L’histoire en héritage

L’histoire en héritage

21 mai 2018 Non Par SoTennis

Lieu désormais mythique, le stade Roland-Garros fête cette année ses 90 ans. Tout a changé et cependant, tout est toujours, presque, pareil. Alors que le temple de la terre battue est en pleine mutation, comment entretenir et faire perdurer l’esprit de ce monument parisien ? Jean Lovera, architecte, auteur et ancien joueur, nous apporte son éclairage.

 

Votre nom est souvent associé à différents bâtiments qui ont été construits au sein du stade Roland-Garros, notamment le court n°1. Pouvez-vous nous rappeler la genèse de ce court ?
C’est l’un des premiers projets sur lesquels j’ai travaillé, à Roland-Garros, en tant qu’architecte. J’avais obtenu mon diplôme en 1976. D’ailleurs, en passant ce diplôme, je m’ettais penché sur un projet de restructuration du stade Roland-Garros. En 1978, la Fédération française de tennis avait récupéré le terrain où était situé l’Institut Marey, avec l’intention d’y construire un nouveau court. C’est à ce moment-là que j’ai été associé au projet avec un autre architecte Claude Girardet, qui travaillait déjà à Roland-Garros. Dès 1978, j’ai commencé à travailler sur ce projet, en réalisant quelques esquisses, inspirées à la fois par des stades que j’avais visités dans ma carrière de joueur de tennis, mais aussi par l’histoire de Roland-Garros. Notamment par celle d’Etienne-Jules Marey, qui avait construit à cet endroit sa station physiologique, qui était un cercle, sur lequel il faisait courir les athlètes, les chevaux… Il y a eu une source d’inspiration, avec l’idée du cercle et l’arène des constructions romaines.

 

Cet aspect circulaire, avait-il aussi été retenu pour faciliter la circulation des spectateurs, au tour de ce court ?
Absolument. Le court central était une masse très importante. Nous avions la nécessité de faciliter les flux du public, car l’un des constats de l’époque, même si c’est encore vrai en partie aujourd’hui, c’est qu’entre les matches, il y avait une réelle difficulté à circuler dans les allées de l’enceinte menant vers les (anciens) courts n°2,3, 4,5 et 6. Pour que le public puisse mieux circuler, l’aspect circulaire du court n°1 était la meilleure réponse possible.

 

Ce court n°1 a aussi une acoustique particulière. Comment avez-vous envisagé cet aspect-là ?
Pendant sa conception, j’ai même craint que l’effet d’écho ne soit trop important. Finalement, le fait d’avoir plus de trois mille spectateurs dans les gradins, permet aussi d’absorber ces effets de résonance. Mais lorsque ce court est vide, de spectateurs, notamment lors des entraînements, c’est un court qui résonne énormément.

 

À son sommet, sont gravés, en lettres de bronze, les différents noms des vainqueurs du tournoi de Roland-Garros. Qui en a eu l’idée ?
Cela c’est passé d’une manière collégiale. Initialement, mettre en avant les noms des vainqueurs, ce n’était pas dans nos traditions. J’avais effectivement dessiné cet acrotère qui était pur, sans inscriptions, en béton. À ce moment-là, avec l’équipe de Roland-Garros, nous cherchions un endroit où ajouter le palmarès. En discutant nous avions trouvé plusieurs idées, et celle-ci était venue. Je crois que c’était une idée assez heureuse, car le fait de voir le palmarès ainsi, en hauteur, est gratifiant pour les vainqueurs.

 

« Il faut considérer désormais Roland-Garros, une fois les travaux terminés, comme un grand lieu de promenade, un grand stade qui a pris de l’envergure »

Ce court n°1, dans le cadre du nouveau Roland-Garros, s’apprête à disparaître. Comment l’architecte que vous êtes vit-il de voir raser l’une de ses réalisations ?
Je n’ai pas d’ego avec les constructions que j’ai pu réaliser. Dans une carrière, finalement assez longue d’architecte, il est normal que les bâtiments touchent à leur fin, vivent leur propre vie… Je crois que ce court a apporté beaucoup de joies à beaucoup de joueurs. Je suis heureux qu’il ait plu aux spectateurs. Je n’ai pas de nostalgie en tant qu’architecte. C’est la vie d’un stade. Il est normal qu’il se rebaptise, qu’il y est de nouveaux projets très exaltants avec de nouveaux enjeux pour Roland-Garros pour les décennies à venir.

 

Le stade actuel s’apprète à entrer dans une nouvelle ère. Qu’en pensez-vous de ce nouveau Roland-Garros ?
Nous essayons aujourd’hui de maîtriser un certain nombre de données. Il va y avoir plusieurs constructions dessinées par des architectes différents. Tout cela est une richesse, mais il est important de donner une forme de cohérence et d’harmonie sur le plan architectural. C’est ce à quoi je participe en tant que consultant pour la Fédération française de tennis. Je pense que ce lien, nous pouvons l’obtenir grâce à tous les espaces libres de circulation, avec aussi l’introduction d’une notion artistique et historique, qui formera un parcours à l’intérieur du stade. Désormais, le stade Roland-Garros va du court Simmone-Mathieu jusqu’au court n°18. La configuration n’est plus la même. Il faut considérer désormais Roland-Garros, une fois les travaux terminés, comme un grand lieu de promenade, un grand stade qui a pris de l’envergure, dans lequel nous allons progressivement mettre du lien, travailler la qualité des espaces végétalisés et minéralisés. Afin que le public se sente comme chez lui, mais dans un espace plus grand.

 

Ce rôle de consultant, en quoi consiste-t-il ?
Je travaille en tant que consultant sur tous les aspects liés à la culture et à l’art à Roland-Garros, notamment le lieu culturel qui va remplacer l’actuel Musée de la FFT. J’ai fait quelques propositions, notamment celle de faire un « stade-musée ». Pas dans une conception limitée, mais un stade qui s’imprègne de toute l’histoire de Roland-Garros de la Fédération française de tennis, et qu’il soit un espace que les récits liés à la mythologie de Roland-Garros soient perpétués et que la présence de l’art soit aussi forte dans sa représentation. Finalement que la culture du tennis, autour du stade et de son histoire, soit aussi diffusée sur l’ensemble du stade.

 

Comment tout cela va se manifester ?
Il y a de nombreux dispositifs. L’idée est également de continuer les sculptures monumentales. Nous en avons cinq, Suzanne-Lenglen et les Mousquetaires. Il y a le projet de réaliser une sculpture de Roland Garros, l’homme, l’aviateur. Elle sera située sur le parvis de la nouvelle entrée. Pas seulement pour les aficionados du stade, mais aussi pour les autres visiteurs qui en passant devant le stade pourront, enfin, comprendre pourquoi il se nomme ainsi. Il y a également l’édification d’une statue pour Rafael Nadal, après sa décima. Cela peut également se manifester par un parcours des légendes, retrouver le palmarès, que nous allons perdre avec la disparition du court n°1, avec une sorte de walk of fame, permettant de retrouver ce palmarès dans un parcours au sein du stade. Cela va être l’occasion de marquer différents espaces privés, comme des salons (dédiées aux hospitalités) auxquels un aspect muséologique sera apporté, mais aussi retrouver un grand espace culturel qui soit le centre de la représentation du mouvement, à la place de l’actuel Musée de la FTT, qui va être totalement réaménagé. Un espace dédié à l’image, aux productions en 3 D, aux images d’archives, mais aussi un lieu pouvant accueillir différentes expositions.

 

« Nous allons pouvoir avoir un stade très chaleureux. Nous devrions trouver grâce à cela un nouvel esprit, un nouvel élan »

L’entrée de l’actuel Musée de la FFT, s’effectue dans l’ancien bâtiment du jardinier du stade Roland-Garros. C’est l’un des rares bâtiments dits historiques conservé…
Ce sont des traces de l’époque des Mousquetaires, celle des années 1930. C’est intéressant et important de conserver quelques marques historiques dans le stade, bien qu’aujourd’hui il n’y ait plus dans le nouveau Roland-Garros de trace de béton de l’époque des Mousquetaires.

 

À Wimbledon, bien que cela soit un autre style, un autre site, il semblerait que ce club arrive à un peu mieux cultivé cet aspect historique, en son sein. Allez-vous vous inspirer de ce qui peut être fait ailleurs et notamment là-bas ?
Les deux stades sont comparables dans la mesure où ils sont les deux stades, des tournois du Grand Chelem, qui soient restés sur leur site historique. Les Anglais ont l’avantage de disposer d’un peu plus de superficie que Roland-Garros, mais l’approche est vraiment différente. Nous ne pouvons pas nous inspirer de ce qu’on fait les Anglais, dans la mesure où ils ont travaillé dans un grand laps de temps et court par court. À Roland-Garros, le stade est revu dans son ensemble, avec une organisation spatiale qui est différente. Je crois que nous avons notre identité, nos spécificités. Dans ce nouveau Roland-Garros nous allons avoir un espace beaucoup plus ouvert, plus vivant, avec une végétation assez importante… Il me semble que nous allons pouvoir avoir un stade très chaleureux. Nous devrions trouver grâce à cela un nouvel esprit, un nouvel élan à Roland-Garros.

 

Vito Tongiani avait notamment réalisé les statues des Mousquetaires. Savez-vous qui va se charger de la réalisation de celle de Roland Garros et celle de Rafael Nadal ?
Je n’ai pas encore un nom, je peux pas vous donner un scoop (sourire) car nous consultons actuellement un certain nombre de constructeurs dans une phase préalable aux réalisations. Afin de savoir, avec le cahier des charges sur lequel nous travaillons, quels sont ceux qui seraient les plus à même à les réaliser et les plus motivés par le sujet. Après avoir reçu des notes d’intention des artistes, je pense qu’au moment du tournoi, nous pourrons évoquer les artistes pressentis pour la réalisation de ces statues monumentales.

 

Propos recueillis par E-A à Paris le 20 mars 2018.