Le long combat de Jenny

Le long combat de Jenny

29 mai 2021 Non Par SoTennis

Après 39 jeux et une bataille homérique, de 2h21 minutes, achevée 12/10 dans un troisième set historique, Jennifer Capriati s’imposait le 9 juin 2001 en finale du tournoi de Roland-Garros. À 25 ans, l’Américaine, qui avait été onze ans plus tôt la plus jeune demi-finaliste des Internationaux de France, s’adjugeait à Paris son deuxième titre en Grand Chelem, après avoir remporté son plus beau des combats.

Samedi 9 juin 2001 ; 16h58. C’est l’heure de la délivrance pour Jennifer Capriati. L’Américaine vit les plus belles secondes de sa carrière. Elle vient de remporter Roland-Garros après une âpre bataille (1/6, 6/4, 12/10) menée face à Kim Clijsters, 18 ans, tête de série n°12. Quatre mois après avoir soulevé son premier trophée en Grand Chelem à l’Open d’Australie, Jenny, 25 ans, confirme qu’elle est bien la championne qu’elle a toujours été. « Je me suis battue jusqu’à la fin, c’était comme si je luttais pour ma propre vie » analyse-t-elle à l’issue de sa victoire. Une déclaration qui pourrait résumer l’histoire de sa vie. Un an plus tôt, elle avait été éliminée à Paris dès le premier tour, par la Colombienne Fabiola Zuluaga, en étant que l’ombre d’elle-même. Avant de mener cette bataille sur le court face à Kim Clijsters, Jennifer Capriati avait surtout mené un long combat personnel. Demi-finaliste lors de l’édition 1990, à tout juste 14 ans, sa voie vers le succès semblait toute tracée. Par la suite, l’adolescente commençait à traîner comme un fardeau les attentes, de l’enfant star made in USA, programmée pour gagner, que le monde du tennis et la loupe médiatique avaient encensé. Malgré quelques bonheurs illusoires, en 1994, c’est pour elle le point de non-retour. Arrêtée le 16 mai pour détention de drogues et vol à l’étalage, à 18 ans Jenny a perdu son sourire. La médaillée d’or aux Jeux olympiques de Barcelone en 1992 vacille. Minée par un profond mal-être, mais aussi par le divorce de ses parents, la jeune femme s’éloigne du sport qui lui a tout donné et déjà tant coûté. Après avoir entamé une cure de désintoxication et ensuite une psychothérapie, il faut attendre le 20 février 1996 pour la revoir disputer un match officiel et reprendre au prix de considérables efforts, année après année, sa place parmi les meilleures. Sept ans après, cette funeste date de mai 1994, et un majeur dans la poche, Jennifer Capriati débarquait à Roland-Garros affûtée et comme l’une des sérieuses prétendantes au titre. Pour arriver en finale, l’Américaine, tête de série n°4, avait connu quelques passages à vide. Notamment en quarts de finale face à sa compatriote Serena Williams, tête de série n°6. Alors qu’elle menait 6/2, 5/4 et servait pour le match, elle laissa filer, sur une double faute, une balle de match. Elle qui avait raté, quelques semaines auparavant, en finale du tournoi de Miami, huit balles de match face à Venus Williams, voyait tout à coup ressurgir les réminiscences refoulées de cette occasion manquée. Un peu moins concentrée, elle devait, après avoir lâché la deuxième manche, écarter trois balles de 2-0 au troisième set pour finalement s’imposer 6/2, 5/7, 6/2. Après avoir dominé en demi-finale la n°1 mondiale Martina Hingis, sur le même score que leur finale à Melbourne quelques mois plus tôt (6/4, 6/3), Jennifer Capriati n’était plus qu’à un match de son rêve. À 14h37, elle servait le premier point. 29 minutes plus tard, c’est son adversaire, qui disputait sa première finale en Grand Chelem, qui empochait la première manche, 6 jeux à 1. Solide en défense et dans l’échange, la jeune Belge faisait déjouer une Capriati nerveuse. Mais l’Américaine revenait de trop loin pour abdiquer. Elle réalisait le break au 5e jeu de la deuxième manche qu’elle ne céda pas, pour finalement l’emporter 6/4. Le troisième set démarrait à 15h41. Personne parmi les 15 000 spectateurs du court Philippe-Chatrier, ne se doutait à cet instant-là, que toute la dramaturgie du sport allait opérer. Après une succession de breaks jusqu’au onzième jeu, à 6/5 pour Kim Clijsters, Jennifer Capriati connut une première frayeur lorsqu’elle se retrouvait sur son service à deux points de la défaite, mais parvenait à égaliser à 6 partout. Dans la foulée, la Belge perdait son service. La tête de série n°4 servait ainsi pour le titre, mais rattrapait par sa nervosité, le tableau de score affichait désormais 7-7. Après un festival de break et de débreak, d’opportunités manquées à 16h56, l’Américaine, plus offensive, servait à nouveau pour le match. L’heure de vérité  avait sonné ! 16h58. 40-15. Le public du Central retenait son souffle. Sur une faute en revers, Capriati ratait sa première balle de match. Mais la seconde qui suit a été la bonne. Une dernière accélération décroisée de coup droit la délivrait. Bondissante sur le court, les bras levaient vers le ciel, le poing droit serré, le regard vers son clan, Jenny savourait. Elle venait de remporter Roland-Garros.

Dans les tribunes, Stefano, son père, qui était redevenu son entraîneur, parce qu’elle l’avait voulu, agitait, avec un enthousiasme débordant, son bob aux couleurs de la bannière étoilée. Près de lui Steven, le frère et Denise, la mère, savouraient eux aussi ce happy end. Quelques instants plus tard, Stefano, descendait dans la loge de Ian Tiriac, pour serrer chaleureusement dans ses bras, par-dessus le muret, sa championne de fille. « Même dans les jours les plus sombres, j’ai toujours eu la détermination de ne pas laisser le souvenir éternel d’une adolescente en larmes qui avait passé une semaine de sa vie à pleurer dans une chambre noire, parce qu’elle détestait le monde dans lequel elle vivait, parce qu’elle se trouvait laide et grosse au point de vouloir se tuer. Au bout du compte, j’ai saisi l’occasion de me relancer par le biais de ce sport que j’aimais tant. Même si je n’avais pas été récompensée de cette manière, je n’aurais pas été déçue parce que j’aurais donné le meilleur de moi-même » analysait-elle au moment de tourner la page sur ses années noires. Chris Evert, son idole de jeunesse, lui remettait, en compagnie de Maurice Grenne, la coupe Suzanne-Lenglen, qu’elle pouvait enfin embrasser. Lors de son discours d’après-match, l’Américaine n’avait pas oublié d’adresser un message à l’attention de son amie Corina Morariu, atteinte, à ce moment-là, d’une leucémie. Pleinement les pieds sur terre, en ce samedi 9 juin 2001, Jennifer Capriati disposait pleinement de son présent. Une libération éprouvée, après bien des combats.

E-A