupe Davis. Pour tenter de le faire revenir sur sa décision, les journaux de l’époque organisent des sondages. Il semblerait même que le président de la République, Albert Lebrun, suit l’affaire de près. Finalement, René Lacoste avec l’aide de Pierre Gillou, insiste à un tel point que Jean Borotra, légion d’honneur et croix de guerre 1914-1918 à la boutonnière, s’il le faut il répondra présent. Et il le faut vraiment. Pour la première fois depuis 1928, les Mousquetaires ne sont pas les favoris. Face à eux les Américains, emmenés par un jeune joueur de 24 ans, très puissant, Ellsworth Vines. Sa frappe de balle est lourde et précise et on dit que son service « coup de fusil » est tout aussi redoutable que celui de Tilden. Comme toujours, les spectateurs, dont certains munis de lunettes en carton pour se protéger du soleil, sont venus en nombre assister au Challenge Round. Le président de la République, Albert Lebrun, est là aussi. Dwight Davis, qui a imaginé cette compétition par équipes, est là aussi. Mais il se fait refouler à l’entrée de la tribune officielle, par un contrôleur visiblement très ignorant. Lors de la première rencontre Jean Borotra, 34 ans, réalise le match parfait face à Ellsworth Vines. Très régulier, le Basque ne cède jamais dans la diagonale de revers. Il varie parfaitement ses coups, alterne angles et longueur et n’hésite pas à aller au filet. Le Français s’impose finalement en quatre sets (6/4, 6/2, 3/6, 6/4) et apporte le premier point. Lors du deuxième match, Henri Cochet fait ce qu’il sait faire de mieux…du Henri Cochet. Face à Wilmer Allison, le Lyonnais, jusque-là a toujours ramené deux points, s’impose en quatre sets (5/7, 7/5, 7/5, 6/2). Lors du double, les Américains reviennent à 2-1, grâce à la victoire de la meilleure paire du monde, Allison-Van Ryn aux dépens de Brugnon et Cochet. Le dimanche 31 juillet 1932, le stade Roland-Garros, s’apprête à vivre un autre grand moment de sa jeune histoire. Le court Central est tout d’abord inexplicablement trop arrosé. Jean Borotra opposé à Wilmer Allison, semble emprunté. Le Français ne marque que quatre jeux dans les deux premières manches. Fidèle à son image le Basque , qui n’abdique jamais, recolle au score et égalise à deux manches partout. Le cinquième set paraît pourtant immense pour le Français qui consent beaucoup d’efforts à défendre. Lors de la dernière manche, Wilmer Allison se retrouve rapidement à 5-3 en sa faveur, avec deux balles de match. Tendu, l’Américain commet de nombreuses fautes. Jean Borotra égalise à 5-5. C’est à ce moment qu’il s’agite en fond de court, faisant des signe à l’arbitre. Pour disputer ce match, sur ce court détrempé, le Basque a opté pour des espadrilles plus légères que ses habituelles chaussures. À ce moment du match, son soulier se déchire et ne peut plus…bouger. Le jeu reprend malgré tout. 40-15. Jean Borotra insiste et recommence. 40-30. Désemparé, il dit qu’il a un problème. 40-A. « Alors, la foule s’en mêle, proteste, hurle, réclame qu’on permette à son champion de défendre sa chance régulièrement », narre Marcel Rosssini, dans Match L’Intran. Néanmoins, l’arbitre refuse. Les capitaines des deux équipes s’accordent et autorisent le Français à aller changer ses chaussures. Après quelques minutes d’interruption, le match reprend. L’Américain obtient une troisième balle de match qu’il laisse filer sur une nouvelle faute directe. Toujours sur son service, Jean Borotra doit défendre une quatrième balle de match. Sa première balle sort. Sa deuxième aussi…selon Wilmer Allison, son capitaine et d’une grande partie du public. L’arbitre de chaise est inflexible. Du fait que son juge de ligne n’a rien annoncé, cette seconde balle est bonne. L’équipe américaine est stupéfaite. Allison est désemparé. Les points défilent, en faveur de Borotra qui s’impose finalement en cinq sets (1/6, 6/6, 6/4, 6/2, 7/5). La France conserve, de justesse le saladier d’Argent. Le soir même, un banquet réunit les deux équipes à l’hôtel Astoria. Le menu propose aux invités des canetons farcis à l’américaine. Un clin d’œil qui n’est pas du goût de la presse américaine. Le Chicago Tribune titre : « Les États-Unis ont gagné la Coupe, mais le trophée reste en France. » Le Daily Mail de son côté dénonce : « une décision douteuse qui prive Allison de la victoire ». Ce doublé marque la fin d’une époque, celle des Mousquetaires. En 1933, alors que René Lacoste met au point une chemise dédiée à la pratique du tennis, du golf et des sports nautiques, Henri Cochet, âgé de 32 ans, et André Marcel (22 ans), Jacques Brugnon et Jean Borotra s’inclinent face aux sujets de Sa Majesté George V. La Coupe Davis est perdue. Antoine Gentien, joueur de tennis, dira par la suite : « Sortant de la douche, Cochet nous fit part de sa résolution de passer professionnel. Avec la tristesse de voir un ami cher s’éloigner, j’eus le sentiment profond que toute une époque entrait irrémédiablement dans le passé . »

E-A. Photo :© Bibliothèque nationale de France. Source: gallica.bnf.fr